Canaries : El Hierro et La Palma, les îles de l’Ouest
Les Canaries bétonnées ? Détrompez-vous.
Tout à l’ouest, là où se termine l’Europe et se rêve déjà l’Amérique, La Palma (708 km2) et la petite El Hierro (278 km2) dessinent des enclaves d’une nature largement préservée. L’Unesco les a même toutes les deux classées intégralement réserves mondiales de la biosphère !
La diversité y est grande. Faramineuse même. Nés de l’océan, ces gros cailloux ont empilé les coulées de lave jusqu’à tutoyer les cieux (merveilleusement étoilés). La Palma est ainsi officiellement l’île la plus escarpée au monde, eu égard à sa grande hauteur (2 426 m) et à sa petite corpulence !
Au malpaís figé sous le soleil, répondent des cratères en batterie et une caldeira colossale recolonisée par les pins canariens, des côtes bardées de falaises noires chahutées par l’océan et entrebâillées sur les parenthèses précieuses de plages de sable volcanique et de bassins naturels aimablement aménagés pour la baignade…
En arrière-plan, les ravines se couvrent d’une forêt humide où croissent pissenlits arbustifs, lauriers et fougères XXL. Aucune limite aux errances : chaque arpent de ces terres est cisaillé de sentiers.
Préparez votre voyage avec nos partenairesSanta Cruz de la Palma, vigie de l’Amérique
Colonisées par l’Espagne au 15e siècle, les Canaries se font très tôt base arrière d’une autre aventure : celle du Nouveau Monde. Parmi les sept îles, La Palma s’affirme comme la mieux placée. Sur la côte nord-est, le port de Santa Cruz, bien protégé des vents, voit défiler galions, hommes en armes et commerçants. Aux cargaisons de sucre, succèdent les soutes remplies d’or et de pierres précieuses.
Plaza de España, une cour d’édifices Renaissance ramène aux heures fastes. D’un côté, l’élégant Hôtel de Ville, précédé de ses arcades. De l’autre, l’iglesia del Salvador, fondée à l’aube du 16e siècle et ornée ultérieurement de gargouilles, de masques grotesques et d’un splendide plafond en bois aux motifs mudéjars.
Pour parachever le tableau, ajoutons une fontaine blasonnée, la belle Casa Monteverde (1618) griffée d’un oriel et les frondes de quatre palmiers altiers. D’emblée s’imposent ici les matériaux canariens : pierre volcanique et murs chaulés.
La proche Casa Cabrera Martín, celle de Salazar, les vieux balcons en bois dégoulinant de fleurs sur l’avenue littorale, le Museo Insular et le Museo Naval, installé à l’orée de la belle plaza de La Alameda, témoignent tous, à leur manière, du caractère cosmopolite du port.
Chaque famille, ou presque, possède ici des liens avec Cuba ou le Venezuela. Le lundi de carnaval, la grande Fiesta de Los Indianos en témoigne : la ville entière s’habille alors de blanc, pour rappeler ces émigrants revenus enrichis, gantés et tout vêtus de lin et de crinolines.
Laurisilva, la forêt de lauriers
Sitôt sortis des eaux, les volcans froissés de La Palma ont été entaillés sans merci par l’érosion, faisant naître vallées et barrancos (ravins). C’est là, au creux de ces réduits oubliés par l’homme, qu’a survécu la forêt subtropicale primaire de grands lauriers. Elle recouvrait autrefois l’essentiel des côtes balayées par les alizés.
Passé Puntallana, le sentier du Cubo de La Galga offre une première incursion dans ce monde aux relents de forêt enchantée. Remontant hardiment le long d’un torrent le plus souvent à sec, le chemin ondule sous le couvert des tiles, au feuillage si dense qu’il collecte l’eau en attrapant les brumes dérivantes…
Après 45 min de marche se dessine une profonde parenthèse d’arbres et de fougères à taille d’homme, bercée par le chant des pigeons et des pinsons endémiques peu farouches.
Plus au nord, le Bosque de los Tilos fut le premier site de La Palma classé réserve de la biosphère par l’Unesco. On s’y laisse emporter par un taxi 4x4 (15 €/personne) jusqu’à la Casa del Monte, départ d’une randonnée mémorable.
Au menu : 4 h à 5 h de marche principalement en descente, souvent boueuse, via les Nacientes de Marcos y Cordero, à travers la laurisylve et une succession de… 13 tunnels creusés dans la montagne (frontale et… cape de pluie obligatoires) !
La Palma, au bout du monde (ou presque)
Sauvage en tout point, la côte nord de La Palma dresse ses herses de falaises au défi des tempêtes. Dès que l’on s’éloigne de La Fajana et du Charco Azul, où les rochers littoraux dessinent des bassins semi-aménagés pour la baignade, les hommes se font rares. La montagne est ici comme tranchée à coups de machette.
Dévalant des hauteurs, où croissent les grands pins canariens aux branches recouvertes de lichens, une route étroite dévale jusqu’au hameau de Fajana de los Franceses. Un hameau ? Pas même. Quelques maisons et une plantation de bananiers en terrasses, nichées au pied des déclivités. Un vieux quai rongé atteste de la vie improbable qu’y vécurent les descendants de ces Français descendus du bateau en chemin vers l’Amérique.
L’isolement est ici une constante et la côte nord-ouest n’y échappe pas. Certes, la route dessert désormais Puntagorda, où tous les insulaires semblent converger début février pour la floraison des amandiers – odeurs de miel à la clef.
Mais le goudron ne fait pas tout : il faut aussi des nerfs pour affronter la plongée vertigineuse vers le prois de Tijarafe, avec le vide et l’océan pour seules barrières. En bas, une brochette de maisons de pêcheurs s’amarre sous un puissant auvent rocheux, au mépris des chutes de pierre et des vagues – qui tancent l’étroite crique prise en tenaille par la roche, où les barques doivent se glisser au risque de se fracasser.
Le week-end, les habitués y descendent encore nettoyer leur poisson.
Le ventre de La Palma
La Palma culmine au Roque de los Muchachos (2 426 m) – site d’un important observatoire astronomique –, marquant la lèvre supérieure d’un immense cratère d’effondrement : la caldera de Taburiente. Voilà une sacrée marmite, profonde de plus de 1 000 m, où s’étagent plusieurs écosystèmes différents.
Deux rubans de goudron, aussi étroits et échevelés qu’à l’accoutumée, se hissent vers les rebords de la caldera, à La Cumbrecita (côté est) et à Los Brecitos (côté ouest).
Lequel choisir ? Le premier offre l’occasion d’une gentille promenade (1 h à peine) d’un mirador à l’autre à travers les pins des Canaries. Mais c’est du second, plus enlevé encore, que file le principal sentier vers le fond. De là, aussi, apparaît clairement la saignée du profond Barranco de Las Angustías, par lequel s’écoulent les eaux de ruissellement jusqu’au port de Tazacorte.
Le sud de La Palma est, lui, squatté par la Cumbre Vieja (1 949 m), un vieux volcan instable dont certains scientifiques redoutent l’effondrement possible et son corollaire, un méga-tsunami qui engloutirait les villes de la côte est américaine !
En attendant, on le traverse à pied depuis El Pilar par la superbe Ruta de los Volcanes. Au programme : forêts d’altitude, coulées de lave, cratère du San Antonio, puis petit détour par le jeune volcan Teneguía, apparu en 1971, aux scories rougeoyantes.
La balade s’achève face au joli phare de Fuencaliente et aux magnifiques bassins des salines étendues à son pied, entre blanc aveuglant et noir de basalte.
El Hierro, vue de haut
À défaut de bout du monde, voilà celui des Canaries. Rejeté à l’extrémité sud-ouest de l’archipel, El Hierro se morfond dans une hiératique solitude, loin des voies maritimes qui apportèrent du sang neuf aux autres îles. Des hauteurs engluées de brume aux coulées de lave brute de La Dehesa, l’austérité est ici le maître-mot.
Il faut prendre de la hauteur pour comprendre El Hierro. Butiner de belvédère en belvédère pour se laisser happer par la sensation de vide qui étreint au rebord des falaises.
Du belvédère d’Isora, la parenthèse de la baie de Las Playas se dessine derrière un fin rideau de pins, 800 m plus bas. Mais ce n’est rien, encore. Au nord, alignés au fil aiguisé d’une même crête, le pic Malpaso (1 501 m), le mirador de la Llanía, ceux de Jinama et de La Peña semblent sur le point de plonger. Face à eux : l’océan et le carcan rocheux de l’amphithéâtre d’El Golfo, formé il y a quelque 130 000 ans lors de l’effondrement cataclysmique du volcan formateur.
L’Ecomuseo Guinea y témoigne lui aussi de la dureté de la vie ici-bas. Des hommes et des femmes occupèrent jusqu’en 1974 cette pincée de bicoques en pierre de lave, aux sols de rocaille brute, sur lesquels gîtent de vieux lits et des tables de guingois. Dehors, de microscopiques potagers se nichent entre des murets protégeant le peu de terre arable disponible…
Faut-il voir dans ces rudes réalités la raison du combat des Herreños pour leur autosuffisance ? Grâce à ses cinq éoliennes reliées à un système hydraulique, l’île parvient par moments à être 100 % autonome en énergie !
Le vent de La Dehesa
La visite de Villa de Valverde, la « capitale » de l’île, perchée sur les hauteurs, est anecdotique. La plupart des villages ne sont pas bien beaux et la plupart des musées ne méritent pas de grandes envolées lyriques.
Restent de sympathiques bassins aménagés pour la baignade sur les côtes (comme à La Caleta, à La Maceta et au Charco Azul) et… l’extraordinaire pointe ouest figée dans sa solitude rocheuse.
Cette région hostile et inhabitée porte le nom de La Dehesa – le « pâturage ». Maigres arpents de terre, en vérité, que ce plateau gondolé perché au sommet du linceul de falaises enrobant l’extrémité occidentale de l’île. Le vent y souffle si fort qu’il fait courber l’échine aux gros genévriers du Sabinar, atteints dans un silence de plomb au gré d’une promenade d’une douce intensité.
La piste débute au niveau de l’ermitage Nuestra Señora de los Reyes, une charmante chapelle blanche bâtie en 1577 pour la sainte patronne de l’île. Le premier samedi de juillet, tous les quatre ans (la prochaine fois en 2017), sa statue richement habillée fait l’objet d’un long pèlerinage au fil des crêtes, appelé Bajada de la Virgen – une fête semblable a lieu à La Palma tous les cinq ans (2020).
En contrebas, le parchemin des coulées de lave dévalant par endroits à la verticale recouvre tout. Elles enserrent jusqu’au phare d’Orchilla – dernier regard avant l’inconnu.
C’est ici, durant l’Antiquité, que finissait le monde. Ici, plus tard, que l’on situa le méridien zéro… avant de le laisser filer à Greenwich.
Fiche pratique
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Comment y aller ?
Il n’existe aucun vol direct depuis la France pour La Palma ou El Hierro. Il faut obligatoirement transiter par Madrid ou Tenerife.
Dans le second cas, attention, la plupart des vols partent de l’aéroport de Tenerife Norte, alors que la plupart de ceux rejoignant l’Europe décollent de Tenerife Sud (à 65 km de là !). Il y a certes un bus direct entre les deux (n° 343), mais ses rotations sont très réduites les jours fériés et en fin de semaine. Vous pourriez alors être obligé de prendre le taxi (75 €) si vous n’avez pas prévu suffisamment de temps pour changer d’aéroport.
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Climat
Les Canaries bénéficient d’un sympathique surnom : les îles du « printemps éternel ». L’été y est chaud mais pas trop (24 °C en moyenne), temporisé par les brises marines, tandis que l’hiver y est tiède sans être trop arrosé.
Naturellement, rien n’est certain : on observe régulièrement de fortes canicules en août et des pluies diluviennes (borrascas) en novembre.
La situation varie aussi en fonction de l’altitude. Il peut ainsi neiger sur les hauteurs de la Caldera de Taburiente, alors qu’on se promène en short et t-shirt au même moment à Santa Cruz !
Autre spécificité : les versants tournés au nord et au nord-est, face aux alizés, sont davantage arrosés.
Où dormir ?
Contrairement aux îles de l’Est de l’archipel, La Palma et El Hierro ont largement échappé au bétonnage de leurs côtes.
On relève bien 2-3 verrues architecturales à Los Cancajos et à Puerto Naos mais, partout ailleurs, on loge surtout dans les petits hôtels (assez peu nombreux), les pensions et les casas rurales (gîtes). Ces derniers sont nombreux et généralement bien équipés, mais imposent en principe un minimum de 3 nuits.
Certains sont charmants et riants, d’autres plus isolés et plus austères, mais tous, ou presque, sont meublés dans ce style rustique qu’affectionnent volontiers les Canariens. On peut aussi camper, mais les options sont très limitées.
Cela dit, les îles ne sont pas géantes et il n’est pas forcément nécessaire de se déplacer tous les jours. Deux ou trois choix d’hébergement peuvent suffire à La Palma et un ou deux seulement à El Hierro. www.islabonita.es
Où manger ?
On mange bien aux Canaries – et sans se ruiner en plus. Moins habitués aux tapas et aux churros que dans la péninsule, les Palmeros et les Herreños apprécient plutôt les papas arrugadas (des petites pommes de terre locales au gros sel), le fromage fumé, le gofio (une sorte de porridge de maïs et/ou de blé grillés) et le mojo. Cette sauce à tout faire peut être rouge (plus relevée, au poivron) ou verte (plus douce, à la coriandre) – la première accompagnant plutôt les viandes et la seconde les poissons.
Côté plat de résistance, le cochon tient la vedette, mais le chevreau et le lapin se défendent aussi. Il y a bien sûr tous les produits de la mer, à commencer par les lapas (patelles) au four, le poulpe (succulent en salade), les calamars, le thon frais, etc. Mentionnons aussi la ropa vieja, sorte de ragoût de pois chiches et viandes diverses.
Et, pour accompagner tout ça, commandez donc un petit cru de La Palma – ils sont fort honorables. Essayez aussi l’étonnant vin de tea, vieilli dans des barriques en pin, dont il prend le goût de résine. On trouve même deux brasseries artisanales.
Location de voiture
Si les transports en commun sont bien développés à La Palma, les rotations ne sont pas très fréquentes. Quant à El Hierro, le service est encore plus limité. Bref, il n’est pas superflu de louer une voiture pour explorer les recoins les plus solitaires.
On en trouve dès 30 € par jour avec assurance. Attention cependant, à El Hierro, certains loueurs sont un peu… offensifs. Vous pourriez vous retrouver avec une franchise de 150 € à payer pour une simple égratignure à peine visible !
Liens
Office de tourisme des Canaries
Office de tourisme de La Palma
Office de tourisme d’El Hierro
Réserve de la biosphère de La Palma
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Visites de l’observatoire de Roque de los Muchachos
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :