L’Islande, sur les routes du Nord
Il n’y a pas que les geysers et le Lagon bleu. Au nord-ouest de l’Islande, une colossale péninsule montagneuse, rattachée au reste de l’île par un isthme étroit, se déploie sur les eaux de l’océan Arctique.
Sur ses flancs : un éventail de fjords profonds qui n’ont rien à envier à ceux de la Norvège. Presque aussi grande que la Bretagne, la région, baptisée Westfjords, ne compte même pas 8 000 habitants !
Au-delà, les entailles de la côte nord mènent, de port en port, de ferme en ferme, de champ de moutons en champ de moutons, vers d’autres incontournables. Autour de l’œil du lac Mývatn, le cœur battant de l’Islande s’époumone à travers fumerolles, solfatares et cratères. On y traverse à pied d’immenses coulées de lave pétrifiée, puis on s’y offre un bain dans les eaux chauffées à blanc.
Une jolie escale avant d’aller chasser (pacifiquement) la baleine à Húsavík.
Préparez votre voyage avec nos partenairesRauðisandur, la plus belle plage du monde ?
Mi-juin. Il est 22 h passé et le soleil brille encore. Ses feux mordorés inondent les flancs tabulaires du Patreksfjörður, moucheté de sternes arctiques et d’eiders muets barbotant sur une eau turquoise. Déroulée dans un isolement grandiloquent, la piste avale la poussière, avant d’hésiter : faut-il continuer de longer les côtes ou se hisser vers les montagnes ?
La deuxième option est la meilleure, pour l’heure. Les roues accrochent la roche pilée, avalent la pente, virage après virage. Là-haut, des névés constellent le paysage lapidaire de taches encore un peu ouateuses. Le Route 614 bascule sur l’autre versant, entamant sa redescente par une série d’épingles à cheveux. Un vent glacé souffle, sans entraves. Bientôt apparaît une ferme solitaire, aux avant-postes d’une plage comme on en voit rarement : Rauðisandur, une incroyable étendue de « sable rouge » (roux-rosé en fait) étirée à perte de vue.
Là, les moutons paissent librement sur l’herbe nouvelle, trottent même jusque sur l’estran. Les agneaux, farouches, vont souvent par deux, serrant de près leurs mères à la toison hirsute – la tonte ayant lieu en hiver, lorsque la laine est la plus épaisse.
La plage est si large, ici, qu’il faut marcher dix bonnes minutes, en traversant les flaques, pour rejoindre la mer. Pas une empreinte de pas à l’horizon, si ce n’est quelques pattes de mouettes et de goélands imprimées sur le sol et la trace d’un renard polaire aperçu de loin.
Falaises de Latrabjarg : le bout de l’Europe
De retour dans le Patreksfjörður, la piste s’engage dans le reclus montagneux qui marque l’avancée la plus occidentale de l’Islande. Ici se dresse la barrière des falaises de Látrabjarg : 14 km de roche brute et ininterrompue s’élevant jusqu’à 400 m au-dessus de l’océan impétueux. La matinée à peine épuisée, les nuages s’amoncellent, dégoulinant parfois des jours entiers en une bruine fine.
Les oiseaux, revenus de leur hivernage au large, constellent l’océan, écumant les eaux pour nourrir leur progéniture. Défiant les bourrasques, un petit sentier longe le précipice, s’approchant de leurs quartiers. Goélands et mouettes défendent en vociférant leur territoire de misère, quelques centimètres carrés perchés en déséquilibre au-dessus du vide. En contrebas, sur les parois, les guillemots et les petits pingouins les ignorent, entre câlins et prises de bec.
Les plus nombreux sont les jolis macareux, au costume noir et blanc emmanché d’un gros bec orangé, dont les terriers percent les rebords herbeux des falaises. Battant avidement l’azur de leurs courtes ailes (20 fois par seconde !), ils vont et viennent, ramenant des brochettes de harengs et de capelans.
Le nez dans l’herbe, avançant à plat ventre pour ne pas les effrayer, on s’approche jusqu’à presque pouvoir les toucher. La chasse, qui se pratiquait au filet, un peu comme on attrape les papillons, n’a plus court ici depuis une génération ; l’endroit est idéal pour les observer. Sous leurs pattes, l’Europe s’achève dans un chaos d’embruns.
Aux portes du cercle Arctique
Les Westfjords déroulent à eux seuls le tiers des côtes islandaises – soit davantage que l’Irlande entière. Résultat : on oublie la ligne droite. Les rares routes jouent inlassablement à saute-fjords.
De Patreksfjörður, enveloppé encore de l’odeur des conserveries de poisson, où les pêcheurs d’Islande bretons relâchaient jadis, on rejoint Tálknafjörður et sa colonie d’eiders, puis Bíldudalur et son musée des monstres marins – tous méchants et dangereux, naturellement ! Le jeune conservateur affirme avoir vu, dans son enfance, l’affreuse shore lady…
Peu après la ferme de Foss, les habitués se déshabillent au fond d’un fjord anonyme. Creusé dans l’herbe tendre de l’été, se niche le hot pot de Reykjarfjörður : un bassin brûlant à peine grand comme un jacuzzi.
Le voyage se poursuit vers les belles chutes de Dynjandi, mangées par les herbes folles, et Þingeyri où, début juillet, les Vikings reviennent sur leur drakkar. Avant d’atteindre Ísafjörður, la capitale régionale accrochée à une péninsule en forme de harpon : 3 000 habitants, des pêcheurs et un musée maritime.
De mi-juin à août, les bateaux de Sjóferðir et Borea Adventures cinglent de là vers la très sauvage couronne de montagnes enneigées de la péninsule du Hornstrandir, surgissant des eaux au nord.
À la limite du cercle polaire, la région, inhabitée depuis 1952, a été classée réserve naturelle. On ne la découvre qu’à pied, au gré de randonnées confinant à l’expédition. En ligne de mire : les extraordinaires falaises de la baie d’Hornvík, QG de 5 à 6 millions d’oiseaux marins.
De fjord en fjord
Entre Ísafjörður et le fond de l’immense fjord d’Ísafjarðardjúp, la route 61 parcourt pas moins de 200 km pour une distance à vol d’oiseau d’à peine plus de 40 km… Plus avant, à Hólmavik – un port de rien –, les locaux se sont amusés à créer un musée de la sorcellerie.
La base de la péninsule des Westfjords est enfin en vue et, avec elle, la mythique route 1, qui fait le tour complet de l’Islande. Les fermes se multiplient dans des paysages d’aquarelles détrempées. On contourne sereinement par la piste la péninsule de Vatnsnes, où les champs se couvrent de chevaux et les rochers de phoques – les diverses colonies en regroupent un millier.
Les berges de la rivière Héraðsvötn – aux airs de torrent furieux – ont vu s’implanter certains des premiers colons vikings il y a 1 000 ans de cela. On y cultive l’art du rafting, du cheval islandais (court sur pattes et fort poilu) et le souvenir de la vie d’autrefois – à la vénérable Viðimýrarkirkja (une église de 1834) et à la ferme de Glaumbær, toutes deux bâties de tourbe et au toit d’herbe. La rusticité de la vie en ces lieux semble un mauvais souvenir, désormais.
Il faut ensuite laisser la route 1 aux austérités de l’intérieur, et piquer vers les humeurs marines de Sauðárkrókur, où l’on pêche la crevette, puis de Siglufjörður, capitale du hareng – célébré par un magnifique musée occupant les vieux entrepôts. La 76, arrimée à un corset de falaises esseulées, y débouche au sortir d’un tunnel à voie unique aussi sombre qu’inquiétant…
Akureyri et Husavik, sur les traces des baleines
Deuxième agglomération du pays avec 18 000 habitants, Akureyri se niche au fond du long fjord d’Eyja. Sa surface miroitante, semblable à celle d’un lac, est parfois brisée de jets puissants : les évents des baleines à bosse et des petits rorquals qui remontent jusqu’aux portes de la ville.
Une belle piscine, une panoplie de musées inattendus (célébrant notamment industrie, motos et aviation !), des supermarchés et une enfilade de bars animés font d’Akureyri une escale incontournable dans le Nord de l’Islande.
Toutefois, le meilleur port d’attache de la région reste Húsavík, plus au nord. La bourgade s’éveille l’été lorsque reviennent touristes et cétacés. Le Hvalasafnið (musée de la baleine) tente d’y imposer sa voix écologiste dans ce pays où manger de la baleine reste légal – même si les trois quarts des Islandais n’en consomment plus. Quelque 184 animaux ont encore été abattus en 2015, surtout pour être exportés au Japon… Parmi ceux-ci, une majorité de rares rorquals communs, le 2e plus grand animal de la planète (20 m pour 80 tonnes).
De mai à octobre, on part à leur recherche à bord de vieux bateaux de pêche en bois de chêne ou voiliers reconditionnés, caparaçonné dans une épaisse cotte intégrale. Inutile ? Attendez d’être au large, passé l’îlot aux oiseaux de Lundey, quand la houle et le vent arctique commencent à se faire sentir… La patience est souvent récompensée : 9 fois sur 10, une baleine au moins est au rendez-vous. Et, parfois, une baleine à bosse consent à effectuer une cabriole.
Autour du lac Mývatn
Étendu sur 37 km2, le lac Mývatn, très peu profond (2,50 m en moyenne), s’entoure de collines mamelonnant, au sud, en une ludique multitude de micro-cratères formés par des éruptions de vapeur.
Campez, et vous comprendrez l’origine de son nom : Mý-vatn, le « lac aux mouches ». Des millions et des millions de moucherons qui, aux beaux jours, emplissent l’air de leurs énervants vrombissements… Attirés par la manne, 15 espèces de canards nichent en ces lieux – sans oublier plongeons, grèbes, échasses, cygnes et autres.
Profitant des verts pâturages, moutons et vaches broutent avidement. À Vogar, au Vogafjós Cowshed, on s’attable au resto-étable où, matin et soir, les vaches se font traire en direct tandis que l’on déguste leur lait encore tiède…
Le volcanisme prend le dessus aux « châteaux noirs » de Dimmuborgir, sculptés dans la lave, et à Höfði, où la coulée s’est à demi noyée dans le lac. Le proche Hverfjell dresse son cône parfait de scories brunes et rousses, rappelant les mauvaises humeurs de la terre. À Hverir, 6 km à l’est, elles se font évidentes, sourdant du sol en fumerolles de cocotte-minute et bouillonnant dans des bassines de boue brûlante… Passé la centrale géothermique de Krafla, la vaste étendue de magma figé de Leirhnjúkur est encore tiède par endroits.
Mais le plus beau est au-delà : le petit cratère Viti (« enfer »), lui aussi formé par le volcan Krafla, renferme un extraordinaire lac d’un vert jade laiteux. On en fait le tour en mangeant des yeux les taches jaunes du souffre et des flaques orange chrome.
Jökulsargljúfur, gorge XXL
La région étendue au nord-est du Mývatn prend une apparence lunaire. Des cailloux, rien que des cailloux et du vent, ici. Plus, parfois, quelques rennes parcourant sans fin ce désert minéral en quête de lichens et d’improbables îlots de verdure.
Quittant la route 1, une piste cassante file vers le nord. But de la manœuvre : rejoindre les Dettifoss, les plus puissantes chutes d’Europe (200 m3/s), nourries par les eaux de fonte du plus grand glacier d’Islande – le célèbre Vatnajökull. Hautes de 44 m, elles s’abattent dans un fracas assourdissant au sein d’un petit amphithéâtre d’orgues basaltiques, projetant leurs embruns à la ronde.
Juste en amont, la Jökulsá á Fjöllum (« rivière glaciaire des montagnes ») franchit une autre barre rocheuse aux belles chutes de Sellfoss, accessibles en 25 minutes de marche. D’autres encore, les Hafragilsfoss, se forment en contrebas.
Ces trois chutes se terrent dans Jökulsargljúfur : long de 25 km et profond de 120 m, ce canyon serait le fruit d’un gigantesque jökulhaup, ou de plusieurs : des débâcles cataclysmiques d’eaux boueuses et de roches provoquées par des éruptions sous-glaciaires du Vatnajökull. Taillé en fer à cheval, le cirque d’Ásbyrgi, plus loin en aval, serait de même origine.
Le voyage au nord s’achève, de retour au lac Mývatn, dans les eaux chaudes des bains naturels de Reykjahlíð (Jarðböðin). Des piscines aux eaux turquoise laiteux à 35-40 °C, étalées face à l’immensité austère de l’Islande.
On vous l’avait bien dit : il n’y a pas que le Lagon bleu et les geysers en Islande !
Fiche pratique
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Office de tourisme d'Islande
Comment s’y rendre ?
Vols low cost directs avec Transavia (filiale d’Air France-KLM) depuis Orly et WOW Air depuis Paris-CDG , Lyon et Nice. Également avec Icelandair depuis Paris-CDG et Orly.
Une fois dans le pays, on ne saurait trop vous conseiller de circuler en voiture, surtout pour visiter les fjords du Nord-Ouest (les liaisons en bus y sont quasi inexistantes). Cela étant, depuis la capitale, Air Iceland dessert Isafjörður, Akureyri et l’île de Grimsey (et même le Groenland!), tandis qu’Eagle Air vole vers Bíldudalur et Gjögur, tous deux dans les Westfjords.
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Climat
Le climat islandais est réputé pour son humeur changeante : il peut faire grand beau, brumer et pleuvoir à verse le même jour… L’été est frais, en particulier au nord-ouest de l’île (10-15 °C maximum en juillet), l’hiver froid sans excès grâce à l’influence du Gulf Stream (0 à -5 °C).
À la belle saison, le jour s’installe et la nuit s’éclipse presque totalement pendant un mois. Pour peu que l’année ne soit pas trop pluvieuse, le voyage tient alors du rêve éveillé.
Comment se déplacer ?
Si vous louez une voiture, attention aux radars, désormais assez nombreux : les routes droites et désertes donnent envie d’appuyer sur le champignon… Si vous vous en tenez aux grands sites du nord et du nord-ouest, inutile de louer un 4x4, nettement plus cher : le goudron a gagné beaucoup de terrain en une décennie et les pistes restantes sont aisément carrossables à la belle saison.
L’histoire est tout autre si vous envisagez d’explorer aussi le centre sauvage de l’île. Dans ce cas, assurez-vous auprès de la compagnie que vous avez le droit de conduire sur les F-roads (pistes) systématiquement interdites aux véhicules de tourisme.
Les bus relient efficacement Reykjavik à Akureyri et aux principaux sites de la côte nord, soit par la route circulaire (la 1), soit par les pistes traversant le cœur de l’île (ce qui est bien sympa pour voir ces endroits et même y faire halte). Différents forfaits (passports) existent, à comparer en fonction de vos envies. Attention, les liaisons sont limitées et certains lieux ne sont desservis qu’au cœur de l’été.
Une dernière option : le covoiturage (www.bilfar.is).
Les bus : www.straeto.is (la compagnie publique) www.sternatravel.com www.sba.is
Les compagnies de location locales à tarifs intéressants : www.bluecarrental.is www.kukucampers.is
Hébergement
Tout est cher en Islande, et les économes se contentent souvent de camper – on trouve des terrains presque partout, plus ou moins agréables et protégés du vent, mais souvent situés à côté des piscines (où sont situées les douches). On y dort pour moins de 10 €/personne, et certains sont même gratuits !
Les mini-chalets et bungalows disponibles dans certains campings, ainsi que les auberges de jeunesse (de bonne tenue, le plus souvent accueillantes) offrent une bonne alternative, surtout lorsqu’il pleut ! On trouve une dizaine de ces dernières au nord et nord-ouest du pays.
On peut aussi opter pour les guesthouses, encore à peu près abordables dans les villes, mais souvent avec salle de bains partagée ; les logements à la ferme un peu partout (pas forcément donnés) ; et les hôtels traditionnels, mais là les prix ont tendance à s’envoler – surtout en famille, les enfants payant systématiquement en plus.
Un bon plan : demandez, lorsque cela est possible, les sleeping bag accomodations. Il s’agit de chambres non faites, sans TV ni petit déj, où l’on dort avec son duvet ou ses propres draps et qui, du coup, coûtent 20-30 % de moins.
Notons, enfin, l’existence des hôtels Edda : occupant des internats d’établissements scolaires, ils ne sont ouverts qu’en été, lorsque les enfants sont en vacances. Sinon, attention, pas mal d’hébergements n’ouvrent que de mai à septembre (voire juin-août).
Sites utiles pour réserver : www.campingcard.is www.hostel.is www.farmholidays.is www.hoteledda.is
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Liens utiles
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Texte : Claude Hervé-Bazin
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