Singapour, la cité mosaïque
On connaît (un peu) la Singapour coloniale, fondée en 1819 par Sir Thomas Raffles au débouché du détroit de Malacca. On se remémore le flegme britannique sous les tropiques et on imagine une ville bien ordonnée, un rien rigide transformée par un essor économique fulgurant depuis l’indépendance (1965).
Oui, Singapour est cadenassée dans un système politique qui laisse peu de place à la contradiction. Oui, la troisième place financière mondiale vit au quotidien l’hyper-compétitivité d’une vie presque entièrement tournée la réussite professionnelle. Mais elle n’est pas pour autant une cité sans âme
Au cœur du creuset local, les identités multiples s’épanouissent et les projets fleurissent. Dans le quartier phare de Marina Bay, des lignes folles ont bouleversé l’image de la « ville du lion » pour l’inscrire le 21e siècle. Et, en toile de fond, les quartiers ethniques (chinois, indien, malais) se sont eux aussi réinventés dans une farandole de couleurs bien orchestrée.
Préparez votre voyage avec nos partenaires- Singapour rétro
- Marina Bay, le quartier surgi des eaux de Singapour
- Marina Bay Sands, la nouvelle icône de Singapour
- Le jardin extraordinaire de Singapour
- Chinatown de Singapour : le retour aux sources
- Manger : une passion singapourienne
- Les autres quartiers ethniques de Singapour
- Singapour Upriver : d’Orchard Road aux Botanic Gardens
- Fiche pratique
Singapour rétro
C’est à l’embouchure de la rivière de Singapour que tout a commencé, là où se dresse depuis 148 ans le Cavenagh Bridge, un pont suspendu très victorien « interdit au bétail et aux chevaux », comme le rappelle un panneau d’époque…
Rive droite, le presque-centenaire Fullerton Hotel (ancienne poste centrale) précède le quartier commercial. Rive gauche, le pouvoir colonial siégeait entre l’Ancien Parlement néo-palladien (1827) métamorphosé en maison des arts et l’Empress Place Building, où s’est installé le superbe Asian Civilisations Museum (on y admire notamment les trésors de céramique d’une épave chinoise du 9e siècle).
Entre les deux : le Victoria Theatre and Concert Hall (1862) avec sa tour d’horloge. Au-delà : la Cour suprême, la National Gallery (dans l’ex-City Hall), la cathédrale anglicane St Andrew’s, son cimetière aux noms oubliés et, côté sud, la vaste parenthèse verte du Padang, où l’on joue encore avec assiduité au cricket.
C’est dans ce rectangle de civilisation arraché à la jungle, près de l’endroit où Sir Thomas Raffles débarqua pour la première fois en 1819, que le futur de Singapour s’est fomenté.
Pas bien loin, le mythique Raffles Hotel (1887), aux nostalgiques blancheurs, doit sa célébrité au tigre qui fit un jour irruption dans la salle de billard et aux séjours du duc et de la duchesse de Cambridge, de Somerset Maugham et de Rudyard Kipling. Passé la grande rénovation, prévue jusque fin 2018, on pourra à nouveau venir y prendre le high tea sous la garde des chasseurs sikhs.
Marina Bay, le quartier surgi des eaux de Singapour
Jadis, il n’y avait ici que des quais et des baraquements de bois où relâchaient les vapeurs et les jonques. Dans les années 1970, les autorités, pressées par le manque d’espace, le boom économique et l’augmentation de la population, ont commencé à grignoter la mer de Chine méridionale. Marina Bay se dessina peu à peu, jusqu’à devenir ce vaste bassin d’eau douce remplaçant aujourd’hui l’ancienne embouchure de la Singapore River.
Au milieu des années 1990, Suntec City sortit de terre, côté nord, avec son parc d’expositions et ses gratte-ciel faisant la cour à une symbolique Fontaine de l’opulence. En 2002, exit les stands de street food du front de mer.
Le centre culturel de l’Esplanade prit forme avec ses deux bâtiments à écailles un rien polémiques en forme d’yeux de mouche – ou de durians, disent les Singapouriens, très friands de ce gros fruit à l’odeur putride si forte qu’il est interdit à bord des bus, du métro, dans les ascenseurs et les chambres d’hôtel !
Jour après jour, le centre de gravité de la cité s’est déplacé vers la baie. En 2008, le groupe Bouygues y a achevé les deux voiles de verre et de béton de The Sail : 63 et 70 étages d’appartements de luxe avec vue mer, tous vendus en moins d’une semaine !
Au même moment, à l’orée de la baie, le Singapore Flyer, la plus grande roue du monde (165 m) commençait à tourner. Ses 28 cabines fermées, embarquant chacune 28 passagers, y effectuent une ronde complète en 28 min (lucky number), distillant un panorama imprenable sur le nouveau paysage urbain.
Marina Bay Sands, la nouvelle icône de Singapour
Sa silhouette est immédiatement reconnaissable : ses trois tours figurant des piles de cartes supportent, à 194 m de haut, un tablier sommital oblong aux airs de vaisseau spatial : le SkyPark, planté de palmiers et agrémenté d’une immense piscine à débordement tutoyant le vide (réservée aux clients, contrairement à l’observation deck)…
Édifié sur les terres gagnées à l’est de la baie, l’hôtel Marina Bay Sands, aux 2 561 chambres et suites (avec majordome), s’inscrit dans un complexe récréatif pharaonique imaginé par l’architecte israélo-canadien Moshe Safdie, incluant un casino (1 600 bandits manchots !), un centre d’exposition grand comme le quart du Vatican, un centre commercial, un musée, des théâtres, une patinoire et de multiples restaurants étoilés. Coût final du caprice : 8 milliards de dollars… Un record.
Du Merlion Park, où cet emblématique poisson à tête de fauve dégueule son jet d’eau, un petit traversier permet de gagner l’hôtel. Sous les yeux, l’Art Science Museum prend la forme extraordinaire d’une fleur de lotus à dix pétales – chacune formant un puits de lumière et drainant les eaux de pluie, recrachées en une cascade intérieure. On y explore les sciences et les technologies.
Parenthèse culturelle refermée, on file vers The Shoppes at Marina Bay. Précédée par un oculus de verre régulièrement animé de jeux d’eau, la halle commerciale se ramifie en galeries, le long desquelles on se balade en sampan, sur un canal miniature à la vénitienne, propulsé par un gondolier en marinière…
Le jardin extraordinaire de Singapour
Reliant le quartier au parc de l’Esplanade, le Helix Bridge lance son élégant tablier courbe au-dessus de l’orée de la baie. Inauguré en 2010, ce pont couvert piétonnier à la structure doublement torsadée se veut une évocation porte-bonheur du yin et du yang. Certains y voient un filament d’ADN, pétillant de LED à la nuit tombée.
Plus fou encore ? Il suffit de regarder vers l’est, là où ondulent, face à la baie, deux grandes serres évoquant le corps semi-immergé d’un grand dragon de verre. À l’intérieur de ces Gardens by the Bay, un jardin de plantes méditerranéennes et désertiques d’un côté, la forêt tropicale d’altitude recréée intégralement de l’autre, avec grande cascade et passerelles suspendues pour passer en revue les différents niveaux de végétation…
Juste à l’arrière, l’apothéose : une forêt d’une vingtaine de « super arbres » artificiels en forme de châteaux d’eau, hauts de 25 à 50 m. Plus que des sculptures, ces Supertrees, conçus par des paysagistes anglais, sont des jardins verticaux greffés de milliers de fougères et de plantes épiphytes. Une autre passerelle (très) aérienne permet d’admirer des airs cette folle entreprise.
Chaque soir, les lieux scintillent au gré d’un spectacle son et lumière servi deux fois, à 19 h 45 et 20 h 45 précises. Dans la foulée, c’est le Marina Bay Sands Hotel et les bâtiments voisins qui font leur show (également gratuit), dans une explosion de fontaines, d’hologrammes, de couleurs et de lasers. De Fly me over the moon à Ray Charles, la bande-son n’évite pas les grands standards du jazz…
Chinatown de Singapour : le retour aux sources
À 5 min à pied de la Singapour de science-fiction, Chinatown joue l’immuabilité bousculée. Longtemps menacés par le tout béton, les alignements de shophouses, ces maisons-boutiques centenaires avec grands volets de bois, ouvertures en demi-lune et éléments néoclassiques importés d’Europe, se réveillent avec fierté sur des tons de jaune citron, de rose acidulé ou de vert menthe à l’eau.
Au n° 48 de Pagoda Street, trois shophouses hébergent le Chinese Heritage Centre, aux intérieurs mouchoirs de poche fleurant bon le mythe des débuts difficiles et l’odeur interlope des fumeries d’opium. À l’extérieur, les lampions rouges et jaunes zigzaguent en file ininterrompue dans une ambiance de street market survolté.
Pour les drogués de shopping : des bibelots à 1 $ (singapourien), des calligraphies bon marché, de l’encens, des soieries. Pour se fringuer : un costume sur mesure prêt en 3 à 8 h ! Pour se rafraîchir : un jus d’herbe et soja. Et pour assurer son futur : un porte-bonheur.
Plus sûr : se rendre au vénérable Thian Hock Keng Temple (1839), aux toits enluminés de dragons, pour prier la déesse de la mer d’intercéder en sa faveur, ou au (récent) Bouddha Tooth Relic Temple, où serait conservée la canine gauche de l’Éveillé…
Les Indiens, eux, s’en remettent au foisonnement arc-en-ciel de divinités du Sri Mariamman Temple, le plus vieux sanctuaire hindou de Singapour (1827), en plein Chinatown. Preuve, s’il en fallait, du brassage culturel omniprésent en ville.
Manger : une passion singapourienne
La nuit tombée, l’animation de la journée devient frénésie. La chaleur humide s’éloigne et une foule dense déferle sur les bataillons de tables et de stands colonisant entièrement le pavé de Smith Street – couverte d’un toit vitré et rebaptisée Chinatown Food Street.
On s’attable dans la rumeur des conversations et de la vaisselle qui s’entrechoque devant les inéluctables brochettes de poulet sauce saté (cacahuète), une assiette de supions frits à 15 S$, des huîtres frites, des galettes de carotte épicées, un incendiaire mie goreng (nouilles frites), une ration de char siu (porc au barbecue) ou un simple duck rice.
Le choix est aussi insurmontable qu’infini. Au dessert ? Pourquoi pas une montagne de glace pilée nappée de différents coulis fluo et de sauce au maïs sucrée, servie avec sa portion de haricots rouges… ? Miam.
Fous de cuisine, les Singapouriens puisent à tous les râteliers. Recettes malaises ou indonésiennes, petit déj à l’indienne (dosai masala ou crêpes au mouton !), plats de nouilles et fruits de mer chinois, tout est bon pourvu que le plat soit assez relevé.
Destination de choix, les hawker centers (il en existe une centaine) regroupent des dizaines de stands offrant une folle variété de recettes. Certains sont si réputés que l’on traverse la ville pour y manger. D’ailleurs, en 2016, parmi les 38 établissements étoilés en ville, le Michelin a, pour la première fois au monde, distingué deux modestes restos de street food singapouriens, dont le Hong Kong Soya Sauce Chicken Rice, à Chinatown, où l’on fait la queue plusieurs heures !
Les autres quartiers ethniques de Singapour
Ligne NE7, troisième arrêt. Sur le quai, une publicité vante l’or et les diamants de la bijouterie Malabar. En surface, sous leurs toits de tuiles rousses, les shophouses poussent les couleurs dans leurs retranchements, dans une affirmation cinglante de roses, de vermillon ou de mandarine.
Derrière les vitrines, les colliers et les parures 20 ou 24 carats étincellent tandis que, chez Sri Ghanesh, on débite du tissu de sari au mètre. Un peu plus haut sur Serangoon Road, le gopuram (entrée-tour monumentale) du temple Sri Veeramakaliamman affirme clairement son appartenance, même si Little India a abandonné pas mal de sa folie quotidienne au modernisme galopant.
De l’autre côté du Rochor Canal, à Kampong Glam, Arab, Baghdad, Kandahar et Muscat Streets parlent de Moyen-Orient alors même que l’on se trouve au cœur du quartier le plus malais de Singapour… On y admire les collections du Malay Heritage Center installé dans un ancien istana (palais royal), puis l’énorme dôme doré et la salle de prière vert et or de la grande mosquée (Masjid Sultan). Pour la pause déjeuner, ce sera mutton biryani et teh tarik (thé au lait concentré).
À Haji Lane et dans tout le secteur, pas trace de pèlerins, mais une scène autrement plus hype, où Kampong Glam s’affirme comme la nouvelle Mecque des graffeurs singapouriens. Pour le fun, le Selfie Coffee y imprime la photo de ses clients sur l’épaisse mousse de lait de ses lattes (8,90 S$ pièce, soit env 5,60 €)…
Singapour Upriver : d’Orchard Road aux Botanic Gardens
Les Singapouriens ont deux obsessions : manger et acheter. Si les deux activités se pratiquent absolument partout, aucune adresse n’égale Orchard Road en termes de choix et de prestige. Là, sur 2,2 km, s’alignent pas moins d’une dizaine de centres commerciaux surdimensionnés. Les friqués et les snobs filent au Paragon, alignant plus de 200 boutiques sur six niveaux (beaucoup de designers internationaux) et les économes choisissent la Far East Plaza, autrement moins flashy.
Juste au sud, la grosse colline verte du Fort Canning Park sert d’écrin au Battlebox (QG souterrain britannique durant la Seconde Guerre mondiale), à un vieux cimetière chrétien et à un jardin d’épices. On y pratique le tai-chi au matin et on y « joggue » après le job.
Sur les bords de la rivière de Singapour, à Clarke Quay, entre les vieilles maisons méticuleusement restaurées, où les terrasses des bars prennent l’ombre de grands parasols de métal futuristes… En journée, le proche musée Peranakan aborde superbement les réalités passées et présentes de cette communauté née de mariages entre immigrants chinois et femmes malaises.
Plus loin, il y a la touffeur des Botanic Gardens, le premier des sites de Singapour classé au patrimoine mondial (en 2015). On y implanta jadis les premiers caoutchoucs qui ruinèrent le Brésil. Aujourd’hui, on parcourt son authentique forêt vierge et on s’y extasie devant la plus grande collection d’orchidées au monde. Pas de serre chaude ici… mais une cool house pour les plantes appréciant un peu plus de fraîcheur !
Fiche pratique
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Comment y aller ?
Vols directs quotidiens Paris-Singapour avec Air France et Singapore Airlines. Trouvez votre billet d'avion.
L’aéroport de Changi est presque une destination en lui-même : outre l’invraisemblable choix de boutiques, on y trouve une serre à papillons, une piscine et une salle de cinéma gratuite ! Il est desservi (en vol direct ou non) par pléthore de compagnies aériennes européennes et asiatiques.
Sur place, on se déplace grâce à l’excellent réseau de transports en commun. À eux deux, métro et bus permettent de rejoindre tous les centres d’intérêt. www.smrt.com.sg
Quand y aller ?
Si le climat est chaud et humide toute l’année, la période s’étendant de mai à septembre est légèrement moins pluvieuse et plus ensoleillée. Attention aux orages et à leurs conséquences (ils sévissent un jour sur deux !).
Où dormir ?
On trouve de tout à Singapour. D’ailleurs, il est même possible de camper dans certains parcs urbains et sur l’île de Pulau Ubin, qui fait face à la Malaisie !
En ville, les petits budgets compteront sur les auberges de jeunesse (hostels), très nombreuses dans les quartiers de Chinatown, Little India et Kompong Glam, même si elles ne sont pas toujours impeccables. Comptez en général 10-18 €/personne en dortoir et 25-60 € la double avec sanitaires partagés (souvent taille « capsule » pour les moins chères). Assurez-vous que la clim est incluse et disponible tout le temps.
Autre option : les nombreux petits hôtels (35-80 € la double selon la localisation et la qualité). Ils sont généralement assez bien tenus, mais il n’est pas rare que les chambres les moins chères n’aient pas de fenêtre !
Dans la catégorie supérieure, vous n’aurez que l’embarras du choix, y compris en plein centre. Et si vous pensez descendre au Marina Bay Sands, sachez qu’il vous en coûtera au moins 240 €…
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Où manger ?
- Pour manger indien bon marché, direction Little India au dernier étage du Pujat Tekka Center et tout autour dans Buffalo Road et Kerbau Road.
- Cuisine chinoise dans Chinatown bien sûr, plus particulièrement sur Smith Street, surnommée « Food Street », une rue piétonne avec de nombreuses échoppes.
- True Blue Cuisine : 49, Armenian St. Dans une ancienne shop house typique, un resto de cuisine peranakan chic où déguster d’excellents plats sino-malais. Tarifs élevés mais mérités.
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :