Monténégro : les bouches de Kotor, un « fjord » en Méditerranée
Intégrées dans le club très fermé des plus belles baies du monde, les Bouches de Kotor (Boka Kotorska) se découpent sur la côte d’un petit poucet européen : le Monténégro.
Issu de l’explosion de l’ancienne Yougoslavie, ce pays grand comme la moitié de la Bretagne épouse deux mondes : balkanique dans le chaos montagneux qui en constitue le cœur, méditerranéen sur la frange littorale, où foisonnent pins odorants, palmiers, lauriers roses et citronniers. D’un côté l’influence slave et la rudesse du continent, de l’autre la patte vénitienne et ses romances.
Ici plus qu’ailleurs, les Balkans se propulsent jusqu’à la Méditerranée en un impressionnant fatras de hauts sommets calcaires. La mer Adriatique s’y infiltre, s’y glisse tel un fjord constrictor, glissant entre leurs herses.
Tout au fond : Kotor, héritière de mille ans d’une histoire maritime largement influencée par la Sérénissime. Puis, d’autres bourgades enchanteresses où les vieux palais blancs, se mirant dans les eaux hérissées de falaises, font écho à des campaniles et des cyprès hiératiques. Un bijou, justement classé au Patrimoine mondial par l’Unesco.
Préparez votre voyage avec nos partenairesKotor, l’une des plus belles baies du monde
Les mots sont de l’écrivain anglais William Boyd, visiblement tombé sous le charme : « Dieu créa le monde en six jours. Le septième, il créa ce fjord au pied du mont Lovćen. »
Les bouches de Kotor ne forment pas un fjord (jamais aucun glacier ne s’écoula ici), mais plutôt un large canyon ennoyé par la montée du niveau de la mer. Mais une chose est sûre : on a rarement vu baie naturelle mieux protégée et plus découpée.
Pénétrant de 28 km dans les terres jusqu’à butter sur d’insurmontables édifices de roche nue, la Boka Kotorska (couvrant 87 km2) se compose en fait de quatre golfes successifs, qui s’emboîtent les uns dans les autres au gré d’étroits isthmes enchâssés entre les montagnes.
Au niveau du détroit de Verige, les deux rives sont reliées par un bac en 5 min, alors qu’il faut parcourir 43 km pour rejoindre un embarcadère depuis l’autre par les petites routes épousant le littoral – et près de 90 km pour faire le tour complet de la baie !
La protection qu’offre la Boka aux navires lui a très tôt valu d’attirer marchands et conquérants. Les vestiges romains de Risan en témoignent. Une guilde de navigateurs existait déjà à Kotor au 9e siècle. Au Moyen Âge, les marins locaux voguaient à travers toute la Méditerranée et relâchaient dans les ports de la mer du Nord et de la Baltique.
Venise s’était alors déjà implantée sur les rives orientales de l’Adriatique, sur la route de l’Orient – ce dont témoignent partout les lions de Saint-Marc ornant portes, palais et fontaines taillés dans une élégante pierre de tuffeau crème.
Kotor, une ville médiévale
Les navires de croisière, les yachts (souvent russes) et les palmiers figés sur le front de mer parlent de Méditerranée et de station chic. Les épaisses murailles médiévales doublées de douves ceignant la vieille ville de Kotor, juste en face, parlent, elles, des siècles écoulés. On y pénètre par la porte de la Mer, la principale des trois entrées de la cité, rebâtie à la Renaissance (1555). Un bas-relief de la Vierge y surplombe une boîte aux lettres jadis destinée aux dénonciations…
Juste en face s’épanche la belle place d’Armes (Trg od Oružja !), dominée par une tour d’horloge (1602), symbole de Kotor, au pied de laquelle les condamnés étaient jadis mis au pilori. L’époque est plus avenante : on s’y poste aux terrasses des cafés, pour se gorger de soleil.
Côté droit, une ruelle s’immisce jusqu’à la place de la Farine, couronnée de vieux palais, puis débouche sur la place Saint-Tryphon, écrasée par les deux tours inégales de la cathédrale catholique du même nom. Si son âme et sa structure sont romanes, nombre de ses éléments doivent leurs élans baroques aux restaurations successives au séisme de 1667.
Parmi ses chefs-d’œuvre : le ciboire à baldaquin du chœur finement sculpté et le très beau retable en argent doré repoussé du grand maître Jean de Bâle (15e). Le saint patron de la cité semble devoir son statut au hasard : ses reliques (conservées dans le trésor, à visiter) semblent avoir été achetées à un navire de passage venu d’Orient, qui cherchait juste à s’abriter d’une tempête dans la baie…
Sur l’esplanade, encore : l’Hôtel de Ville et le palais Drago (15e), orné des armes au dragon de la famille.
Le labyrinthe de la vieille ville de Kotor
Le dédale de ruelles et de placettes du vieux Kotor est aussi concis que ses palais, aux façades tantôt gothiques (époque vénitienne) tantôt baroques (époque autrichienne), sont nombreux. Tôt ou tard, on tombe forcément sur l’intéressant Musée maritime installé dans l’ex-palais Grgurina (1732) et sur le très joli puits en fer forgé de la pjaceta Karampana (17e).
Le pouls de la place Saint-Nicolas, contrepoint orthodoxe à la très catholique place Saint-Tryphon, bat au rythme des messes de la massive cathédrale Saint-Nicolas (fin 19e), à la froide ordonnance tout juste adoucie par l’élan de son dôme couleur ciel. Presque à son pied et nettement plus attachante, la petite église Saint-Luc, romane (1195), surgit du dallage brique et blanc.
L’édifice, surmonté d’un léger campanile ajouré à trois cloches, a eu un temps la particularité de disposer de deux autels : l’un orthodoxe, l’autre catholique ! Il conserve des fresques du 12e siècle et une iconostase du 18e siècle emblématique de la région.
À l’orée de la porte nord (16e), l’église collégiale Sainte-Marie-de-la-Rivière possède, elle, de belles portes en bronze illustrant l’histoire de la ville et le destin de sainte Osanna : la légende affirme qu’elle a sauvé Kotor d’une épidémie de peste et… d’une attaque de Barberousse. Cette bergère issue d’une famille (très) orthodoxe se convertit au catholicisme et devint anachorète, allant jusqu’à se faire emmurer dans une cellule (dont un séisme la libéra) !
Panoramas depuis Kotor
L’ensemble de la colline escarpée sur laquelle s’appuie Kotor est enserré par des remparts, dont le tracé, bien visible à l’œil depuis le port, court sur près de 5 km. Il faut réussir à se libérer du labyrinthe de la vieille ville et trouver, place de la Salade (derrière Saint-Tryphon), ou près de la collégiale Sainte-Marie, les marches grimpant vers la puissante forteresse Saint-Jean (alias Sveti Ivan, alias San Giovanni), perchée en nid d’aigle 260 m au-dessus de la cité.
L’ascension est d’emblée ardue. Les épingles à cheveux se succèdent sous un soleil de plomb et, très vite, la marée des toits rouges et des murs blancs s’étale entre les cyprès. De la chapelle Notre-Dame du Salut, déjà, le panorama enchante : un campanile au premier plan, la ville en contrebas, puis les tendres sinuosités de la Boka Kotorska, dans son corset de montagnes froissées.
Les zigzags se poursuivent, à travers un raide maquis rocheux adouci d’autres cyprès, jusqu’à toucher, là-haut, l’enchevêtrement de murs gris et de rocaille empilés en paliers jadis crénelés. La forteresse, en ruines, a été largement rebâtie au 16e siècle par les Vénitiens, en lieu et place d’un bastion illyrien sans doute vieux de deux millénaires.
En point de mire : le drapeau monténégrin, rouge, frappé d’un aigle à deux têtes doré emprunté aux armoiries royales. De son pied, après 35-40 min d’efforts, un panorama encore plus aérien s’étend sur la baie.
Nostalgies de Venise au Monténégro
Ce sont les Vénitiens qui, cabotant le long des côtes, ont donné son nom au pays : Monte Negro, les montagnes noires – un drôle de nom, en vérité, pour ces falaises calcaires plutôt claires… Visiteurs réguliers des côtes orientales de l’Adriatique, ils y ont peu à peu étendu leur férule, jusqu’à contrôler totalement la Dalmatie littorale du début du 15e jusqu’au crépuscule du 18e siècle.
Si le lion de Saint-Marc resplendit sur bien des édifices à Kotor, on le retrouve plus encore à Perast, à 14 km à l’ouest. Une adorable bourgade étirée au fil du littoral, coincée au pied de la montagne, entre quais étroits, lauriers roses arborescents, palmiers, figuiers et terrasses de cafés.
Réputés pour leur bravoure, les capitaines locaux, engagés dans la flotte vénitienne, combattirent jadis ardemment pirates et ennemis turcs. Ils donnèrent aussi naissance à une Académie de marine très réputée, où le tsar Pierre le Grand envoya se former ses cadets … Le musée local, installé dans l’élégant palais Bujović (orné d’un masque grotesque) rappelle cette gloire passée, tout comme une vingtaine d’autres palais et pas moins de huit églises.
La plus surprenante, Notre-Dame-du-Rocher, s’ancre à 5 min de barque (ou de petit ferry) sur un îlot artificiel constitué de pierres déposées au fil des siècles par les marins, en un lieu où serait apparue une icône miraculeuse de la Vierge. On la découvre dans le sanctuaire rebâti en 1630 dans un style baroque, auprès de 200 ex-voto de marins. Juste en face, l’îlot Saint-Georges, site d’une ancienne abbaye bénédictine à l’église cernée de cyprès altiers, est privé.
Balade autour des bouches de Kotor
Quelques kilomètres à l’ouest, Risan, capitale illyrienne au 3e s. av. J.-C., fut réoccupée par les Romains, qui y ont laissé en héritage les pavements de mosaïques d’une de leurs villas.
À l’extrémité ouest de la Boka Kotorska, la ville d’Herceg-Novi, fondée au 14e siècle par un roi de Bosnie, joue le rôle de gardienne de la baie. Un poste très convoité qui l’a vue maintes fois envahie. On déambule dans la vieille ville étagée entre porte turque et église orthodoxe Saint-Michel, entre palmiers et mimosas, entre Forte Mare vénitien et citadelle Španjola, bâtie au 16e siècle durant une courte occupation espagnole. De la « tour sanglante » (Kanli Kula) turque de 1483, reste surtout un théâtre en plein air et un agréable point de vue sur la baie.
On la retrouve au proche monastère orthodoxe de Savina, fondé en 1030 et rebâti dans un style baroque à l’époque vénitienne. À l’extérieur de la grille d’entrée, un escalier discret grimpe hardiment vers un autre sanctuaire en longeant le cimetière : l’église Saint-Sava (15e). De là, le panorama sur les bouches de Kotor est (une fois encore) spectaculaire.
En rebroussant chemin jusqu’à Kamenari, le bac, circulant non-stop à la belle saison, mène en un clin d’œil à Lepetane (site d’un bordel pour marins vénitien !) et à Tivat, dont les nobles demeures ont plutôt pâti du développement de l’aéroport international voisin et de la marina de Porto Monténégro, où les oligarques russes amarrent leurs méga-yachts. Nettement plus charmant : le bourg de Rose, discrètement amarré à l’entrée orientale de la Boka Kotorska.
Au sommet du Lovćen
À force de le voir dressé en arrière-plan, on ne peut que craquer. Le voyage promet pourtant quelques émotions : situé à moins de 5 km à vol d’oiseau de la baie de Kotor, le mont Lovćen se perche déjà à 1 749 m ! Une route serpentine s’y hisse en près d’1 h (!), cumulant 25 épingles à cheveux, dont 16 d’affilée sur une section de 8 km vraiment vertigineuse…
Nulle part ailleurs, la double identité monténégrine n’est aussi évidente. À l’ouest : la parenthèse de la baie de Kotor baignant dans son microclimat et, au-delà de son carcan, le bleu intense de l’Adriatique. À l’est : l’empilement anarchique des Alpes dinariques, au cœur duquel se cache la vieille capitale du royaume (Cetinje), d’où régnaient jadis les princes-évêques.
Mais pourquoi grimper au Lovćen ? Pour les points de vue, bien sûr, sur l’anarchie austère des montagnes monténégrines, nues et venteuses, tantôt terrassées de soleil ou englouties par la brume. Pour sacrifier, aussi, au rituel consistant à grimper patiemment les 461 marches menant jusqu’au grandiloquent mausolée de Petar II Petrović Njegoš (1813-51), perché au Jezerski Vrh (1 657 m), le second sommet du Lovćen.
Le souverain, philosophe et poète, a chanté de toute son âme le combat acharné de sa micro-nation contre l’Empire ottoman. Il repose là sous une voûte en mosaïques dorées, à côté du plus beau panorama du pays.
Fiche pratique
Retrouvez les infos pratiques et les bonnes adresses de la région de Kotor dans le Routard Croatie en librairie.
Consulter notre guide en ligne Monténégro
Office du tourisme du Monténégro
Site officiel du tourisme à Kotor
Comment y aller ?
La compagnie nationale Monténégro Airlines assure un vol quotidien direct vers Podgorica au départ de Paris-CDG (durée : 2 h 20), toute l’année. On trouve aussi des vols avec escale très abordables avec Austrian (via Vienne) et Air Serbia (via Belgrade). Attention, Podgorica est située à 90 km de Kotor.
Sinon, on peut choisir d’atterrir à Dubrovnik en Croatie, à 70 km au nord, visiter la ville, puis prendre un bus (3-4/j) ou un taxi (environ 100 €) pour rejoindre la Boka Kotorska.
Trouvez votre billet d’avion
Les amateurs de road trips peuvent rejoindre le Monténégro en traversant l’Italie du Nord, la Slovénie et la Croatie, mais il faut bien compter 2-3 jours pour faire le trajet (2 000 km). Autre option : passer par l’Allemagne et l’Autriche au lieu de l’Italie (même distance). Attention, pas facile de se garer à Kotor en plein été (voitures totalement interdites dans la vieille ville). Un bon plan : le (seul) parking gratuit situé face aux ruines de l’hôtel Fjord, en quittant la ville par la route épousant le flanc ouest de la bouche de Kotor (prendre à droite au rond-point).
Quand y aller ?
L’été débute tôt sur le littoral monténégrin : dès fin avril-mai, le soleil est très présent, avec des températures diurnes dépassant déjà les 20 °C ; le cœur de l’été est très chaud (souvent plus de 30 °C) et la belle saison se prolonge tout au long de septembre et même jusqu’à début octobre.
Le reste de l’année, en revanche, la pluie peut se révéler très présente ; dans l’arrière-pays, il pleut même autant pendant les trois mois d’automne qu’à Paris durant toute une année ! La neige, fréquente sur les Alpes Dinariques, est assez rare sur la côte.
Où dormir ?
On trouve des hébergements à tous les prix au Monténégro. Les campings, généralement bondés en été, sont assez sommaires et souvent datés, mais bien implantés sur le littoral.
À Kotor, il y a plusieurs auberges de jeunesse dans la vieille ville, dont l’excellent Hostel Old Town, installé dans un palais fondé au 13e siècle (!), avec dortoirs (disposant chacun de leur propre salle de bains et kitchenette) et chambres privées.
Mais il y a toutes sortes d’autres options pour les petits budgets : chambres chez l’habitant (indiquées pokoje), guest houses et, surtout, de très nombreux studios et appartements assez abordables (beaucoup de choix entre 25 et 50 € en basse et demie saison).
Les hôtels ont eux aussi proliféré, du petit établissement familial sans prétention au 4-étoiles actuel – comme par exemple le très agréable Boutique Hotel Hippocampus situé dans la vieille ville. Attention, en plein été, malgré les grandes capacités, il n’est pas toujours facile de dénicher une chambre si l’on n’a pas réservé ; les tarifs ont alors tendance à être multipliés par deux ou trois…
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Où manger ?
À Kotor, l’influence méditerranéenne est manifeste jusque dans l’assiette : on mange presque autant de pizzas (souvent au feu de bois) et de poisson, ici, que sur la rive opposée de l’Adriatique ! Le retour de pêche est souvent présenté à l’entrée des restos, sur lit de glace, tandis que moules, soupe de poisson, poulpe et supions colonisent les cartes. Ça, c’est pour les restos touristiques. Si l’on est un peu juste côté finances (et pas végétarien !), on se tournera vers les ćevapi (kebabs) et pljeskavica (les « burgers » balkaniques, mi-bœuf mi-agneau), vieil héritage ottoman. Ceux de Tanjga, juste en dehors du centre historique, en bord de route, sont d’un très bon rapport qualité-prix (2,50-4 €) ; on peut même y acheter sa viande au kilo et la faire griller !
Gros appétit ? 1,2 kilo de viandes à partager, avec frites et salade, pour 20 €, qui dit mieux ? Sinon, certaines boutiques vendent des parts de pizzas – comme celles, très bonnes, à pâte fine, de Pronto Pizza, dans la vieille ville.
Et n’oubliez pas de goûter les pâtisseries de Forza en profitant de sa splendide terrasse sur la place d’Armes.
Texte : Claude Hervé-Bazin
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