Écosse : les Hébrides Intérieures, côté sud
Les Hébrides intérieures sont bien loin de se résumer à la touristique île de Skye. Cet archipel réunit pas moins de 79 îles disséminées sur le flanc ouest de l’Écosse – chahutées tout l’hiver par les tempêtes atlantiques. Des petites, des grosses, des plus protégées, des plus exposées, des plus verdoyantes, des plus austères aussi.
Colonisés successivement par les Celtes et les Vikings, ces bouts de terre et leurs habitants ont assurément un caractère bien trempé. Et même si les Hébrides intérieures flottent moins loin en mer que leurs jumelles des Hébrides extérieures, l’empreinte gaélique demeure, indissoluble. Un quart de la population le parle encore (un peu).
Moins connues que Skye, 5 îles méritent particulièrement d’être découvertes. Cap sur Arran, Gigha, Islay, Jura et Colonsay !
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Reléguée dans le Firth of Clyde, un profond bras de la mer d’Irlande protégé par le long et solide cap du Mull of Kintyre (chantée par Paul McCartney), l’île d’Arran n’a pas l’honneur d’être classée au nombre des Hébrides. On ajoute néanmoins volontiers au voyage ce tremplin naturel vers la haute mer, veillé par un trio de sommets de granite harponnant les nuages.
Point culminant, le solide Goat Fell (874 m) toise Brodick et son débarcadère, ancrés au flanc d’une baie vaguement sableuse. Rien de vraiment spectaculaire, si l’on excepte le fantastique château qui s’amarre au-dessus. Un château de lairds (les lords écossais), baronnial, en grès rouge, bâti en surplomb d’un jardin clos et d’un parc noyé de végétation, où s’épanouissent des fougères arborescentes et des rhododendrons hauts de 5 m et plus.
Les ducs de Hamilton, premiers pairs d’Écosse et grands iconoclastes, y ont englouti des fortunes. Les dizaines de massacres de cerfs du grand escalier, une poignée de toiles et de mobilier témoignent mal de l’ampleur passée de leur richesse, dilapidée tout au long du XIXe siècle en antiquités égyptiennes, en agrandissements somptueux et cottages bavarois, puis en chevaux de course et objets d’art improbables… Aujourd’hui géré par le National Trust, le Brodick Castle loue plusieurs de ses dépendances, pouvant accueillir de 2 à 10 personnes.
De Brodick, une route sinueuse s’infiltre au long de la côte, passant la brochette de maisons blanches aux toits d’ardoise de Corrie, alignées face à un microport aux bittes d’amarrage en forme de… moutons ! Puis elle s’élève dans une haute vallée de landes. Ils sont là, les cerfs, émergeant en nombre des bois au crépuscule pour brouter la bruyère.
Le goudron s’écoule vers Lochranza, amarré dans l’encoche d’une baie profonde veillée par les ruines d’un château s’avançant sur l’eau, au milieu d’une horde de… moutons. So Scottish! Au-delà, seules s’éparpillent quelques fermes, en retrait d’un littoral de galets et de rochers où s’impriment les silhouettes des phoques lézardant en « banane », tête et queue redressées…
Passent quelques cairns à demi-dégagés, les King’s Caves attachées à la légende du roi Robert the Bruce et beaucoup, beaucoup de moutons encore. À la ferme d’Old Byre, le café Thyme offre une halte bienvenue. Pour survivre, la famille s’est réinventée en entreprise, avec aussi un magasin de chaussures et un autre de vêtements, en plein champ !
Au sud, l’îlot de Pladda, piqué de son phare, rythme le panorama. Les bois reprennent pied à l’est, du côté de Lamlash, face à la grosse étrave d’Holy Isle, ancienne île monacale devenue refuge de bouddhistes tibétains…
À Whiting Bay, chacun y va de ses jumelles. Inutile. Certains jours, les dauphins chassent en bande à moins de 20 m du littoral, s’offrant même quelques pirouettes de contentement lorsque la pêche a été bonne. Quelques kilomètres encore et Brodick est là, à nouveau. La boucle est bouclée.
En été, à défaut d’avoir réservé un ferry au départ d’Ardrossan (près d’Ayr) pour Brodick, on peut rejoindre Arran de Claonaig, sur le Mull of Kintyre, sans résa.
Gigha, une ambiance bout du monde
À Tayinloan, sur la côte du Kyntire, il faut parfois attendre des heures que le vent tombe avant de pouvoir embarquer. Non que la traversée soit longue ni dangereuse, mais le ferry est tout petit !
Vingt minutes plus tard, un quai émerge des rochers, précédant une île basse piquetée des habituelles taches blanches des moutons. Gigha (prononcer « guiya ») est une petite île (14 km²), peuplée d’à peine 160 habitants, copropriétaires depuis le rachat collectif de ce bout de terre en 2002.
La plus méridionale des Hébrides se parcourt à pied ou, mieux, à vélo. Une courte côte, un unique carrefour (prenez à gauche), quelques tours de pédale encore et les jardins d’Achamore sont là. Des gunnères hautes de 3 m, cousines géantes de la rhubarbe. Des fougères à foison. Des rhododendrons et des azalées explosant de roses et de rouges en mai et juin. Un délicieux jardin clos. Et une série de marches soulignées d’herbes folles, grimpant jusqu’à une table de pique-nique solitaire posée sous un pin, face au panorama marin.
Au bout de la route, un panneau : South Pole, penguins 16 200 miles. Juste en face vogue l’île de Carra, placée sous la protection d’un brownie, un farfadet au service des MacDonalds, qui la garde encore contre les descendants du clan Campbell, l’ennemi héréditaire…
Mer à gauche, mer à droite. À l’autre extrémité de Gigha (45 min de vélo), atteinte au fil de l’une de ces emblématiques single track roads (routes à voie unique) écossaises, entre pâturages et murets de pierre, deux plagettes secrètes se taillent une parenthèse enchantée.
À la belle saison, on loue facilement un vélo (classique ou électrique) au débarcadère. Plus original, mais moins rapide : un paddle ou un kayak de mer.
Islay, l’île du whisky
Du Mull of Kintyre, on s’embarque pour une autre traversée autrement longue : 2 h, plein ouest, jusqu’à la corpulente Islay (à prononcer Aïe-lè), étendue sur 620 km². Une île peu accidentée, moutonnant en pâturages et en landes à perte de vue.
La « Reine des Hébrides » ne doit son surnom ni à sa beauté (austère) ni à son rôle historique, mais à sa propension bien connue à distiller le whisky. Un véritable mode de vie, placé sous la coupe d’une dizaine de distilleries implantées aux quatre coins de l’île (résa impérative une, voire deux semaines à l’avance en été).
Sur la côte sud, le trio Laphroaig, Lagavulin et Ardbeg, aux étonnants toits en pagode victoriens, remonte à 1815-1816, période d’euphorie post-napoléonienne et de progrès technologiques – qui virent disparaître peu à peu les bouilleurs de cru locaux.
La plus ancienne de toutes, Bowmore, autour de laquelle s’est bâti le modeste chef-lieu d’Islay, date de 1779. Elle est l’une des rares à gérer elle-même le maltage, la plupart des autres distilleries confiant cette tâche à une unique malterie implantée à Port Ellen. Les farm-distilleries de Bruichladdich (1881, ressuscitée en 2001) et Kilchoman (2005) font, elles aussi, exception : elles cultivent leur propre orge, sur l’île, histoire de contrôler tout le processus.
Si le whisky écossais est tourbé, ici, il est très tourbé. Super heavily peated, annonce même l’Octomore de Bruichladdich ! Normal : dans ce pays largement dépourvu de bois, la tourbe, qui compose 85 % des sols, a toujours servi à sécher l’orge malté (germé)…
Islay se visite aussi pour ses landes et ses ruines qui évoquent une très ancienne implantation humaine. Une croix celtique tronquée (du VIIIe siècle) dressée devant les ruines de la chapelle de Kilnave, au nord-ouest de l’île. Une autre de la même époque – la plus belle d’Écosse peut-être –, gravée de lions étêtés et de scènes bibliques, à l’orée de la chapelle de Kildalton, diamétralement opposée.
Quelques pans de mur aussi sur l’îlot d’Eilean Mor, flottant derrière un rideau de roseaux, sur le loch de Finlaggan, quartier général médiéval des Lords of the Isles. Ici, là, des tombeaux de chevaliers en armes et armure entrouvrent les portes du temps.
Dans ce recoin bien solitaire de l’île, la réserve du loch Gruinart étend son patchwork de champs et de landes sur lesquels veille la Royal Society for the Protection of Birds.
Dès la fin de l’été, les premières bernaches nonnettes cacardant dans les cieux annoncent le déferlement à venir : d’ici novembre, la moitié de la population groenlandaise de cette grosse oie au cou noir et à la tête blanche aura investi Islay pour l’hiver (35 000 oiseaux). On les retrouve alors en moindre nombre sur les landes enserrant la divine plage de Machir Bay, sur la côte ouest. Du sable à perte de vue. Du vent. Des embruns.
Le coin est assurément tempétueux et ce ne sont pas les pêcheurs de Portnahaven, le bourg le plus gaélophone d’Islay, niché à l’abri de deux îlots sauvages, qui diront le contraire. Se serrant les coudes, ses habitants et ceux de Port Wemyss, sa jumelle, se partagent la même église. Une seule chaire, mais deux portes. À chaque communauté la sienne !
La côte sud-est, passé Ardbeg, offre une rare parenthèse boisée. L’occasion d’observer des cerfs, le soir. Certains se baladent même sur les plages.
Jura, l’île sauvage
Vu de l’ouest et du centre d’Islay, on jurerait que ces trois hautes montagnes pelées soulignent la côte est. Erreur, elles appartiennent à Jura, la voisine, juste de l’autre côté du chenal. Cinq minutes de petit ferry, à peine, sauf s’il faut attendre 1 h le suivant, s’il est plein…
En termes de densité, Jura détient une double palme : 200 habitants tout juste et 6 000 cerfs s’y partagent 367 km² de sommets dénudés (culminant à 785 m) et de landes tourbeuses. Autant dire presque 2 km² par insulaire et 16 cerfs au kilomètre carré ! Une particularité qui ne date pas d’hier… Son nom viking, Dýrøy, signifiait déjà « l’île aux cerfs ».
Du débarcadère, l’unique route rejoint Craighill, l’unique village, où s’implante l’unique hôtel de l’île, ses uniques épicerie et poste et son unique distillerie – relancée après des années d’abandon, dans l’espoir que son single malt donne un petit coup de fouet à l’île.
Au-delà, il faut apprivoiser plus que jamais la single lane track, naviguant courtoisement de passing place en passing place. Un jeu de saute-mouton au long ou en vue du Sound of Jura, jusqu’à voir se dessiner, à gauche, le tréfonds du loch Tarbert, qui coupe presque l’île en deux.
Le goudron, mangé d’herbe, cale finalement vers Lealt, passé le joli recoin boisé d’Ardlussa. Il ne reste plus qu’à enfiler ses meilleures chaussures pour partir en quête de Barnhill, la ferme isolée où, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, peu avant sa mort, George Orwell imagina le monde postapocalyptique et totalitaire de son incomparable 1984…
Du bout de la route, la piste traverse la lande sur 6,2 km jusqu’à Barnhill. Compter minimum 3 h A-R, bien plus (6 h 30-7 h 30) si vous voulez relier la pointe nord de l’île, où se forme l’un des plus puissants maelströms du monde, à Corryvreckan.
Colonsay, pour ses plages
De Port Askaig, deux fois la semaine, un ferry Calmac file plein nord vers cette petite île d’initiés (40,7 km²), audacieusement plantée au large, sous les vents dominants. Avec moins d’habitants encore que Gigha et Jura (125, à quelques têtes près), Colonsay s’étire sur une quinzaine de kilomètres de long pour un bon 3 km de large.
Du caillou et de la lande surtout, où s’entortille une unique single track en boucle – prolongée de deux bras. Pourquoi venir, alors ? Pour les plages, sauvages, ahurissantes. À Balnahard, au nord-est, atteinte par une piste, où achève de se décomposer une vieille épave. Sur la côte ouest plus encore, dont les anses profondes, percées dans la roche déchiquetée, révèlent à marée basse d’immenses tapis dorés.
La plus belle ? Kiloran Beach. Une mer, un océan de sable fouetté par le vent du large. Les vaches y broutent avidement le maigre machair littoral et, dans le ciel, s’imprime l’ombre XXL de l’aigle royal.
Comme toute île écossaise qui se respecte, Colonsay possède son manoir – Colonsay House, une bâtisse géorgienne du XVIIIe siècle, propriété des barons Strathcona. Leurs seigneuries ont la bonté de donner accès à leur parc, le mardi et le jeudi, pour un tarif fort symbolique.
Tout ce que l’île compte de végétation se niche là, à l’abri du vent, sur 12 ha. Venus des mers du Sud, cordylines et fougères d’Australie, crinodendrons et embothriums chiliens, magnolias haut de 15 m s’épanouissent dans la douceur du climat. Mais la palme revient aux rhododendrons, aux innombrables hybrides. Un petit paradis, double d’un délicieux salon de thé…
Le ferry reliant Islay à Colonsay ne circule que de tout début juillet au 20 septembre environ, les mercredis et samedis ; sinon, il faut prendre le bateau au départ d’Oban.
Fiche pratique
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Comment y aller ?
Les Hébrides intérieures sont (presque) aux portes de Glasgow, facilement accessible en vols directs depuis Paris avec EasyJet et Air France, et d’autres villes françaises avec EasyJet British Airways. À défaut, l’aéroport d’Édimbourg, situé à moins de 1 h à l’est, dispose de davantage de connexions encore (Air France, Transavia, Vueling, etc.).
Une fois sur place, même s’il existe des petits vols intérieurs, par exemple pour rejoindre Islay (avec Loganair depuis Glasgow) ou Colonsay (avec Hebridean Air Services depuis Oban), mieux vaut privilégier la voiture de location. Arran, Islay et Jura disposent certes de transports en commun, mais les bus sont assez peu fréquents et ne desservent pas les sites isolés.
En revanche, pour passer son véhicule sur les ferries, il faudra s’y prendre à l’avance, les liaisons étant souvent pleines en été, notamment pour rejoindre Arran et Islay. Le vélo est très populaire, mais entre le climat et le relief, il ne tient pas toujours de l’évidence ! Résas : www.calmac.co.uk
Quand y aller ?
Si on vous disait toute l’année, vous nous ririez au nez… Alors, certes, il ne fait pas trop froid en hiver (0-10 °C, merci le Gulf Stream), mais il pleut bien 2 jours sur 3… et encore 1 sur 2 en été ! En fait, ce sont les mois de mai et juin qui sont les plus secs, avec des températures diurnes de 15-18 °C. Les oiseaux marins ne s’y trompent pas, ils reviennent nidifier à cette période – la meilleure, à notre avis. Juillet est un peu plus chaud (18-21 °C), mais un peu plus humide et beaucoup plus fréquenté. Quant à août, c’est déjà la fin de l’été…
Où dormir ?
Tout dépend de son budget. Pour voyager à l’économie, il n’y a pas cent solutions : il faut camper, en sachant qu’on en sortira rarement très sec… Ni d’ailleurs indemne de piqûres de midges, ces sales petits moucherons qui se répandent au crépuscule, piquent et démangent affreusement si on se gratte… Seule solution : les ignorer, comme tout bon Écossais !
Le camping sauvage est autorisé en Écosse, à condition de respecter certaines règles – notamment de ne pas rester plus de 2-3 jours au même endroit et de ne laisser aucune trace. Les campings organisés disposent souvent de bungalows (appelés pods), pratiques quand il pleut. Certains se résument à 4 m² sans aucun aménagement sinon l’électricité, d’autres tendent au glamping avec cuisine, douche, terrasse, barbecue, chauffage, etc. Là, les prix décollent sévèrement et peuvent même dépasser ceux des B&B…
Les randonneurs peuvent aussi accéder dans certains secteurs isolés à des refuges sommaires généralement mis à disposition gratuitement (par exemple sur l’île de Jura).
Autre option à petit budget : l’hostel (auberge de jeunesse). On en trouve à Arran (Lochranza et Kilmory), Islay (Port Charlotte) et Colonsay.
Beaucoup de visiteurs logent en Bed & Breakfast, pour un tarif oscillant généralement entre 90 et 120 £ la chambre double (parfois moins, parfois plus), petit déjeuner écossais compris. La déco est quelquefois un peu datée, mais on y dispose presque toujours d’une salle de bains privée et d’un accueil gentil, voire carrément cordial.
Quelques-uns de nos chouchous :Buttlodge à Arran, Achamore Lodge et Achamore House à Gigha, Loch Gruinart à Islay, Ardlussa Estate à Jura et Creag nan Ubhal B&B à Colonsay.
Les hôtels étant invariablement chers (120-250 £) et d’un rapport qualité-prix assez médiocre, beaucoup de Britanniques se retournent vers la formule self-catering en louant bungalow, cottage ou maisonnette pour quelques jours ou à la semaine. Les propriétés du National Trust ont souvent davantage de charme que les autres et s’implantent dans des lieux privilégiés.
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Où manger ?
On ne s’étonnera pas que le poisson frais soit souvent au menu, de même que le délicieux pâté de maquereau fumé (idéal pour un en-cas avec des crackers), le fish & chips, le cullen skink (une soupe épaisse de haddock fumé, pommes de terre et oignons), les langoustines locales, fish cakes (frits, dommage…) et autres fish pies.
Le midi, les tearooms et cafés proposent aussi soupe du jour, bagels (au saumon par exemple), sandwichs, toasties, paninis et burgers à relativement bon compte (6-15 £). Le soir, toutefois, dans les restaurants, les prix s’envolent pour un résultat qui, soyons honnête, n’est pas souvent extraordinaire.
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :