Les chutes d’Iguazú, grandeur nature
Imaginez un pays de forêt tropicale profonde, au cœur duquel s’écoulent les méandres d’une rivière géante. La voici, soudain, qui se heurte à un seuil rocheux, s’engouffre dans un canyon étroit en chutes d’eau homériques : Iguazú.
Le film Mission de Roland Joffé, Palme d’or à Cannes en 1986, a fait connaître au monde entier cette terre magnétique où des missionnaires jésuites sont venus, au XVIIe siècle, convertir les Indiens du sud de l’Amazonie. Ils donnèrent naissance, aux confins des actuels Argentine, Brésil et Paraguay, à un véritable état théocratique égalitariste, dont la réussite fit bientôt de l’ombre au roi d’Espagne…
Deux siècles et demi plus tard, les ruines des reducciones (missions) demeurent, mangées par la forêt. Une terre d’aventures, encore et toujours, aux confins de l’Argentine, du Paraguay et du Brésil.
Préparez votre voyage avec nos partenairesSpectaculaires chutes d’Iguazú
La clameur est assourdissante. Impossible de se parler. Sur 2,5 km de large, l’eau sourd de partout. De droite. De gauche. Elle plonge dans le canyon, glisse en paliers, rebondit, se diffuse en rigoles innombrables. Le flot dévale la faille géologique en une, en 10, en 100, en 275 chutes composant un immense tableau aquatique. Cataracte en fer à cheval, cascades simples, doubles, triples ou en bataillons entiers, émergent du vert bruissant de la canopée. Bienvenue aux chutes d’Iguazú !
Dans le tonnerre des eaux furieuses, s’élèvent de colossales gerbes d’embruns emportées par le vent. Leurs rideaux se déchirent par instants sur la béance du gouffre, dévoilant le lit de la rivière, entravé de blocs rocheux et d’îlots herbeux. Des arcs-en-ciel s’accrochent aux nuées, se hissent dans le ciel, se dédoublent, s’évaporent finalement, tandis que le soleil s’enfuit derrière l’opacité d’un nuage de passage.
Dans le tréfonds du canyon, un bateau vif et agile fuse à contre-courant au-dessus des rapides, se cabre, se redresse, puis disparaît dans le brouillard des eaux. Quelques instants plus tard, les chutes le recrachent, ses passagers dégoulinant et frissonnant.
Deuxième round, deuxième douche, plus forte, plus intense. À bord, des cris, des rires hystériques s’élèvent. Drôle de sensation, entre le grand huit et l’impression de se faire avaler par Moby Dick… Le grand frisson, avant le retour sur la terre ferme.
Selva paranaense
Le río Iguazú marque ici la frontière entre l’Argentine, au sud, et le Brésil, au nord. Les chutes sont d’ailleurs, elles-mêmes, partagées entre les deux pays. La plus grande partie se regroupe côté argentin, où les sentiers, plus nombreux, permettent de profiter de davantage de points de vue.
De Puerto Iguazú, gentille capitale argentine des cataratas, aux rues pavées de blocs disjoints, un bus part toutes les 30 min pour l’entrée du parc national, situé à 15 km de là. Centré sur les chutes, il protège, sur 54 000 km2, l’un des derniers pans vierges de la selva paranaense, la deuxième plus grande forêt d’Amérique du Sud après l’Amazonie.
Réduite à une portion congrue par le développement de l’agriculture au fil du siècle passé, débitée en vestiges dispersés, elle couvre aujourd’hui moins de 10 % de sa superficie initiale (1,2 million de km2). Ce monde de transition avant les terres tempérées est pourtant d’une richesse biologique rare.
La végétation y garde une apparence largement tropicale avec ses arbres géants, son humidité constante et son foisonnement de plantes épiphytes, emblématiques de la variété de la flore (2 000 espèces répertoriées).
La faune n’est pas en reste, avec 530 espèces d’oiseaux recensées, mais aussi des tapirs, des cabiais, des tamanoirs, des loutres et même, au plus profond du couvert végétal, des jaguars, des ocelots et des pumas. Reste que, durant l’hiver austral, lorsque les masses d’air glacé remontent du sud, le thermomètre chute ; la nuit, il arrive qu’il titille le 0 °C…
Côté argentin, c'est Iguazú
De l’Estación Cataratas, desservie par un petit train touristique, un premier sentier très aménagé, le Circuito Superior, dessert une série de passerelles. On tutoie ici les chutes par le haut, avant qu’elles ne s’abattent dans le fracas de mille machines à laver. Au bout, l’arc de cercle du salto San Martín, dégringolant de 70 m de haut, dessine une forme d’apothéose.
Plus impressionnant encore, le Circuito Inferior (1,7 km) dévale vers le río, au gré d’un lacis d’escaliers. Les mêmes cascades s’y dévoilent par le bas, noyant les visiteurs, les fougères et les impatiens dans les nuées de leurs embruns. Certains ont adopté le ciré. D’autres prennent les eaux avec délice… Autre solution, le petit bateau qui assure la traversée jusqu’à l’Isla San Martín, pour d’autres points de vue encore.
Le tren ecológico continue sa course à la lisière de la forêt. De son terminus, un autre chemin, prolongé par un pont, s’élance sur l’eau, d’îlot en îlot, pour gagner le cœur du lit du río, en amont des chutes. Une impression de calme avant la tempête laisse vite place à une forme d’excitation : les roulements de tambour du salto Unión enflent sans discontinuer à l’orée de la Garganta del Diablo ("la gorge du Diable").
Soudain, le vide. La rivière s’abandonne, formant la cataracte la plus spectaculaire : 80 m de haut et des "fumerolles" qui se laissent deviner à des kilomètres à la ronde ! Il passe trois fois plus d’eau ici, chaque seconde, que sous le pont Alexandre III. Quelques oiseaux, imperturbables, tracent des cercles : des martinets à tête grise – les vencejos de cascada –, qui nichent directement sous le vent des chutes.
Du côté brésilien, on dit Iguaçu
Un autre jour, il faut explorer la rive brésilienne où les chutes se nomment Iguaçu. Si l’espace y est plus compté, la vision des chutes argentines depuis le belvédère principal est inégalable : elles s’offrent en un vaste amphithéâtre grandiloquent, dévalant en deux paliers majeurs qu’encadre le vert intense de la forêt.
Un chemin de 1,2 km épouse le rebord de la gorge, avant de descendre jusqu’à une longue passerelle s’avançant sur les eaux… au pied même du Salto Unión. Aucun K-Way n’y résiste. Les Brésiliens, pragmatiques, y vont tous en bikini et maillot de bain !
Toujours inquisiteur, un coati pointe son museau. Le voici qui s’approche, long nez à la truffe hérissée, se pourléchant par-dessus des dents bien acérées. Ce cousin du raton-laveur, aux oreilles rondes et à la longue queue annelée, toujours dressée, ne se refuse rien : il fouille les poubelles, quémande et dévalise sans vergogne les paniers à pique-nique… On en a même vu qui, défiant les interdictions de les nourrir, conduisent des attaques de touristes en bande organisée !
Si vous n’avez pas encore eu la chance de croiser un ara hyacinthe ou une harpie féroce (aigle), filez sur le parque das Aves (photo), aménagé à la sortie du parc national. Peu de barreaux ici, mais une grande volière de 5 ha, étendue au cœur même de la forêt, où volettent quelque 150 espèces d’oiseaux tropicaux – dont une multitude de toucans particulièrement peu farouches. Ce n’est pas la nature, mais ça y ressemble bien.
Itaipú, le plus grand barrage au monde
Longue de 1 320 km, la rivière Iguaçú se jette, un peu en aval des chutes, dans l’immense Paraná – qui forme, avec quelque 4 000 km, le troisième réseau hydrographique au monde après ceux de l’Amazone et du Mississippi. C’est à leur confluent qu’a grandi Puerto Iguazú. Là, au Hilo de las tres Fronteras, un obélisque dressé marque le lieu où se touchent et se séparent Argentine, Paraguay et Brésil.
Du côté brésilien, Foz do Iguaçú a, elle aussi, grandi sur les berges du fleuve, en amont. La cité, désormais hérissée de gratte-ciel, n’a connu de véritable essor qu’avec l’inauguration, en 1965, du pont de l’Amitié, la reliant à la ville paraguayenne de Punta del Este – paradis du shopping duty free et de la contrebande.
Une décennie plus tard, un autre projet, mille fois plus ambitieux, concrétisa toutes ses ambitions : le barrage d’Itaipú (photo), le plus grand au monde ! Arabes, Chinois et Européens débarquèrent alors par milliers pour construire et superviser l’ouvrage d’art.
Les chiffres résument bien son ampleur : 17 % de la consommation d’électricité du Brésil, 73 % de celle du Paraguay, un lac de réservoir deux fois grand comme New York et 20 turbines produisant chacune assez d’électricité pour alimenter une ville de 2,5 millions d’habitants ! On le constate lors du tour très surveillé des installations : lorsque toutes les vannes sont ouvertes, le débit est 4 fois plus important que celui des chutes d’Iguaçú.
Au fil du Paraná
En aval, le fleuve Paraná marque la frontière entre Argentine et Paraguay. Large de 500 m à 1 km, le fleuve traverse un pays plat, souligné ici et là par de vieux reliefs basaltiques. Ceux qui descendent vers le sud feront une escale aux mines de Wanda, peu après Libertad. On y visite une petite carrière d’améthystes, en partie enchâssées dans la roche mère. Naturellement, la boutique de souvenirs vous guette…
Eldorado annonce l’entrée dans le pays du maté. La cité, qui n’aurait rien eu pour plaire aux conquistadores des premiers temps, doit son nom aux nombreux immigrants européens qui vinrent y développer l’agriculture à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.
La région entière regorge de noms pleins de promesses : Esperanza, Victoria, Puerto Rico, Oasis, Jardin America… Les colons implantèrent agrumes, thé, tabac, canne à sucre, riz et café, mais se sont surtout dédiés à cette incontournable yerba mate, déjà cultivée par les Indiens Guaraní. Les Argentins n’ont de cesse de siroter cette tisane, paille en métal plongée dans une tasse taillée dans une calebasse.
À Posadas, la charmante Galería del Mate (photo) se fait un plaisir d’expliquer le bon procédé pour une dégustation idoine : versez les feuilles concassées à l’oblique, puis un peu d’eau froide, puis davantage d’eau chaude. Le goût est acre, amer, peu séduisant pour le palais inaccoutumé.
Mais, à l’aspirer à petites gorgées, le maté libère des parfums de bois et de végétal rappelant le thé vert. Cocktails, glaces et même shampoings, on le retrouve désormais partout !
Terre de missions
Face à la grande plaza herbeuse, la cathédrale, chancelante, dresse au soleil levant une façade scindée en deux par le temps. Des échafaudages soutiennent ses colonnes et ses murs, branlant malgré leur 2 m d’épaisseur. Le génie des sculpteurs demeure, néanmoins, à travers les corniches, les fleurs, les anges gracieux ciselés dans l’ocre rouge du grès.
Le musée du site met en lumière l’histoire de San Ignacio Mini (photo) et de toutes ces missions fondées par les jésuites à partir de 1609, aux confins des cours supérieurs du Paraná et du Paraguay. Appelés pour pacifier ce vaste territoire réfractaire à la colonisation, les religieux y donnèrent naissance à des cités idéales, fondées sur la crainte de Dieu et l’égalité des hommes entre eux.
Les Indiens Guaraní, très attachés à cette dernière notion, au prestige des chamans et à la quête d’une "terre sans mal", furent leurs meilleurs élèves. De loin en loin, s’élevèrent bientôt 30 reducciones au modèle identique, comprenant vaste place centrale, cathédrale, cimetière, école, prison, ateliers et habitations au-delà, selon un plan en damier.
Baignés de christianisme, les Indiens y vivaient à l’abri du servage et des trafiquants d’esclaves – n’hésitant pas à prendre les armes, avec la bénédiction des curés, pour repousser leurs sanglantes offensives.
Bénéficiant d’une réelle autonomie, unique en cette période coloniale, les Jésuites adoptèrent les structures sociales guaraní et la propriété collective. Ils abolirent la peine de mort, assurèrent l’alphabétisation et les besoins essentiels de tous, veuves et orphelins compris.
Au Paraguay
Dans les années 1730, le territoire jésuite s’étendait sur un pays grand comme les deux tiers de la France. Les missions regroupaient 140 000 personnes, tous Indiens, en-dehors des curés (au nombre de 2). L’expérience touchait à son apogée et le savoir-faire des artisans guaraní se diffusait jusqu’en Europe.
S’il ne reste rien de leur génie métis à Loreto ni à Santa Ana (proches de San Ignacio), les missions paraguayennes, de l’autre côté du fleuve, tiennent, elles, toutes leurs promesses. Elles font partie des 7 reducciones classées au patrimoine mondial de l’Unesco – l’occasion d’une bien jolie incursion dans ce pays méconnu.
Atteinte depuis Posadas, La Santísima Trinidad (1706, photo) semble défier le temps. Les visiteurs sont rares, l’herbe bien tondue, les ruines consolidées. Sur la pierre, des pampres et des animaux courent sous le regard d’anges musiciens, un peu hiératiques, aux ailes lourdes.
Sur le flanc intérieur, la cathédrale éventrée a conservé un portail étonnant, incontestablement baroque, aux longues pierres taillées en étoile. La chaire est splendide. Alentours, on croise une Vierge à l’éventail.
À 12 km de là (taxi obligatoire, pas de bus), Jésus de Tavarangüe semble oublié pour de bon. Posée sur un petit tertre dominant une belle campagne, l’église, superbe malgré son toit manquant, séduit avec ses élégantes baies mozarabes et sa petite fontaine.
Fondée lors de l’une des dernières missions, elle était encore en travaux lorsque le roi d’Espagne livra le domaine jésuite au Brésil, en 1750. Peu après, l’ordre était rayé de la carte par la papauté. La fin d’une épopée.
Fiche pratique
Pour préparer votre séjour, consultez nos guides en ligne Argentine, Brésil et Paraguay.
Comment y aller ?
On rejoint aisément Iguazú depuis Buenos Aires avec LAN ou Aerolineas Argentinas. Côté brésilien, l’aéroport de Foz de Iguaçú est desservi par TAM et GOL, ainsi que par la low cost Azul Airlines.
Ceux qui n’ont pas peur des longs trajets en bus pourront rallier directement Posadas (au moins 5 h), Buenos Aires (au moins 16 h) et Salta (23 h) depuis Puerto Iguazú, ou Curitiba (4 h 30), Florianópolis (14 h), São Paulo (16 h), Rio (23 h) et le Pantanal (via Campo Grande) depuis Foz do Iguaçú.
Crucero del Norte assure plusieurs fois par jour un service direct entre les chutes argentines et brésiliennes (sinon, il faut transiter à Foz). Bus toutes les 30 min environ de Puerto Iguazú vers les chutes argentines, de Foz do Iguaçú vers les chutes brésiliennes et entre Puerto et Foz.
Quand y aller ?
Le climat de la province de Misiones est subtropical. Il pleut toute l’année (près de 2 m d’eau en tout !), avec un minima en mars. Durant l’été austral, les pluies s’abattent surtout sous forme d’averses violentes mais courtes.
Les températures varient assez largement, de 10,7 °C/20,7 °C de moyennes basse et haute en juin à 20,4 °C/30,8 °C en janvier.
Le mercure peut varier assez drastiquement et rapidement en fonction de l’influence des masses d’air venues du Brésil (chaudes) ou du sud de l’Argentine (froides).
Où dormir ?
À Iguaçu, les options sont innombrables, d’un côté comme de l’autre de la frontière, mais presque toujours à distance des chutes.
Au choix : camping, auberges de jeunesse, posadas et pousadas bon marché, hôtels plus ou moins confortables, jusqu’aux 2 grands établissements de luxe implantés à l’intérieur même du parc (à choisir, l’Hotel das Cataratas brésilien, membre d’Orient Express, a le plus de charme).
Plus petit, entouré par la forêt, Puerto Iguazú est plus séduisant que Foz de Iguaçú. Pour visiter les missions, on s’installe à San Ignacio (bon choix) et/ou à Posadas (bof).
Trouvez votre hôtel à Puerto Iguazu et Foz do Iguaçu
Liens utiles
Le site touristique de la région de Misiones (en espagnol)
Parcs nationaux argentins (en espagnol)
Les chutes d’Iguazú côté argentin
Les chutes d'Iguaçu côté brésilien (en anglais et portugais)
Saltos del Mocona (en espagnol) : moins connues, ces chutes sont néanmoins superbes : uniques au monde, elles forment un front de 3 km de long !
Écoutez Road Trip Argentine, le podcast du Routard :
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :