Bonjour,
Peut-être tout simplement n’ont-ils rien eu à dire à leur retour, ceux qui ont “fait” la Thaïlande, parce qu’ils en sont revenus un peu désabusés, voire déçus, ou pire encore : dés-enchantés ? Peu de destinations sont aussi propices aux rêves et aux fantasmes. Entre brochures touristiques sur papier glacé, souvenir d’Emmanuelle et son fauteuil d’osier, Bangkok et ses mystères, la fascination de l’Asie profonde, cerf-volants, oiseaux de paradis, temples en ruines dans la jungle - Et la lune descend sur le temple qui fut -, procession des bonzes dans leur robe safran, sagesse du bouddhisme millénaire, on prend son billet de longs mois avant le départ, on s’y prépare, on en rêve, on feuillette des guides, on lit les forums de voyages, on en parle au bureau, on écoute avec envie ceux qui l’ont “faite”, la Thaïlande, Ah, tu verras, tu verras, c’est inoubliable, c’est magique, c’est… c’est… y’a de mots… et puis, il y a la réalité, l’attente à l’aéroport dans la queue à l’immigration, l’attente des bagages, t’as pas vu la valise bleue ? la chaleur, l’humidité, le taxi qui ne veut pas mettre son compteur, pour Kao San Road, c’est combien ? T’as la calculette ? Ça fait combien, en euros ? Tiens, y’a même un Macdo… Finalement, c’est un pays comme les autres, ni meilleur, ni pire, pas grand-chose vraiment qui prête au rêve ou au fantasme. La plage “paradisiaque” - c’est le terme consacré - est bien conforme à la carte postale, il y a même des sacs plastiques et des mégots en plus, et pas mal de cellulite, mais curieusement, lorsqu’on y est, elle a perdu son côté magique. Après tout, c’est une plage comme toutes les plages, pas très propre et bourrée de touristes, et, maman ! y’a des méduses ! Et c’est quoi, les petites bêtes, là ?
Les psychiatres ont identifié un “syndrôme de Paris” qui touche certains touristes, notamment japonais. Le décalage est tel entre la vision fantasmée d’un Paris idéalisé par Amélie Poulain, les Années folles, Montmartre et ses peintres bohèmes, Montparnasse et ses terrasses de bistros ou Modigliani vous échange un sandwich contre un dessin crayonné au dos d’un sous-bock, French-cancan, Moulin Rouge, les caves de Saint-Germain-des-prés et tout le folklore, et la réalité d’une capitale moderne avec ses murs tagués, ses SDF qui dorment sur des cartons, ses crottes de chiens et ses gamins roms qui vous font les poches dans le métro que certains deviennent fous, sont en proie à des malaises, à des délires, à des envies de suicide et doivent être rapatriés d’urgence. Ceux-là, lorsqu’ils reviennent au pays, n’ont sans doute guère envie de partager leur expérience sur les forum nippons.
On promet de relater ses aventures, de partager son carnet de voyage, mais au fond, qu’est-ce qu’on a à dire, au retour, de vraiment intéressant qui n’a pas été dit mille fois et qui ne se trouve pas dans les guides touristiques, à part le prix qu’on a payé le bateau pour la balade obligée sur les canaux ? (pardon, le “long-tail sur les khlongs” qui fait plus exotique, mais moins tout de même que le “ruea hang yao” auquel on reconnaît infailliblement l’initié de longue date). Qu’est-ce qu’on a compris ? Qu’est-ce qu’on a vu ? Des gens avec lesquels on n’a jamais pu communiquer, parce qu’ils ne parlent pas un mot d’anglais et que, décidément, le thaï est une langue impossible, des commerçants plus ou moins souriants, comme tous les commerçants du monde, et qui essaient volontiers - comme tous les commerçants du monde - de vous faire payer un peu plus cher, le commerçant appelle ça son bénéfice, le touriste appelle ça une arnaque, des endroits touristiques qu’on a sillonnés de guest-houses en guest-houses sur un circuit balisé sans grande surprise : Bangkok, Ayutthaya, Kanchanaburi, Sukothai, Chiang Mai, la journée avec les éléphants bien traités, le village montagnard, un marché flottant, une ferme à orchidées, les touristes qu’on a rencontrés lors des étapes du voyage, le Belge si sympa, la famille de Québecquois avec ses deux gamins insupportables, le couple de Clermont-Ferrand qui avait perdu ses valises, tu te souviens, Ninette ? Puis un vol pour Koh Samui, Phuket ou Krabi, les fameuses plages “paradisiaques” du sud, quelques photos pour montrer aux collègues de bureau, et c’est à nouveau l’aéroport, on achète un tuk-tuk en plastique histoire d’utiliser les derniers bahts qui restent, la perspective des factures qui attendent dans la boîte aux lettres, mais décidément, y’a que chez soi qu’on est bien. Qu’est-ce que tu dirais, chérie, si l’année prochaine on “faisait” le Brésil ? Brochures touristiques sur papier glacé, plages “paradisiaques”, c’est le terme consacré, nuits électriques de Rio de Janeiro, ses écoles de samba, ses favellas grouillantes, boas, alligators et piranhas (bien traités), tout le mystère de l’Amérique latine. Promis, on vous racontera au retour !
Alors, ce routard qui cherchait des bons plans à Ubon Ratchatani et qui avait promis de “renvoyer l’ascenseur”, après tout, que pouvait-il bien en dire ? Je me mets à sa place, je connais bien Ubon, j’habite pas très loin, et je me demande effectivement en toute honnêteté ce qu’on peut bien en dire. Je peux vous donner l’adresse de mon restaurant préféré : Sizzler, dans le centre commercial. C’est celui que je préfère, parce qu’il n’y a pas de riz, pas de spécialités locales, pas de piment, et que je peux y manger un vrai steak tendre et vraiment saignant comme je les aime. Désolé, mais la cuisine locale, c’est bien quinze jours, trois semaines, un mois, à la rigueur. À l’année, ça devient une épreuve, sans compter qu’à la longue, ça fait des trous dans l’estomac, c’est mauvais pour mon ulcère. Pour le reste, quelques temples indiqués dans tous les guides, des rizières autour, un festival des bougies pour Khao Phansa au mois de juillet, où année après année, défilent les mêmes chars, et circulez, il n’y a rien à voir, sinon une ville de province comme toutes les villes de province. Il y a certainement un charme discret des villes de province, celui de Romorantin, de Tulles ou de Vierzon, mais rarement de quoi remplir un carnet de voyage.
Je serai moins sévère que Raoultabille envers les chers disparus. Et même, j’ai envie de les remercier de ne pas avoir posté ces photos affligeantes où papy pose devant un éléphant (peut-être même pas très bien traité) et Tatie Michèle prend des poses dans le soleil couchant. Il faut un réel talent pour raconter ses voyages sans parler du prix du pad thai, de l’horaire du bus pour Lopburi, de l’emplacement de l’ATM, et sans emmerder les lecteurs. La plus belle relation, c’est peut-être encore celle de Xavier de Maistre autour de sa chambre : “Après mon fauteuil, en marchant vers le nord, on découvre mon lit, qui est placé au fond de ma chambre, et qui forme la plus agréable perspective. Il est situé de la manière la plus heureuse : les premiers rayons du soleil viennent se jouer dans mes rideaux.”
Cordialement.