Bonjour,
Sur une île du Chao Phraya, à quelques kilomètres d’Ayutthaya, vous pouvez vous arrêter à Bang Pa In, un palais royal édifié en 1632 et retouché, reconstruit, enrichi (enlaidi ?) au fil des règnes, ce qui lui donne un côté assez kitch et composite. Bon, ce n’est pas Versailles (même si ça voudrait parfois s’en inspirer), mais il y a de très beaux jardins et on peut louer des petites voiturettes électriques pour en faire le tour. Vous ne manquerez pas de vous recueillir quelques instants devant l’oratoire dédié à la reine Sunanda Kumariratana, une des filles du roi Rama IV (Mongkut pour les intimes, celui d’Anna et le roi) et épouse du roi Chulalongkorn, morte noyée en 1881 dans sa dix-neuvième année suite au naufrage de son bateau sur le Chao Phraya. C’était d’autant plus ballot qu’on aurait très facilement pu la sauver, mais comme il était absolument interdit sous peine de mort de toucher une personne de sang royal, les nombreux témoins de l’accident ne sont pas intervenus et ont laissé leur souveraine se noyer sous leurs yeux. En apprenant l’attitude de ses sujets, le roi Chulalongkorn en a été sidéré et outré. Il ne pensait pas que son peuple puisse être si… [censuré]. Attention, les billets ne sont plus vendus après 15h30, et une tenue stricte est exigée (pas de shorts, pas de jupes courtes, et les épaules couvertes, comme au Wat Phra Kheo).
Pas très loin d’Ayutthaya, au Wat Phra Phutthabat de Saraburi, se trouve la plus révérée, la plus vénérée, la plus sacrée des empreintes de Bouddha. Il en existe des centaines en Thaïlande, presque autant que des authentiques tapis de selle du général Custer au Far-West, mais celle-là, c’est une vraie, d’ailleurs elle possède les 108 signes propices. Elle mesure 1,52 mètre de long, ce qui permet d’en déduire que Bouddha chaussait du 228 et demi. Vous ne manquerez pas de laisser dans l’empreinte une liasse de gros billets, un bijou en or, votre Rolex, le solitaire de votre épouse, quelque chose de conséquent, ça porte bonheur. Et ça redorera l’image des Français qui passent trop souvent pour des “kiniao”, d’incorrigibles radins constipés.
Enfin, pourquoi pas Lopburi ? Il n’y a pas que les singes (c’est même ce qu’il y a de moins intéressant à voir). C’est aussi un lieu de mémoire où se trouvent de nombreux vestiges des relations franco-siamoises au XVIIe siècle. C’est là que le Grec Constantin Phaulkon (Monsieur Constance pour les Français), conseiller du roi, avait sa résidence, au bout de la “Thanon Farangset”, - la Rue de France - lointain écho de la “Rue de Siam” à Brest, par où passèrent les ambassadeurs siamois en 1686. On peut la visiter, elle est malheureusement dans un état pitoyable (on peut aussi se contenter de lire la description qu’en fait Somerset Maugham dans Un gentleman en Asie. Rien n’a changé). Et puis, la résidence du roi Naraï, le Phra Narai Ratchaniwet est tout à fait agréable à visiter, avec ses jardins et ses portes gigantesques taillées pour laisser passer les éléphants.
À l’intérieur du palais du roi Naraï se trouve un petit musée avec quelques pièces intéressantes, dont un tableau (réalisé d’après une gravure) qui dépeint la réception du Chevalier de Chaumont, ambassadeur de Louis XIV, par le roi Naraï. Entrevue savoureuse ! Chaumont devait remettre au roi Naraï une lettre du Roi Soleil, mais la règle étant qu’on ne devait jamais se trouver à la même hauteur qu’un roi de Siam, on lui avait demandé de se courber pour remplir son office. Chaumont était un imbécile, mais il avait la fierté nationale chevillée au corps, et il jugeait impensable qu’un ambassadeur envoyé par le plus grand monarque du monde s’abaisse devant un roitelet indigène. On négocia longtemps ; finalement, il fut entendu que le roi Naraï se tiendrait dans une loge surélevée, et Chaumont poserait la lettre sur un plateau muni d’un long manche. De cette façon, il n’aurait pas à se baisser, et le roi serait tout de même plus haut.
Il est interdit de photographier dans le musée. J’ai eu beau discuter, expliquer que sans flash, c’était sans risque, mettre en avant le charme de ma femme (c’était il y a quelques années déjà), faire miroiter des liasses de billets de banque, le gardien fut intraitable. Le règlement, c’est le règlement. Je suis donc sorti fort déçu, mais, à peine avions-nous fait quelque pas que ma femme, en se retournant, vit que le cerbère abandonnait son poste et laissait la petite salle sans surveillance (problème de vessie ?) Évidemment, nous y sommes retournés et j’ai photographié le tableau convoité, pendant que mon épouse faisait le guet à la porte. Je suis content de le poster ici, il m’a coûté du temps et de la sueur.
Le personnage prosterné à gauche est Constantin Phaulkon, qui fait signe à Chaumont de lever un peu la main pour que le roi n’ait pas à se baisser pour prendre la lettre. L’ecclésiastique à l’extrême droite est Mgr Louis Laneau, des Missions étrangères, et entre Laneau et Chaumont, de profil, on voit le seul portrait qui existe de Timoléon, abbé de Choisy, coadjuteur de l’ambassade, personnage absolument savoureux et extravagant dont la grande passion était de se travestir en femme.
Enfin, à trois ou quatre kilomètres de Lopburi, se trouve le site de Thale Chubson, où le roi Naraï avait fait construire une sorte de petit Trianon, et où il observait souvent les astres et les étoiles avec les érudits jésuites français, dont le père Tachard, qui joua un si grand rôle dans cet épisode historique.
Le site est très difficile à trouver, mais avec un peu de chance, on peut tomber sur quelqu’un qui connaît. C’est là que fut exécuté Phaulkon après le coup d’état de 1688. On peut y voir les vestiges d’un système d’irrigation construit par l’ingénieur français Lamare, et un curieux escalier qui ne mène nulle part : celui qui servait au roi pour monter sur son éléphant (bien traité, celui-là. Il mangeait dans de la vaisselle d’or). Mais bon, à part ça, il n’y a pas grand-chose à voir, c’est vraiment pour les passionnés…
De la lecture pour les vacances ? Lisez donc “Le faucon du Siam” de Axel Aylwen, trois volumes passionnants sur la vie de Phaulkon, un peu (pas mal) romancée. Et lisez “Pour la plus grande gloire de Dieu” de Morgan Sportès, la fin pitoyable des ambassades franco-siamoises.
Cordialement,
PVM