Je suis parti de l’avant. Le soleil était déjà haut, quand le camion m’a rattrapé en klaxonnant salement. C’était un camion ordinaire sur un boulevard circulaire qu’on avait dû dégager sur une muraille, un ensemble de bastions ou toute autre défense imprenable, qui finit toujours par être prise. Alors, les vieux parapets, on les arase par dépit, pour faire rouler des camions malpropres et aussi pour les punir d’avoir échoué à empêcher l’invasion, la pénétration des corps étrangers dans la ville fortifiée.
Je marchais vers la gare, du pas de celui qui a bien dormi, correctement mangé, et entend bien ne pas rater le prochain train, dont on ignore l’horaire, mais que l’on pressent être sur le point de partir. Alors voilà, on pose sous l’hygiaphone des tas de zlotys, une monnaie qui vaut tout juste le papier qui sert à l’imprimer.
Et, j’te l’avais dit… le train s’en va… il faudra attendre le suivant sur le Perron numéro trois. Ici le quai se dit Perron, le polonais a gardé du français, le goût des mots désuets comme frizjer, mezalians et attaché.
La gare de Gdansk est rouge de briques et noire de suies.
Gdansk aujourd’hui… autrefois Dantzig, une grande ville prussienne. Le Corridor de Dantzig… y-a-t-il un Français qui veuille mourir pour Dantzig ? La réponse remplit les livres d’Histoire.
Comme on a un peu de temps, on va attendre ensemble, le prochain train pour Sopot, le Deauville polonais au bord de la Baltique, aux eaux grises et au sable jaune. Si on gratte la grève avec un bâton délavé par le sel, on peut trouver des morceaux d’ambre jaune… et parfois un insecte y est enfermé. Pétrifié à jamais.
En attendant le train sur le perron numéro trois, j’entends le bruit métallique de la ville : on y cogne ! Les mains en cornet on y gueule aux grutiers des conseils qu’il n’entendra pas, on y soude, on y assemble des navires immenses et rouillés, en pleine ville, dans des bassins grands comme des lacs. Et des hommes-fourmis escaladeront en colonne des montagnes d’acier qui flotteront un jour…. sur des mers blanches.
Le train enfin, petit et faubourien. En attendant le coup de sifflet du départ, je sors mon carnet de voyages. J’y note des choses, des machins et des trucs, de voyage en voyage, des impressions sans importance qu’on relit avec tendresse, ou agacement, des années plus tard.
Le train se faufile entre les maisons, les champs, les bois de bouleaux blancs ou noirs, qui séparent Gdansk de sa station balnéaire.
Dans le wagon, des étudiants bodybuildés et des ménagères entre deux-âges. Quelques moustachus… car il en faut. Des gueules de Solidarnosc, et des tronches de Lech Walesa en bleu de travail, des types qui croient en la Sainte-Vierge, des pue-la-sueur qui croient en la vodka, et qui ont fait tomber l’Empire Soviétique, autrefois avec leurs yeux bleus et leurs ongles noirs.
Enfin Sopot, ses grands hôtels, ses pontons de bois de pin qui pénètrent la mer baltique, comme des doigts blonds dans une chevelure grise.
La vertu d’un voyage, c’est de purger la vie avant de la garnir. C‘est de qui au fait ? De Nicolas Bouvier, probablement, c’est son style.
Ici, les Prussiens ont purgé les juifs, les partisans de l’Armée Rouge ont purgé les Prussiens et puis les Polonais, purgés en Ukraine, sont arrivés un matin glacial, la valise à la main, sur le Perron numéro trois de la gare de Gdansk. Ils habiteront un pays purgé où nul ne peut savoir comment, autrefois on vivait sous les hautes halles des marchands de Dantzig, et dans les palais de Sopot aux tapis si épais.
On ne sait plus… où est la frontière.
Il ne faut pas être découragé par l’absence de réactions : vous écrivez très bien (trop bien pour l’époque?) et il ne faut, j’espère, accuser que la paresse des lecteurs.
Alors pour cesser de contribuer à cette incurie ( car je dois bien avouer que j’ai découvert votre message il y a quelques mois en faisant des recherches sur la Pologne) je me suis décidé à vous dire que nous sommes probablement nombreux à espérer d’autres billets d’humeur aussi évocateurs, aussi riches en informations, aussi sensibles et aussi justes.
J’irai à Gdansk dans quelques jours et je vous dirai mon sentiment.
Mille fois merci.
Super pour vous, c’est le meilleur moment ! Vous allez tomber en plein dans la Foire de Saint Dominique. Un truc immense : fêtes populaires, concerts, braderie et brocante dans le centre historique.
Bon séjour !
merci beaucoup pour cette info!
J’ai vu que ça durait jusqu’au 17 août , pensez-vous qu’il soit nécessaire de réserver un hôtel?
Oui, oui, vous avez tout intérêt à réserver un hôtel durant cette période car Gdansk accuille des centaines de milliers de touristes à cette époque !
Si tout est pris à Gdansk essayer dans les villes voisines : Sopot et Gdynia.
Mieux que l’Hôtel, essayer les chambres chez l’habitant, via Airbnb ou Booking, voire directement sur les sites polonais.
Simple : taper dans le moteur de recherche le nom de la ville + “noclegi”
ex : Noclegi Gdańsk, nocleg w Gdańsku [Zarezerwuj]
Bon séjour !
nous nous y mettons tout de suite du coup en espérant qu’il n’est pas déjà trop tard.
merci pour les derniers renseignements
Non, non, vous devriez encore trouver mais les hôtels vont probablement être tous bondés.
Sur Airbnb ça doit encore se trouver, sinon, se rabattre vers les sites polonais où il y a énormément de possibilités. Les Polonais louent très facilement leurs locaux. Toujours propres et modernes. Parfois douche sur le palier en commun mais à 75% salle de bain privative.
Surtout, gros avantage : très économique comparé à l’Hôtel.
Gdansk a dépassé nos espérances et vos appréciations, il est vrai que le voyage s’enrichit aussi de notre propre expérience alors quand on est assez vieux pour avoir vécu toute l’époque de Solidarnosc la visite du musée ravive des souvenirs, réveille des émotions et force l’admiration. Et quel magnifique bâtiment !!! ( prix Europa cette année).
Le marathon couru dans une ambiance fière et joyeuse perpétue le souvenir du premier organisé par Solidarnosc quand c’était une course pour la vie ou la survie à une époque d’efforts et de sacrifices.
La chapelle du syndicat entretient elle aussi l’esprit et les péripéties de cette lutte avec une esthétique mi-kitsch mi-éblouissante avec l’ambre s’étalant à profusion.
Quand on est né dans les années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale voir l’endroit où elle a débuté permet de comprendre qu’il y a une certaine logique entre la situation et l’événement. Le chantier naval affiche d’ailleurs, malgré le temps écoulé, une démesure et une activité ( même un 15 août !) qui laissent pantois.
En effet la foire de la St Dominique donne des airs méditerranéens à la ville, tard le soir on déambule toujours dans les rues avec une glace à la main, les terrasses ne désemplissent pas et les tours en mer se succèdent à un rythme vertigineux.
La vision du “Jugement dernier” de Memling vaudrait à elle seule le pèlerinage à Gdansk sans parler de l’extraordinaire histoire du tableau qui mériterait d’être publiée. D’ailleurs la façon de s’approcher du tableau des visiteurs, leurs déplacements silencieux et solennels et le recueillement qu’il suscite font penser à une secte de happy few venue là pour adorer en douce un objet sacré.
Bien d’autres merveilles attendent le visiteur pour peu qu’il entre dans toutes les belles demeures anciennes ouvertes au public.
Merci pour vos conseils et recommandations.
Merci Avo6 pour cette belle évocation historique et touristique de la ville de Gdansk, qui demeure ma ville préférée de Pologne !
Des commentaires aussi pertinents devraient aider sans doute à faire découvrir ce joyau méconnu, trop souvent délaissé (à tort), au profit de Varsovie et Cracovie…
Lorsqu’on a le temps, ne pas hésiter à pousser quelques dizaines de km à l’ouest, où la mer Baltique offre ses splendides paysages sauvages, notamment la presqu’ile de Hela et la charmante petite ville de Leba, au sein du parc naturel Slowinski.