Bonjour, Cette intervention sera longue, autant prévenir les allergiques à la lecture qu’une nième partie de Candy Crush leur fera davantage de bien, ou pas, mais le sujet est trop prenant pour faire court. Puis au final, ce qui se passe ici, n’est ce pas significatif de ce qui se passe dans le monde entier, à savoir détruire un maximum juste pour le fric ? J’étais la semaine dernière à Sihanoukville pour quelques jours (malgré tout ce que j’ai pu lire comme avis négatifs avant mon départ car j’ai voulu voir, trop obstinément peut-être, de mes propres yeux ce qui se raconte, on dit que, il paraît que…) dans un hôtel moyennement confortable (avec petit déjeuner chinois s’il vous plaît, rigolo, pour un court instant en tous les cas, les Dim Sum trempés dans le café au petit dej) à deux pas de l’embarcadère et de la “plage” d’Ochheuteal (du moins ce qu’il en reste). C’est avec intérêt, et curiosité vu le boxon indescriptible qui règne dans la ville, que j’ai lu tous les avis de ce post (comme toujours sur le Routard très divers et colorés). Précisions non futiles, non pas pour parler de moi/nous, ce qui n’a absolument aucun intérêt, mais pour me situer un peu et couper l’herbe sous les pieds des éternels râleurs/trolls/contradicteurs des forums qui vont me rentrer dedans à la plus petite occasion parce que je ne pense pas et ne vis pas comme eux : je fuis les resorts aseptisés pour occidentaux, le tourisme de masse aussi, je n’ai plus assez de courage pour les guesthouses en dortoirs avec sanitaires communs (petit caprice de post-boomer sûrement) et je ne trouve pas totalement amazing et incontournable de dormir chez l’habitant pour “mieux tout comprendre et pleinement vivre l’expérience humaine d’un peuple”, je ne juge d’ailleurs aucun peuple ni nation ni pays, je constate simplement et tente de comprendre à mon humble niveau comment, pourquoi et pour quelles raisons des humains peuvent être amenés parfois à faire des choix discutables ou les subir (tout en comprenant parfaitement leur besoin et envie de progrès, même si c’est une chimère), je conchie les professeurs de civilisation experts en supériorité morale qui eux pensent vraiment et toujours connaître la profondeur des âmes, des peuples et des cultures qui me disent “petit occidental gâté, si cela ne te plait pas et que tu es incapable de comprendre l’esprit profond et humaniste d’un peuple auquel je m’associe de manière aussi péremptoire qu’illégitime, va à Marbella boire des bières allemandes”, je me ris des petits français (ou autres occidentaux) qui pleurnichent car les chinois ont exproprié leur business dont la finalité originelle était strictement la même que le nouveau colonisateur : faire du fric en pays exotique (certes à plus petite échelle) sur le dos des touristes et des autochtones, je suis parfaitement conscient que mes voyages et mon comportement ne sont pas toujours Greta-compatibles mais je fais toujours un max d’efforts pour m’améliorer et m’approcher d’un type simplement bien et pour finir je ne suis pas néo-colonialiste qui déboule avec mes pétro-euros pour exiger du pauvre petit cambodgien qu’il me vende ses langoustes laborieusement pêchées pour moins de 2 dollars le kilo sinon caca nerveux. Je connais la valeur des choses et ne discute pas. Tout ça pour aboutir à la triste conclusion sans appel : Sihanoukville est effectivement morte ! L’auteur de ce post a raison, sauf à aimer jouer au Mickey qui va faire le malin à Casinoland. Ce n’est pas un progrès, c’est un génocide/suicide organisé et imposé, les néo conquistadors déploient leurs armes de destruction massive : le dollar. Ce que les cambodgiens gagnent à court terme, car du travail il y en a (très instructif d’ailleurs d’observer les femmes des ouvriers des chantiers doucher les gamins dans une bassine au bord de la route, bon c’est sûr que dans les casinos on ne voit pas tout cela) ils le perdront à moyen terme, sans aucun retour possible. Si vous considérez ce que vous avez lu jusqu’ici sur Sihanoukville comme une antichambre de l’enfer, multipliez le par 10 car la réalité est bien pire. Actuellement il n’y a plus aucune route praticable, tout le secteur tourne sur des groupes électrogènes avec des pots d’échappement mazout du diamètre d’une citrouille, les casinos et hôtels de 30 étages poussent comme des champignons (j’ai compté 38 grues un soir et uniquement dans mon champ de vision), partout des panneaux en mandarin exclusivement, une éradication totale de la culture locale, les boutiques historiques ferment les unes après les autres, absolument tout est un chantier géant, Sihanoukville est totalement immonde à tout point de vue ! L’avenir des autochtones, avec très probablement la bénédiction des autorités locales, est scellé : expropriations des dernières échoppes de bord de mer (c’est drôle, ou pas, mais j’avais d’abord réservé une petite pension de bord de mer (Chez Paou à Otres) et ils m’ont écrit pour annuler en précisant qu’après des années sans problèmes les autorités locales n’ont pas renouvelé la concession, tiens bizarre…), des habitants aussi, privatisations de la plage et même des grains de sable s’il le faut, sino standardisation à la Macau, une horreur (Las Vegas est drôle dans un cadre américain et dans un esprit américain, ça me fait moins marrer lorsque c’est néo-colonisé dans un pays moins riche. Vous me direz qu’à Vegas des laissés pour compte dorment aussi dans les égouts, c’est vrai mais c’est un autre sujet). Il restera à la fin des fins un choix unique : juste fournir le PQ (importé de Chine) à l’envahisseur et le ramasser une fois souillé. Nous avons beaucoup discuté avec des khmers, histoire de mieux appréhender le désastre et ne pas raconter trop de conneries, cela me fait penser (dans un autre domaine certes mais l’esprit est strictement le même) à Soumission de Houellebecq : une longue et irréversible descente aux enfers, passive et silencieuse, une sorte de résignation où l’impuissance se mêle au renoncement, ce lieu est au final d’une tristesse et d’un écœurement redoutables. Je suis totalement impuissant face à tant de bêtise humaine générée uniquement par le pognon (en attendant la domination du yuan, on adore le dollar par ici, le real étant visiblement réservé uniquement au Monopoly), les autochtones doivent évidemment pouvoir vivre décemment selon leur définition de la décence, mais ce non choix de l’extrême est/était il si inévitable ? Le débat est ouvert…Autre échange dans la Tola street (parallèle d’Ochheuteal beach street), là encore ce qu’il en reste car on est plus proche de la tranchée de Verdun que d’une route, alors que nous étions à la recherche d’un bon restaurant cambodgien plutôt bien référencé : tous les restaurants de la rue ont tout bonnement disparu, fermés ou remplacés par des restaurants chinois (vous pouvez vérifier, TripAdvisor a toujours 6 mois de retard sur la réalité). C’est effarant le drame humain et social qui se joue à Sihanoukville et il faut se rendre à l’évidence, le cancer a partout diffusé ses métastases, c’est un lieu non pas condamné à mort mais déjà mort ! Baliwood