Le sujet reste important, mais le forum a été saturé par cette thématique, à une époque, et par des échanges très clivés, où la mauvaise foi de part et d’autre envenimait les débats, ce qui fait, je pense, que quelques personnes n’ont plus envie d’intervenir où de réécrire pour la énième fois la même analyse. Je pense aussi qu’il peut y avoir un fossé entre ce que quelqu’un qui ne connaît pas la Colombie lit sur le forum, et ce qu’il va découvrir dans le pays AVEC des Colombiens. Car le thème de la violence, chez les Colombiens, reste souvent omniprésent.
Expliquer les raisons de cet écart me semble intéressant.
Je pense que les conditions de voyage de la plupart des “routards” fausse les choses d’où les commentaires parfois agaçants de gens qui ont eu une vision très superficielle du pays. Je ne suis pas le premier à l’écrire, mais le voyage routard balisé est très proche d’un voyage organisé, même si c’est, en apparence, indépendant. Mêmes circuits dans quelques points, pour aller dans les mêmes hostales, voir les mêmes endroits, peu sortir le soir etc. On a été quelques-uns à dire qu’un voyageur qui avait fait un “tour” de Colombie en trois semaines et osait répondre à une jeune étudiante qui arrive à Bogotá qu’elle peut sortir seule le soir, que Bogotá est aussi sûre que Genève, alors que ce même routard n’a très probablement pas mis le nez dehors dans une grande ville après 20h00 et pas adressé la parole à un Colombien à part pour lui acheter un jus de fruits… que ce voyageur, donc, était assez irresponsable.
Je pense qu’il faut avoir l’honnêteté de dire ce qu’est vraiment un “tour de Colombie en trois semaines”. Rares sont les routards qui vont vraiment à la rencontre d’un pays et de ses habitants. L’immense majorité des routards font du tourisme hyper traditionnel, hyper balisé, hyper conventionnel, hyper sécurisé avec l’apparence - qui n’est qu’un folklore - liée à certains codes, certaines attitudes, certains modèles de l’indépendance, de la marge ou de l’aventure, et seulement l’apparence d’une différence profonde avec le tourisme traditionnel, et même avec le voyage organisé en groupe. Disons que l’expérience subjective reste différente, ce qui compte, évidemment, mais que ce qui est vu du pays est identique à ce qui est vu lors d’un voyage organisé.
Je crois que c’est ce différentiel qui est fondamental, même si c’est un peu sacrilège de le dire sur le forum qui porte ce nom: routard.
Ce différentiel, c’est le point de vue que portent des personnes qui ont, en réalité, fait un voyage balisé, sécurisé, conformiste, superficiel, et qui ont l’illusion d’avoir fait un voyage aventureux, libre et indépendant, sur le pays qu’ils ont visité. Ils pensent pouvoir parler de sécurité, de violence, etc alors que des voyageurs en groupe de 40 en autocar ne se risqueraient pas à donner leur point de vue, car ils savent que leur expérience est trop encadrée et limitée.
Il faut lire quelques textes importants de sociologues du tourisme pour approfondir cette question. Et attention, que l’on ne se méprenne pas. Je ne méprise pas cette forme de voyage que je peux aussi pratiquer. Ce que je dénonce, c’est l’illusion. Je connais la Colombie de l’intérieur, j’y ai étudié, travaillé, j’ai fait ma thèse sur des réalités sociales récentes etc.
Je n’ai, en revanche, de l’Équateur ou de la Bolivie, par exemple, qu’une expérience de routard. J’ai adoré visiter ces pays. Mais je ne me risque jamais à parler de la situation générale qui est la leur. La seule chose que je peux dire, c’est comment se passe un voyage routard bref, agréable et superficiel. Je peux conseiller un hostal ou en déconseiller un autre et parler d’horaires de bus. Mais mon expérience de ces pays ne m’autorise pas à dire un mot sur le mode de vie que devrait adopter un étudiant qui irait passer un an à Quito ou La Paz.
Je sais que mon message va déplaire, mais il suffit de lire les innombrables posts type “retour de trois semaines en Colombie” ou “le planning de notre voyage en Colombie du mois prochain”, pour voir à quel point les parcours sont balisés et nécessairement superficiels. Suffisant pour passer d’agréables vacances et se dépayser. Insuffisant pour pouvoir parler de violence, de sécurité ou de politique.
Deux jours à Bogotá : matin J1 musée de l’or, am jour 1 Zipaquira, matin J2 Monserrate, am jour 2 Candelaria, soir J2 départ bus de nuit vers région du café. Bien. Fort de cette expérience de la ville, puis-je vraiment dire un mot sur la vie des habitants de la ville ? Si des routards vont voir des concerts le soir, vont boire des coups jusqu’à 3 heures, vont voir des spectacles dans des quartiers reculés etc, et qu’au lieu de faire la course au parcours qui permettra de faire le plus de kilomètres pour montrer au retour qu’on a “fait” la Colombie, prennent leur temps, vagabondent, se perdent, s’ennuient, font des rencontres inattendues de Colombiens (et pas de routards australiens ou hollandais), changent leurs plans etc, là peut-être que s’ils s’expriment, avec prudence, sur la façon dont ils ont vécu et ressenti la ville, cela pourra avoir une certaine valeur. Sinon ? Il vaut mieux éviter de parler de ce qu’on ignore.