Culture Jamaïque
Couleur de peau et discriminations
Un simple coup d’œil au défilé des ministres et responsables d’État sur le site du gouvernement jamaïcain le confirme : les minorités visibles sont largement surreprésentées, en particulier les métis à la peau claire. Le combat épique qui, après l’indépendance, opposa le « progressiste » Michael Manley et le « conservateur » Edward Seaga, tous deux issus de la bourgeoisie, le démontre ardemment : dans un pays à 93 % noir, le combat politique d’un métis très clair et d’un libano-écossais ne pouvait que surprendre les observateurs étrangers.
Héritage de la colonisation, la tonalité de la peau semble encore largement déterminer, en Jamaïque, le statut social et, par extension, la confiance en soi de chacun – héritage des temps anciens où les esclaves étaient triés en fonction de leur couleur de peau pour se voir attribuer diverses tâches (les plus noirs aux champs, les plus clairs à la maison). Il arrive encore, aujourd’hui, que les employeurs exigent des agences de recrutement du personnel « à peau claire »…
. Une chose est sûre : on est loin de la devise du pays, Out of many, one people (l’unité dans la diversité) et le gouvernement ne fait pas grand-chose pour améliorer la situation.
Rastafariens
Tout remonte au début du XXe siècle et à un homme : Marcus Garvey. Activiste devenu journaliste et éditeur, le jeune Jamaïcain se fait très tôt porte-parole de la cause panafricaine et noire. En 1914, il fonde l’Universal Negro Improvement Association, « association sociale, amicale, humanitaire, charitable, éducative, institutionnelle (…), fondée par des personnes désirant travailler pour l’élévation générale des personnes d’ascendance africaine dans le monde ». Sa devise : Un Dieu, un but, un destin.
Ses trois crédos : amélioration du sort des Noirs, indépendances africaines et retour des noirs américains en Afrique – facilitée par la création d’une compagnie maritime, la Black Star Line. Il est, en vérité, le premier leader noir à créer une organisation de masse.
Pour les Rastafariens, Garvey n’est rien de moins qu’un prophète, pour ne pas dire la réincarnation de saint Jean-Baptiste… Un statut lié à sa prédiction de voir s’élever en Afrique un roi noir libérateur : pour les rastas, ce roi noir, c’est l’empereur d’Éthiopie Haile Sélassié, couronné en 1930. Haile Sélassié, c’est le Ras (roi) Tafari – de son vrai nom Tafari Makonnen Woldemikael. Seul monarque africain à avoir su préserver l’indépendance de son pays dans une Afrique presque entièrement colonisée, il se mue en symbole et messie, qui libérera les Noirs d’Amérique de leur « détention » outre-Atlantique. Les couleurs de l’Éthiopie, vert, jaune et rouge, deviennent celles des Rastafariens.
Une anecdote témoigne du quiproquo survenu entre les Rastafariens et Haile Sélassié. De retour d’une visite officielle en Jamaïque, le Ras, incrédule face à la dévotion qu’on lui portait, aurait demandé à l’archevêque de l’Église orthodoxe éthiopienne (EOE) de se rendre sur la grande île pour aider à remettre les Jamaïcains dans le droit chemin… Les intéressés, d’abord ravis par l’implantation chez eux de l’EOE, s’en détournèrent rapidement lorsqu’ils découvrirent qu’il leur était interdit d’être baptisés au nom d’Haile Sélassié, mais seulement au nom du Christ ! Aujourd’hui, d’ailleurs, seul 1,1% des Jamaïcains se réclame de cette foi, une proportion en recul (soit entre 25 000 et 30 000 personnes, dont certains habitent dans les neuf villages rastafariens « indépendants » du pays). Il n’empêche que Bob Marley, à la toute fin de sa vie, fut baptisé par le prélat éthiopien, resté une quinzaine d’années en « mission » en Jamaïque.
Au fil du temps, le crédo rastafarien, qui puise indifféremment dans la Bible et le panafricanisme, a évolué. La déposition par un coup d’État d’Haile Sélassié en 1974 et sa disparition l’année suivante, révélant son statut de simple mortel (et certains actes controversés) l’ont vu glisser vers un rôle plus symbolique – même si certains s’accrochent encore bec et ongle à sa divinité supposée. L’Éthiopie a, pour la plupart, cessé d’être la terre promise. Mais une chose demeure : la conscience libératrice que les Noirs ne sont pas inférieurs aux Blancs.
Beaucoup de rastas affirment, aujourd’hui, que leur foi est avant tout une affaire personnelle. Ce qui ne les empêche pas d’appliquer quelques règles et principes : régime alimentaire végétarien (et sans sel), incontournables dreadlocks de la coiffure (souvent enveloppés dans un bonnet de laine) et propension à fumer « l’herbe sacrée »…
Rasta Rocket
Rasta Rocket, c’est un film (américain), sorti en 1993, qui raconte l’épopée et les mésaventures de quatre sprinters jamaïcains malchanceux qui se reconvertissent au… bobsleigh dans l’espoir de pouvoir concourir aux Jeux Olympiques – en l’occurrence, ceux de Calgary, au Canada, en 1988.
On peut penser ce qu’on veut de la qualité du film. Reste un fait : malgré les libertés prises avec la réalité, il s’inspire directement de la drôle d’aventure de l’équipe nationale jamaïcaine de bobsleigh, effectivement engagée aux JO de Calgary !
À l’origine : deux Américains qui voient dans la passion des Jamaïcains pour le push cart derby (des sortes de courses de voitures en carton) une bonne occasion de faire le buzz. Ils convainquent le gouvernement et, bientôt, 4 membres des forces armées sont recrutés et s’envolent pour Lake Placid… où ils découvrent la glace. Les bobeurs américains, bonne pâte, fournissent 2 bobs et un entraîneur ! L’équipe participe à une épreuve de la Coupe du monde, où elle se classe 35e sur 40. Pas si mal pour des bleus. Enfin, le moment tant attendu arrive, direction Calgary. En bob à deux, Dudley Stokes et Michael White se classent 30e sur 38. Leurs coéquipiers Devon Harris et Chris Stokes les rejoignent pour l’épreuve reine du bob à 4.
La télévision américaine s’intéresse à eux, bientôt suivie par le reste du monde. Mais c’est une image triste qu’ils retransmettent : celle du quatuor franchissant la ligne d’arrivée à pied après avoir chuté lors de la 3e descente – image authentique que l’on retrouve à la fin du film.
Les bobeurs jamaïcains participeront à tous les JO d’hiver à compter de cette date jusqu’en 2002, se plaçant au mieux 14e en 1994 à Lillehammer, devant l’équipe de France. Absents en 2006 et 2010 pour cause de manque de moyens financiers, ils sont reparus aux JO de Sotchi en 2014 grâce au crowdfunding !
En 2018, aux JO d’hiver de PyeongChang, en Corée du Sud, trois Jamaïcaines entrent dans l’histoire en étant la première équipe féminine de bobsleigh du pays à concourir aux jeux. Et lors des JO d’hiver de Pékin en 2022, pas moins de trois équipages étaient présents, deux masculins et un féminin. L’histoire continue !
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