Voyage en Normandie
Fécamp. Yvetot. Rouen
J'ai longé la côte alors que la pluie tombait. J'ai marché sur la plage de Fécamp et ses galets, à l'abri sous mon ciré. J'ai hésité à déjeuner de moules-frites face à la mer, mais je me suis dit que je pouvais bien trouver quelque chose d'un peu moins commercial. Les terrasses bâchées étaient remplies de touristes. J'étais un touriste d'un genre un peu particulier, puisque j'étais seul. Je me voyais mal m'attabler au milieu des familles. Je pensai à cet essai de Montherlant qui porte ce titre : Le diable est un voyageur solitaire. On se méfie davantage du solitaire que du bon père de famille. Pourquoi êtes-vous là, seul ? Quel mauvais coup êtes-vous en train de tramer ? J'ai quitté Fécamp et ses familles pour me diriger tranquillement, l'esprit ailleurs, sous la pluie, vers Rouen. La campagne était belle, trempée par la pluie. Les arbres tanguaient sous les rafales de vent qui caressaient la terre comme de longs voiles humides et clairs. Je me suis arrêté, au hasard, guidé par la faim, à Yvetot. Sur la place centrale, une devanture collectionnait les macarons du guide du Routard. Je me suis approché, sous la pluie et un texte écrit sur la vitre a attiré mon attention. Il commençait par évoquer les âmes de Kerouac, Ginsberg et Burroughs… " À l'enseigne du Central, au Paul's Café flottaient l'âme de Kerouac, celles de Ginsberg, de Burroughs… Un parfum libertaire embaumait ce café Parfois littéraire où l'on s'abreuvait de mezcal Pour imiter Malcom Lowry. Nous étions au-dessous du volcan. Lieu de réunions politiques, Le Central alimentait la polémique et nous-mêmes. Nous étions dans l'utopie proclamée Porque un otro mundo es posible. Nous rêvions d'un cinéma échappé des blockbusters Et nous écoutions Bruce Springsteen Qui représentait l'Amérique que nous avions fantasmé. " We liked the same music We like the same bands " Hasta la vista May the roads rise with you. Stéphane " Après avoir lu ce texte, je suis entré. Lieu superbe. Photos noir et blanc de l'Amérique que j'aime. Acteurs des années 1950. Polars. Chanteurs de folk. Indiens. L'autre Amérique. Celle qui ne me fait pas peur. Musique dans le bar : Dylan. Bon son. Photos de Ferré l'anarchiste. Couleurs rouge et noir. Ici, on ne met pas son drapeau dans sa poche. Je n'en reviens pas d'être tombé là par hasard. Un homme, cheveux gris et boucle d'oreille me sourit, amusé. Je commande le plat du jour et un demi. Un peu plus tard, il pose le plat sur la table et me dit : " Vous savez pourquoi je vous ai servi (il était presque 14 h) ?… Parce que vous avez lu le texte de la devanture jusqu'au bout… Je me suis dit s'il le lit, j'le sers… ". Nous échangeons un sourire. Cet homme-là est un juste. Je le lis dans ses yeux. Je mange en écoutant la voix nasillarde de Dylan. Dehors, il pleut toujours, mais j'ai trouvé un endroit magique, où je pourrais rester pendant des heures à rêvasser de l'Autre Amérique. Paul - j'imagine qu'il a donné son nom à son bar mais je me trompe peut-être, son café s'appelle aussi le Central - m'explique qu'il tient cet endroit depuis dix-sept ans, mais qu'il ferme - il l'a revendu - dans trois jours. C'est la fin d'une époque. Peut-être aussi la fin de ce monde décrit par les photos des murs. Paul ne sait pas encore ce qu'il va faire. Un voile de tristesse passe dans son regard. Un sourire éclaire son visage au moment où il porte à ses lèvres une cigarette. Rouen sous la pluie ne fut pas à la hauteur de mes attentes. Mais comment en aurait-il pu être autrement ? J'ai couru sous la pluie entre les parapluies. J'ai admiré la cathédrale rendue si célèbre par Monet. Des rigoles d'eau se formaient sur les pavés de la vieille ville. Les restaurants portaient les noms d'écrivains qui auraient vomi ce mauvais goût : Flaubert, Maupassant and co réquisitionnés pour vendre de la soupe. Je me suis renseigné sur le musée Flaubert à l'office du tourisme situé face à la cathédrale. Le descriptif m'a dissuadé de le visiter : " Chambre natale et souvenirs de Gustave Flaubert, céramiques pharmaceutiques, instruments chirurgicaux, etc. ". J'ai peut-être manqué un belle visite… Je me suis ennuyé à Rouen, mais peut-être était-ce par volonté inconsciente de coïncider avec l'état d'esprit d'une Emma Bovary qui trouvait dans les livres ce qu'elle était incapable de découvrir dans la réalité.
Préparez votre voyage avec nos partenairesTexte : Xavier Le Frapper
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