Un reporter de première classe
Le boum de la presse
La fin du XIXe siècle a vu naître une foultitude de journaux quotidiens en France - comme dans toutes les démocraties économiquement développées. La République est jeune et triomphante, elle offre l'éducation pour tous - donc beaucoup de lecteurs - et la liberté d'expression.
La presse est alors le seul média de masse
Elle donne des opinions variées, des sensations fortes et aussi de l'information sérieuse, même si, souvent, le concept de vérité ne règne pas souvent en maître dans l'esprit des patrons de journaux ou des journalistes. Il n'empêche. Un mélange d'écrivain et d'aventurier apparaît dans ce contexte : le reporter.
Les grands reporters
Les grands reporters du début du XXe siècle captivent les lecteurs par millions. Ce type flamboyant de journaliste donnera naissance à des personnages de fiction tels que Tintin. Il y a Gaston Leroux - futur auteur des aventures de Rouletabille, reporter lui aussi -, Jean Rodes, Louis Roubaud, Édouard Helsey, André Tudesq, Henri Béraud, qui se surnomme " le flâneur salarié " , Pierre Giffard, Ludovic Naudeau... Et puis, il y a Albert Londres.
Un inlassable voyageur
Avec sa valise en peau de cochon comme viatique, Albert Londres est un " voyageur, un observateur engagé, un poète et un redresseur de torts ", selon l'expression de Francis Lacassin, grand spécialiste du bonhomme. Ses reportages effectués sur tous les continents ont passionné ses lecteurs durant une quinzaine d'années, entre 1914 et 1932. Seuls les États-Unis et les îles du Pacifique Sud seront ignorés par Londres. Mais s'il avait vécu plus longtemps, gageons qu'il y aurait traîné sa barbe, sa bedaine et son galure !
Un style
Devenu reporter à trente ans, l'âge de la maturité - ce qui explique la force et le sérieux de ses écrits -, Londres ne s'est jamais réfugié derrière une quelconque objectivité, le " je " est la règle. Sans qu'on puisse le qualifier de bidonneur, comme il y en a tant dans la presse de son temps, Londres prend parfois certaines libertés avec les règles du métier telles qu'on les conçoit de nos jours. Poète dans l'âme, il raconte ce qu'il voit, ce qu'il ressent et ce qu'il sait, en faisant appel à des images signifiantes. Passionné de théâtre, il a constamment recours à des dialogues finement mis en scène. Mais même si ses reportages sont très maîtrisés, du point de vue des techniques narratives et du style, ils sonnent constamment juste.
Des convictions
Albert Londres est devenu un modèle grâce à ses talents littéraires et à son sens de l'observation. Mais il y a plus : son approche humaniste des problèmes sur lesquels il enquête, ainsi que la verve dont il fait constamment preuve. Cet état d'esprit très français l'a amené à être le pourfendeur d'injustices flagrantes. Jeune homme sensible aux idées libertaires très vivaces avant-guerre dans les milieux bohèmes, il développe ensuite, et constamment, un point de vue que l'on peut qualifier d'honnête homme, petit bourgeois républicain, laïque, critique, ironique même, et humaniste. En voyageant, il s'est retrouvé tout au long de sa carrière face à des questions fondamentales sur l'état du monde. Des questions qu'il renvoya à ses lecteurs et auxquelles il répondit parfois de façon très nette.
Un rôle historique
Albert Londres, témoin des premiers tourments du XXe siècle, a joué un rôle historique dans deux grandes affaires. La première est celle de la terrifiante réalité du bagne de Cayenne - à laquelle, plus tard, on peut annexer celle de Dieudonné, un bagnard évadé à qui il permit de revenir en France. Quant à la seconde, il s'agit de la dénonciation des horreurs commises en Afrique sub-saharienne française au nom de la colonisation. Dans les deux cas, ses reportages ont amené l'opinion publique et les gouvernements à prendre position.
Un auteur à lire
Un auteur à lire aujourd'hui encore. Ses reportages firent en son temps l'objet de livres que l'on peut aisément se procurer dans toutes les librairies. On y découvre que nombre de questions qui préoccupaient le reporter sont restées d'actualité. La lecture des récits de ses pérégrinations dans les Balkans ou en Palestine, par exemple, laissent une forte impression aux lecteurs du XXIe siècle…
Le Prix Albert Londres
Quelques mois après la disparition du journaliste, Florise Londres (1904-1975) et d'anciens compagnons de route de son père créent le Prix Albert Londres, décerné encore aujourd'hui à des reporters travaillant dans la presse écrite et dans l'audiovisuel. Pour peu, normalement, qu'ils soient fidèles à la devise du grand Albert : " Notre rôle n'est pas d'être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie ". C'est ce que Londres a effectivement fait. Sans véritable espoir que chaque plaie se guérisse vite. Mais sans cynisme non plus. La sagesse de ce grand routard qui garda toujours une âme de poète se lit à chaque ligne de ses écrits.
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