1. Jules Verne
  2. Capitaine Verne au long cours
  3. A la barre du progrès
  4. Pour aller plus loin

Capitaine Verne au long cours

« J'ai grandi dans le mouvement maritime d'une grande ville de commerce, point de départ et d'arrivée de nombreux voyages aux longs cours. » C'est effectivement dans ce contexte, non loin des quais de l'île de Feydeau, que Jules Verne voit le jour le 8 février 1828 à Nantes. Aîné d'une famille de cinq enfants, il est vite fasciné par le ballet que donnent les navires de commerce sous la fenêtre de sa chambre et qu'il observe avec sa longue-vue. Plus tard, alors qu'il se remémore son enfance, il évoque les deux ou trois rangs de trois-mâts, goélettes, bricks et grands voiliers transatlantiques qui venaient se coller aux quais pour débarquer des cargaisons du monde entier ; dès lors, il n'a qu'un désir : « Franchir la planche tremblotante qui rattachait [les navires] aux quais pour mettre pied sur le pont. » Il restera profondément marqué par les fortes odeurs d'épices et par le bruit des quais.

Je n'aime que la liberté, la musique et la mer.

Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers.

Embruns d'enfance

Jules Verne lit beaucoup. Daniel Defoe, Fenimore Cooper, Les Robinsons suisses accompagnent sa jeunesse et nourrissent ses aspirations au voyage… Il passe ses vacances chez son oncle, ancien armateur, lequel l'emporte dans les récits fascinants de ses traversées de l'Atlantique, et joue avec son frère Paul dans le parc où, suspendus aux arbres, ils s'imaginent aux sommets des mâts de navires en partance pour le bout du monde. Un jour d'été, il se trouvera ravi de pouvoir expérimenter, le temps de quelques heures, la vie de Robinson sur un îlot de la Loire suite au naufrage de sa yole. En dehors des vacances, il reste de longues heures à écouter les histoires de Peaux-Rouges et de trappeurs que lui conte le peintre de Châteaubourg ; les jours de classe, il surprend ses camarades en griffonnant des éléphants à vapeur et autres machines déjà extraordinaires. Quelles impressions laisseront à l'adolescent les quelques instants de sa fugue sur le Coralie, navire à destination d'îles lointaines ? Escapade écourtée par son père, qui récupère Jules Verne à Paimbœuf, où le Coralie fait heureusement escale avant de lever les amarres. Ses parents lui feront promettre de ne plus voyager qu'en rêve. L'enfant a déjà le goût de l'aventure et des navires, l'adolescent gardera le cap en confirmant son goût pour la littérature.

Tracer la mer pour tracer la route

Peu après son arrivée à Paris, où il vient poursuivre ses études, la rencontre avec Jacques Arago, grand baroudeur, avide de savoirs et de connaissances, confirmera Jules Verne dans la voie qui l'intéresse. Le voyage, encore et toujours. Or la mer est la voie de l'exploration, c'est elle qui conduit vers le Nouveau Monde, vers l'Afrique, vers les Indes, vers les pôles. S'il imagine plus tard le voyage aux longs cours dans les airs, il n'en est pas encore question dans ce XIXème siècle où les bateaux sont le principal moyen de transport, tant pour les hommes que pour les marchandises. Ils incarnent, avec les océans qui les portent, les rêves du lointain.
La mer, qu'il découvre à douze ans en visitant Saint-Nazaire, ne cessera de hanter son existence ainsi que celle de son frère, qui deviendra officier de marine. Elle sera omniprésente dans son œuvre. Les peintures impressionnantes qu'il en fait nous révèlent tant l'acuité de ses observations que sa fascination presque mystique pour cet élément que l'on retrouve sous sa plume au centre de la terre ou encore à la surface d'une comète.

« Oui, je l'aime ! La mer est tout ! Elle couvre les sept dixièmes du globe terrestre. Son souffle est pur et sain. C'est l'immense désert où l'homme n'est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés. La mer n'est que le véhicule d'une surnaturelle et prodigieuse existence ; elle n'est que mouvement et amour ; c'est l'infini vivant… »

In Vingt mille lieues sous les mers.

Trois cent trois navires…

Si, adolescent, il s'est essayé à la navigation sur la Loire avec son frère à bord de petites yoles, Jules Verne vivra ses premières embardées maritimes sur des navires tout droit sortis de ses chantiers imaginaires. Plus de trois cents embarcations vont prendre le large dans ses romans, du simple radeau à l'impressionnante Ville flottante, des paquebots à vapeur au mystérieux Nautilus. Tout lieu est un lieu pour naviguer, pourrait être la devise de l'écrivain, qui compose d'incroyables pages de navigations sur une mer extraterrestre dans Hector Servadac, et dont l'Albatros - appareil volant de Robur le conquérant - ressemble en tous points à un bateau, les voiles étant remplacées par des hélices qui tournent au sommet des mâts.
« Le besoin de naviguer me dévorait », écrit Victor Hugo. « La navigation c'est le repos dans le mouvement, le bercement dans le rêve », fait dire Jules Verne au héros du Sphinx des glaces. En 1868, il s'offre son premier bateau auquel il donne le nom de son fils : le Saint-Michel. Désormais, à bord de cette solide chaloupe de pêche de neuf mètres, il part régulièrement en mer, jusqu'à trois jours, en compagnie d'un équipage de deux à quatre membres. C'est à bord de cette embarcation que Jules Verne compose notamment Vingt mille lieues sous les mers. Pendant près de dix années, il fait du cabotage le long des côtes normandes, traverse de nombreuses fois la Manche pour se rendre en Angleterre et pousse son embarcation jusqu'au port d'Ostende. « J'ai besoin de cela pour me remettre la cervelle », écrit-il à son éditeur.
En 1875, il se lance dans la conception d'un navire plus grand encore, pour lequel il ne laisse rien au hasard. Il le baptise naturellement le Saint-Michel II. En 1877, un tour de Bretagne le conduit à Nantes, où il s'éprend d'un magnifique steam-yacht de trente-trois mètres, qu'il s'offre grâce aux droits d'auteur du Tour du monde en quatre-vingts jours.
Avec le Saint-Michel III, qui lui rappelle le magnifique navire qu'il créa pour lord Glenarvan dans Les enfants du capitaine Grant, fini le cabotage ! Jules Verne hisse les voiles au large de l'Angleterre, puis vogue vers l'Écosse où il visite les grottes de Fingal, qui lui inspireront le cadre du Rayon vert. Jusqu'en 1886, il met le cap sur l'Irlande, longe les côtes de Hollande, d'Allemagne, du Danemark, fait le tour de l'Espagne, débarque à Alger, Tunis, Tanger, Gibraltar, Malte, puis visite la Sicile.
En 1887, à la suite du décès de son éditeur et ami, Pierre-Jules Hetzel, et à la vente de son bateau pour raison financière, il ne voyagera plus qu'en compagnie des héros de ses « Voyages extraordinaires ». Sur la fin de sa vie, des journalistes, venus lui rendre visite, seront surpris par la simplicité et la nudité de son espace de travail, mais remarqueront qu'un tableau du Saint-Michel III contemple royalement son bureau.

Promenons-nous sur un atlas

C'est en contemplatif averti qu'il s'aventure de par le monde, faisant du monde le sujet de son œuvre. Bien sûr, il a bien pris quelques notes au cours de ses propres voyages, mais il a le génie pour peindre et sublimer les paysages qu'il n'a jamais foulés à partir d'anecdotes, de détails et d'observations glanés ici et là dans ses multiples sources d'informations.
Entre la rédaction de la Géographie illustrée de la France et de ses colonies, commande de son éditeur, et ses lectures scientifiques, Jules Verne envisage les fonds abyssaux ou décrit avec rigueur l'essentiel de ce que la géographie offre à décrire. Plus que toute autre science, la géographie s'est installée dans son quotidien. Longitude, latitude, fuseaux horaires, méridiens et parallèles semblent constituer la trame de ses romans, et ses héros n'ont de cesse de se repérer dans l'espace car leur progression à la surface du globe constitue souvent la progression de l'exploration et donc de leurs aventures.
Ses nombreux cabotages et autres expéditions maritimes à bord des Saint-Michel lui ont donné le goût des relevés précis, goût que l'on retrouvera chez presque tous ses héros dans les mains desquels il place boussoles, mappemonde, compas, règles et autres sextants.
Si la librairie Girard & Boitte offrait un globe terrestre aux acheteurs d'un roman de Jules Verne en 1886, l'écrivain géographe, lui, ne se séparait jamais d'un globe sur lequel étaient tracés les itinéraires de ses héros.

« Nous voyageons pour voir des effets […]. C'est maintenant, au retour
[dit-il des deux personnages], que leur excursion sérieuse commencera,
car leur imagination sera désormais leur guide et ils voyageront dans leurs souvenirs. »

Regards d'un voyageur

« Ce que je voulais devenir, avant tout, c'est un écrivain. » Tout est dit. Jules Verne explore davantage la réalité avec son imaginaire qu'avec une boussole. Mais si de larges parties du monde ont été foulées par ses héros, Jules Verne les a précédés en Angleterre et en Écosse, où il se rend avec son ami le musicien Hignard en 1859. Là-bas, il est frappé par la misère, à laquelle il fait largement référence dans ses notes de voyage : « Les misérables vêtus de haillons […] qui vont pieds nus dans la boue noire et gluante. » Il se rendra deux ans plus tard au Danemark et en Norvège, toujours un carnet à la main. Quand, en 1867, il embarque sur le Great-Eastern, il ne sait pas encore que ce navire géant en partance pour l'Amérique lui inspirera l'un de ses derniers romans, L'île à hélice, paradis pour milliardaires heureux que la lutte pour le pouvoir va anéantir..

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A la barre du progrès

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