Ourania
Auteur : J.M.G. Le Clézio
Editeur : Gallimard
293 Pages
Ne cherchez pas Ourania sur une carte. Cette contrée, dont le nom évoque une muse de la Grèce ancienne, est issue de l’imaginaire d’un enfant, narrateur du dernier roman de Le Clézio. Ourania, ce pourrait être une parcelle de ciel, le pays de nulle part que nous cherchons tous.
Devenu adulte, Daniel Sillitoe est un géographe chargé d’arpenter une vallée mexicaine dédiée à la culture intensive de la fraise. Sur place, il découvre deux utopies : l’Emporio, un groupe d’universitaires indépendants, et Campos, une communauté hippie où les enfants sont les maîtres, l’argent et l’école inexistants et la sexualité libre. Les membres de Campos (« le peuple arc-en-ciel »), que Daniel rencontre grâce à un enfant étrange, passent leur temps à étudier les astres et parlent l’« elmen », une sorte d’espéranto qu’eux seuls comprennent. L’Emporio et Campos forment des territoires clos, coupés d’une vallée où règnent la cupidité des industriels de la fraise et la pauvreté des Mexicains. Daniel passe du territoire de l’utopie, sur les traces des savants de l’Emporio et de l’enfant de Campos, à la sordide réalité d’un bout de Mexique à l’ère de la mondialisation, où il s’éprend, sans lendemain, d’une Portoricaine alcoolique et d’une prostituée en détresse. Mais, surtout, il assiste à l’effondrement d’Emporio et de Campos, au crépuscule des grands rêves fraternels collectifs, emportés par la spéculation foncière et le cynisme des pouvoirs en place.
Auteur nomade du Rêve mexicain, de Désert et Chercheur d’Or, J.M.G. Le Clézio signe un roman limpide comme un carnet de voyage, émerveillé comme un conte, implacable comme un pamphlet. Ourania s’en prend, au fil du récit, à l’arrogance des puissants, à l’exploitation sexuelle et économique, aux « touristes voyeurs », aux écrivains-voyageurs de pacotille et aux spéculateurs qui abusent de la terre, cette « peau » fragile qui nous est commune. Mais, ici comme ailleurs, l’utopie a surtout le goût des illusions perdues et d’un impossible voyage.
Ourania résonne comme la chronique d’un échec annoncé, la lancinante évocation d’un bonheur déjà perdu avant d’avoir été conquis, d’une joie inaccessible réfugiée dans un rêve d’enfant, d’un ciel étoilé sans borne. Un roman d’apprentissage lumineux, ni triste, ni désenchanté, où l’on apprend que « la réalité est un secret, c’est en rêvant qu’on est près du monde ». Le pays d’Ourania existe, c’est en littérature que nous l’avons rencontré.
Texte : Jean-Philippe Damiani
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