Eldorado
Auteur : Laurent Gaudé
Editeur : Actes Sud
240 Pages
La semaine dernière, près d’un millier d'immigrés clandestins débarquaient en l’espace de vingt-quatre heures sur les plages des Canaries. Le président du gouvernement local a évoqué cet événement en parlant de « la crise humanitaire la plus grave ayant frappé l’Espagne depuis la guerre civile ». En France, les reconduites à la frontière manu militari vont bon train, les diatribes anti-immigrés servent de tremplin électoral aux politiciens démagogues, tandis que l’affaire de l’expulsion de parents sans-papiers d’enfants scolarisés a révolté bon nombre de nos concitoyens.
Le dernier roman de Laurent Gaudé, prix Goncourt 2004 pour Le Soleil des Scorta, est, comme on dit, « d’actualité ». Eldorado suit les trajectoires de trois personnages qui finiront par se croiser autour de zones-frontières de l’Europe : les côtes du sud de l’Italie, entre Catane et Lampedusa, et les enclaves espagnoles au Maroc.
Du côté de la « citadelle Europe », le commandant Salvatore Piracci, qui traque depuis vingt ans les embarcations d’immigrants, remet sa vie en question après avoir rencontré par hasard un fantôme de son passé, sous les traits d’une immigrée clandestine qu’il avait remise à la police.
En face, en Afrique, deux frères soudanais s’apprêtent à faire un voyage initiatique : quitter leur terre pour le mirage de cette vieille Europe, un « Eldorado » illusoire. Autour d’eux gravite tout un monde interlope de trafiquants d’humains, passeurs, escrocs, marchands de sommeil, mais aussi des flics et des barbelés…
Laurent Gaudé a le mérite de se placer du côté des nouveaux damnés de la terre. Quant à son cerbère, le commandant Piracci, il ne croit plus aux certitudes européennes : l’Éden n’est pas forcément de ce côté-ci de la Méditerranée. Eldorado s’aventure là où les images du JT ne vont jamais. On sent que l’écrivain a bien potassé ses dossiers : l’assaut des barbelés, sans doute inspiré des événements de Ceuta et de Melilla, est incontestablement la scène la plus poignante de son roman.
Malheureusement, les beaux sujets ne font pas forcément de bons romans et l’enfer est pavé des meilleures intentions. Le lecteur pourra, en effet, demeurer imperméable, voire réticent, au tempo de l’écriture de Gaudé. Le roman abonde en phrases courtes et en déclarations aussi ronflantes que creuses (« les hommes ne sont décidément beaux que des décisions qu’ils prennent »). Facilité ou effet de style ? Eldorado exhale un parfum de monotonie, que ne vient pas dissiper l’uniformité des monologues intérieurs, à la limite de l’artificialité. Et que penser d’une telle phrase : « J’ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l’on perd dans la course » ? Bref, Eldorado, ce n’est pas le Pérou !
Texte : Jean-Philippe Damiani
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