Au pas de l’oie
Auteur : Antonio Tabucchi
Editeur : Editions du Seuil
240 Pages
D’Antonio Tabucchi, les lecteurs français connaissent l’admiration pour Fernando Pessoa et l’amour du Portugal. Ils apprécient son œuvre romanesque funambule, marquée par l’errance, la quête et le doute (Nocturne indien, Requiem, Tristano meurt). Mais, de ce côté-ci des Alpes, le polémiste engagé est moins connu. Antonio Tabucchi est pourtant chroniqueur pour plusieurs journaux italiens et européens, comme La Repubblica, L’Unità, El Pais et Le Monde.
Au pas de l’oie révèle cet autre aspect de l’œuvre de Tabucchi. Ce recueil rassemble une cinquantaine d’articles publiés par l’écrivain depuis l’an 2000, couvrant les « années Berlusconi ».
Présenté sous la forme d’un jeu de l’oie littéraire, l’ouvrage, sous-titré « Chronique de nos temps obscurs », dresse un portrait sans concession et particulièrement inquiétant de l’Italie contemporaine. Le bilan de Berlusconi au pouvoir est effarant : culte de l’argent roi, légalisation de la fraude fiscale, népotisme, utilisation de la loi au service d’intérêts privés, contrôle des médias, instrumentalisation du racisme et nostalgie du fascisme. Le tout, dans l’impunité la plus totale et, même, avec un sens très cynique de la vantardise.
Telle aura été l’Italie de Silvio Berlusconi, en ce début du XXIe siècle. Et l’on ne peut que féliciter la vigilance d’Antonio Tabucchi. Ses articles utilisent avec brio les armes de la littérature pour combattre les dérives autoritaires d’un gouvernement qui comprenait des ministres issus de l’ex-parti fasciste MSI. Au pas de l’oie est incontestablement une œuvre d’utilité publique.
En refermant le livre, on se dira, soulagé, que le pire est derrière nous, puisque la coalition de Berlusconi a perdu, d’un cheveu certes, les dernières élections. Pourtant, Il Cavaliere a laissé son empreinte sur l’Italie. Il constitue aussi un symptôme des dérives de la politique occidentale qui n’épargnent pas la France. La politique-spectacle, la stigmatisation des immigrés, l’ordre moral comme cache-sexe de la corruption, l’autoritarisme, le dénigrement de l’État et de la magistrature ne sont pas que des spécialités italiennes. Alors que nous préparons à élire notre prochain(e) président(e), il serait peut-être bon de jouer au jeu de l’oie de Tabucchi. Car Berlusconi, ça n’arrive pas qu’aux autres !
Texte : Jean-Philippe Damiani
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