Gomorra, dans l’empire de la camorra
Auteur : Roberto Saviano
Editeur : Gallimard
365 Pages
Phénomène de société en Italie, adapté au cinéma avec succès, Gomorra est un livre exceptionnel à plus d’un titre. Enquête à charge sur la camorra, la mafia napolitaine, cet ouvrage, dont on ressort abasourdi, est aussi un cri d’alarme lancé par un enfant du pays. L’auteur, Roberto Saviano, est un journaliste de 28 ans qui a grandi dans les quartiers pauvres de Naples. Saviano connaît, pour l’avoir vécue, la dévastation du tissu social de sa ville engendrée par l’organisation criminelle qui, depuis la sortie du livre, l’a d’ailleurs condamné à mort.
Au-delà d’un document extrêmement documenté sur les agissements de la camorra, Gomorra, beaucoup plus percutant que son adaptation cinématographique, subjugue par son écriture à fleur de peau, portant la hargne, le désespoir mais aussi la révolte et le courage de l’auteur. Sa lecture se vit comme une descente aux enfers.
Et quels enfers ! La peinture de « système » de la camorra se révèle des plus effroyables. Ateliers clandestins où les vêtements de marque sont fabriqués par des ouvriers travaillant 12 heures par jour pour 100 € par semaine, cobayes humains testant l’héroïne, racket, exploitation des enfants, exécutions d’un sadisme atroce, trafic de déchets toxiques transformant la Campanie en décharge sauvage… Tout est dit, les noms des parrains sont révélés, brisant ainsi le cercle de l’omertà. Et, partout, la violence et la mort règnent en maîtres. Depuis 1979, la camorra a fait plus de victimes que l’IRA, l’ETA ou les Brigades Rouges.
Le plus troublant reste la parfaite intégration de la mafia napolitaine à l’économie mondialisée. Les ramifications de la camorra, dont de nombreuses boutiques et points de distributions « légaux », s’étendent dans le monde entier. Dans l’une des séquences les plus incroyables du livre, un ouvrier d’un atelier de confection clandestin reconnaît l’une de ses robes sur Angelina Jolie.
La mafia apparaît comme la face sombre, poussée à l’extrême, de notre propre « système » ultra-libéral, où la loi du profit l’emporte souvent sur l’éthique. D’ailleurs, les mafieux ne se considèrent pas comme des criminels mais comme des entrepreneurs. Jouissant d’une totale impunité (les pouvoirs publics étant absents ou, pire, complices), ces « capitalistes » criminels sont à l’origine d’un désastre environnemental, d’une insécurité galopante et d’une pauvreté endémique.
Gomorra se lit un hallucinant voyage au bout de la nuit de la mafia napolitaine. Et, pourtant, il faut plonger au cœur de l’enquête choc de Roberto Saviano pour « savoir, comprendre, ce qui est une nécessité. La seule chose qui permet de sentir qu’on est encore un homme digne de respirer ».
Texte : Jean-Philippe Damiani
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