Inde : Ahmedabad, aux couleurs du Gujarat

Inde : Ahmedabad, aux couleurs du Gujarat
Temple jain à Ahmedabad © Shutterstock - Christophe Cappelli

Terre de migrants depuis des temps immémoriaux, le Gujarat a donné à l’Inde deux de ses leaders les plus charismatiques : Gandhi et Patel. Ahmedabad en fut longtemps la capitale (aujourd’hui détrônée par Gandhinagar) mais la ville a gardé de sa splendeur passée un patrimoine architectural unique au monde qui lui a valu son classement par l’Unesco en 2017.

C’est à la rencontre de cette ville de 6 millions d’habitants, en passe de devenir l’une des principales métropoles de l’Inde dans les domaines de l’éducation, de l’ingénierie, du design et des sciences appliquées, que l’on vous emmène aujourd’hui…

Une ville à l’écart des circuits classiques, mais dont la richesse patrimoniale dépasse bien des destinations touristiques indiennes.

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Ahmedabad, au riche passé

Ahmedabad, au riche passé
Tombeau d’Ahmed Shah, le fondateur de la ville d’Ahmedadab © Eric Milet

Fondée au 11e s par les Solankî, une dynastie apparentée au clan rajpoute Châlukya, de confession jaïn, Ahmedabad s’est appelée Karnavati jusqu’à la fin du 13e s.

Stratégiquement placée sur les routes caravanières entre la Chine et les ports de l’océan indien, Karnavati était une plaque tournante du commerce au long cours. Au début du 15e s, la ville tombe dans l’escarcelle du sultan muzaffaride  Ahmed Shah qui la rebaptise illico en Ahmedabad histoire de marquer son passage.

Commence alors une période de prospérité. Désormais capitale du sultanat du Gujarat, Ahmedabad renforce son système défensif, développe un tissu urbain particulièrement élaboré où fusionnent les architectures musulmanes, jaïnes et hindoues.

À la fin du 16e s, affaiblie, Ahmedabad passe sous la coupe de l’empereur moghol Akbar, lequel relance l’activité économique. Désormais centre de commerce de première importance, notamment dans le domaine du textile, elle se pare alors de très belles havelis, de mosquées.

Mais en 1753, Ahmedabad sera mise à sac par les principaux opposants aux Moghols, les Marathes, de confession hindoue, avant de finir sous la coupe de la Compagnie des Indes Orientales en 1818. Un siècle plus tard, Gandhi, de retour d’Afrique du Sud, y établira un ashram sur les rives de la Sabarmati. C’est de là qu’il lancera son programme de désobéissance civile qui conduira l’Inde à l’indépendance.

Ahmedabad et son tissu urbain

Ahmedabad et son tissu urbain
© Eric Milet

Le tissu urbain de la vieille ville d’Ahmedabad est constitué de quartiers (puras) densément peuplés de familles musulmanes, hindoues et jaïnes. Ces puras sont organisés en quartiers clos, les pols, constitués de rues en culs-de-sac dont l’accès est fermé par une porte (khadki) et d’un ensemble de maisons traditionnelles aux façades en bois richement sculptées, agglutinées les unes aux autres.

Ces pols traduisent parfaitement l’entente qui règne entre les différentes communautés depuis près de six siècles. Ils assurent leur besoin en eau par la mise en commun de puits collectifs, pourvoyant aussi à leurs besoins spirituels par la construction de lieux de culte, sans oublier – pour les jaïns – ces monumentales mangeoires à oiseaux, les chabutaro. On en compte près de 600 dans la vieille ville d’Ahmedabad !

Mis en place dès le 15e s, ce schéma urbain extrêmement dense, constitué d’un lacis de ruelles biscornues fait de culs-de-sac, de passages secrets et de maisons à cour intérieure construites de manière rapprochée, fut très tôt accepté par la communauté jaïne, car il s’accorde parfaitement à ses valeurs et à son mode de vie.

En outre, il répond à une hiérarchie sociale bien établie. Les maisons des grandes familles, qui étaient souvent les mécènes des équipements communautaires, sont toujours situées près des portes d’entrée du pol. C’est là, et plus exactement au dernier étage de la maison, que se géraient les affaires courantes.

Ces pols sont organisés suivant le Vastu Shastra, le Feng Shui ancestral de l’Inde, avec des bâtiments orientés nord-sud de manière à laisser en permanence de l’ombre aux courettes situées entre les maisons, très appréciable au plus fort de la saison chaude.

La tradition textile d’Ahmedabad

La tradition textile d’Ahmedabad
Travail du textile © Eric Milet

Ahmedabad, c’est aussi une longue tradition dans le domaine de la confection et de la commercialisation du textile. Châles, étoles, tuniques, robes, tous brodés, surpiqués, incrustés de sequins, de brisures de miroirs, de nacre, de verre, de cauris…

Terre de passage où se mêlent depuis les temps reculés tribus nomades indigènes, envahisseurs, explorateurs et commerçants, les villes et villages du Gujarat sont au textile ce que des villes comme Jaipur sont à la taille de la pierre précieuse et à l’argent.

Et que dire de la couleur ! Si les secrets de fabrication des teinturiers indiens ne parvinrent en Occident qu’au 17e s, l’Inde sait appliquer aux étoffes des couleurs résistantes aux ultraviolets depuis le 2e millénaire av. J.-C. ! Car en Inde, l’expression de l’humeur par le vêtement est une vraie réalité sociale. Ainsi, le rouge est-il la couleur de l’amour, le jaune celui du printemps, du miel et des vents colportant le chant des oiseaux, le bleu l’apanage de Krishna, le safran celui de la terre et des yogis…

© Eric Milet

Pas étonnant alors qu’Ahmedabad, qui fut le carrefour des routes caravanières pendant des siècles, soit aussi la ville de la couleur. Ses petits marchés de rue regorgent d’étoffes brodées, les fameux chanyas cholis, ces vêtements traditionnels composés d’une jupe longue et d’un chemisier finement brodés et incrustés de miroirs, que portent les femmes du Gujarat.

En outre, Ahmedabad recèle aussi l’un des plus beaux musées du textile au monde : le Calico Museum, une collection privée qui garde précieusement des textiles brodés des 17e et 18e s absolument sublimes.

L’architecture moderniste unique d’Ahmedabad

L’architecture moderniste unique d’Ahmedabad
Palais des Filateurs - Sanyam Bahga - Wikipedia - CC BY-SA 3.0

Au lentement de l’indépendance de l’Inde, les grandes familles qui s’étaient enrichies dans le textile firent appel à des architectes réputés pour construire leurs usines et leurs résidences. Nous sommes en plein modernisme. Le Corbusier répond à l’appel. Ahmedabad lui doit quelques édifices publics, comme la Maison des Filateurs (1954) ou le Sanskar Kendra, sorti de terre la même année, et qui abrite aujourd’hui le City Museum.

Dans le registre privé, notons la Villa Sarabhai, dont la conception reprend les principes des maisons Jaoul de Neuilly-sur-Seine, construites selon la fameuse notion de modulor chère à l’architecte. Le modulor étant une adaptation du nombre d’or à l’échelle humaine dans le but de créer des volumes où dominent les sentiments de bien-être et de confort.

Indian Institut of Management © siraanamwong - stock.adobe.com

Mais Le Corbusier n’est pas le seul architecte moderniste à avoir laissé son empreinte en ville. Louis Khan, le chantre du brutalisme, considéré comme l’un des plus grands architectes du 20e s a, lui, réalisé l’Indian Institut of Management, un complexe universitaire tout en perspectives.

Enfin, notons le travail de Charles Corra, figure indienne de l’architecture contemporaine, qui sut adapter le modernisme à la culture indienne, en dessinant l’ashram de Sabarmati, le musée qui commémore l’œuvre de Gandhi, puisque c’est d’ici que le Mahatma lança son programme de désobéissance civile qui devait conduire l’Inde à son indépendance.

Henri Cartier-Bresson, de passage en ville en 1966, épinglera lui aussi la spécificité de cette ville à sa manière. Pas étonnant, donc qu’Ahmedabad soit devenue une référence en Inde dans le domaine de l’architecture, du design et des arts appliqués.

Ahmedabad, la ville du vent

Ahmedabad, la ville du vent
Préparation des fils de cerfs-volants pour l'Uttarayan © Shutterstock - CamBuff

Makar Sankranti, qui marque l’entrée du soleil en Capricorne célébrant par là même la fête des moissons, est un évènement qui se fête dans toute l’Inde. Au Gujarat et à Ahmedabad en particulier, il revêt un aspect singulier puisqu’il dure deux jours.

C’est l’Uttarayan (du gujarati uttar qui signifie « nord » et ayan qui veut dire « début »). L’Uttarayan marque donc l’arrivée du vent du nord qui annonce la fin de l’hiver et l’arrivée des beaux jours. Il est célébré le 14 janvier et, à Ahmedabad, il est suivi du Vasi-Uttarayan, le 15.

Il se concrétise chaque année par un grand festival où des cerfs-volistes du monde entier se donnent rendez-vous. La veille de la grande bataille du 14 janvier (puisqu’il s’agit bien d’une bataille, le but du jeu étant de cisailler la corde de l’adversaire à l’aide de la corde de son propre cerf-volant), les enfants comme les adultes sont en pleine effervescence.

Les rues sont entièrement mises à profit pour dérouler les fils afin que les participants puissent les enduire de colle et de verre pilé pour les rendre plus efficaces au cisaillement.

Uttarayan est aussi prétexte à de joyeuses rencontres musicales en famille ou entre amis. Ce jour-là, les femmes préparent l’undhiyu, un plat composé de cinq légumes différents, tandis que les vendeurs de rue déballent leurs petits stands de fafda-jalebi, sortes de pâtes frites épicées ou sucrées.

Des puits comme des cathédrales

Des puits comme des cathédrales
© Eric Milet

Les vav du Gujarat (on dit baori au Rajasthan) sont bien autre chose que des puits. Ils possèdent également une signification spirituelle en relation avec le caractère sacré de l’eau, dans un pays en proie à de fréquentes sécheresses qui se traduisaient le plus souvent par de terribles famines.

Situé dans le village d’Adalaj, le vav monumental de forme octogonale, qui s’enfonce dans les entrailles de la Terre, a servi d’étape aux caravanes pendant de nombreuses années. Construit en 1499, il voit défiler tous les matins les villageois qui s’y rendent pour une petite prière aux divinités sculptées dans la pierre.

Véritable temple souterrain, ce remarquable monument de l’architecture indo-islamique présente des murs ornés des scènes de la mythologie hindoue et jaïne (danseurs, musiciens, apsalas, etc.) sur lesquelles viennent se fondre les motifs floraux d’inspiration islamique.

Tout aussi impressionnant avec sa cascade d’escaliers plongeant sur six niveaux, le vav de Dada Hari, situé dans le village d’Aswara (maintenant un quartier d’Ahmedabad) est une véritable cathédrale souterraine. Des puits comme celui-ci n’ont jamais cessé de fournir de l’eau aux habitants, même pendant les longues périodes de sécheresse.

Fiche pratique

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Comment y aller ?

La compagnie Jetairways dessert Ahmedabad depuis Paris-CDG via Delhi ou Mumbai. Trouvez votre billet d’avion.

Quand y aller ?

La période sèche s’échelonne de novembre à mars. À cette période de l’année, les nuits sont fraîches, mais les journées sont sèches et ensoleillées (20-25 °C maxi)

Nos bonnes adresses sur place

The House of Mangaldas Girhardas : Lal Darwaja, en face de la mosquée Sidi Sayad. Ancienne demeure d’un magnat du textile, construite en 1924, reconvertie avec goût et raffinement en hôtel de charme.

- Pleasure Trove Restaurant : B/101-104, Sakar 7 (Ashram Rd), près du Patang Hotel et du Nehru Bridge. Dans un cadre superbe et soigné, un resto qui sert de généreux thalis végétariens ou non.

Découverte de la ville historique

Heritage Walk of Ahmedabad : départ tous les matins à 8 h du temple Swaminarayan Mandir pour une visite guidée en anglais d’une durée d’environ 2 h. Tarif : 120 ₹. On peut réserver en ligne.

Musée du textile

Calico Museum : tous les jours sauf mercredi, visite guidée en anglais (max 20 personnes) 10 h 30-12 h 30. À réserver au préalable sur leur site, au moins une semaine avant la date choisie, parfois plus en haute saison. Les réservations sont ouvertes 6 mois à l’avance. C’est gratuit.

Texte : Eric Milet

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