Berlin, au fil de l’eau

La Spree : au milieu de Berlin coule une rivière…

Elle fouille les entrailles de la ville, aujourd’hui joueuse puisqu’elle prête ses berges et sa photogénie aux temples de la techno et aux souvenirs de millions de touristes, autrefois tueuse lorsque des habitants de Berlin-Est tentaient d’en venir à bout à la brasse et en apnée pour rejoindre l’Ouest… De qui parle-t-on ? De la Spree, évidemment.

Celle qui chantourne 44 km de la capitale allemande (la rivière allonge 400 km au total, dont 180 de voies navigables, enjambés par 63 ponts) entretient ses paradoxes. Convoitée par les uns (on pense au projet Flussbad qui vise à aménager en zone baignable et en bassin de filtrage naturel le canal de la Spree découpant le Sud de l’île des Musées), malmenée par d’autres (près de 4 millions de litres d’eaux usées y seraient déversés tous les ans), la Spree défroisse de belles promenades.

Des balades tantôt protégées par les saules pleureurs qui viennent déprimer leurs branches dans ses eaux, tantôt ombragées par les hautes constructions qui s’égaillent à l’ouest du Treptower Park et qui n’ont pas fait que des heureux (révolte « Spreeufer für Alle » soit « les bords de la Spree pour tous »).  De quoi arpenter Berlin au fil de l’eau…

La Spree, côté Est

À l’Est, rien de nouveau ? Pas du tout ! Direction la futaie ombrageuse du Spreepark, dans la partie orientale de la capitale allemande, où se relaxe Insel Berlin (île de Berlin), confetti de terre totémisé par son pont et par sa Kulturhaus qui ouvre aux beaux jours et aux promeneurs son Inselgarten.

En continuant dans le Treptower Park, vous remarquerez que les arbres, surtout sur la Pushkinallee ourlant la Spree, étrennent des médaillons numérotés (Baumnummer). Grâce à ce référencement par spécimen, la ville cartographie la flore du parc et documente ainsi des parcours bucoliques (pour les germanophones).

C’est sur l’Elsenbrücke que la schizophrénie immobilière de Berlin offre ses perspectives les plus déjantées, tout de même supervisées par le Molecule Man de Jonathan Borofsky, sculpture d’aluminium de 30 mètres à la conquête des nuages, marchant, malgré ses 45 tonnes, sur l’eau au point de rencontre des quartiers de Kreuzberg, Treptow et Friedrichshain.

Des terrains en friche, des monticules de sable, des machines de construction. Dans un paysage de grues et de Fernsehturm, émergent depuis 10 ans de nouveaux immeubles de bureaux, des logements luxueux, des hôtels (nhow), autant de constructions modernes destinées aux bourses bien fournies, qui ont provoqué la grogne des Berlinois.

 Des entreprises (médias, donc, mais aussi mode) ont ainsi pris leurs quartiers dans d’anciens bâtiments industriels (MTV dans l’Osthafenspeicher, Universal dans l’Eierkühlhaus).

Forcément avec le siège tout rougeaud de Coca-Cola, la tour Allianz de 130m, l’outlet Zalando dans un ancien bâtiment industriel en briquettes vermillon, la Mercedes-Benz Arena ou les Treptow Twin Towers, les rives de la Spree ressemblent, sur les 4km de ce projet de rénovation, à un joyeux foutoir architectural.

Heureusement, l’Oberbaumbrücke, pont de style néogothique construit en 1894 et dont les tours de guet sont surmontées de l’aigle prussien et de l’ours berlinois, semble réinjecter un peu de tradition et d’histoire à la zone, épaulé en cela par les 1,3km de l’East Side Gallery.

La Spree, côté Ouest

On part à l’Ouest. Là, la Spree borde amoureusement le baroque château de Charlottenburg et son parc. Dans le quartier de Charlottenburg, si la rivière fait souvent le dos rond, l’ambiance y est bon enfant, bien moins survoltée et bâtisseuse qu’à l’Est.

En complément des transats en bois et des guinguettes récréatives (Caprivi), la promenade (Charlottenburger Ufer) cadre joliment la Spree et présente quelques bâtisses remarquables. Impossible ainsi de snober celle de l’ancienne salle des machines de la centrale électrique du quartier (Kraftwerk Charlottenburg), près du pont Siemenssteg (joli pilier d’époque qui rend hommage au passé « (sur)volté » du secteur).

En continuant votre parcours, vous découvrirez d’autres usines décaties dignes du Metropolis de Fritz Lang. Mais plus on avance, plus les berges se couvrent de constructions modernes tandis que de fastueux chantiers en retournent les boyaux.

Une fois passé le Hansabrücke, une ville dans la ville s’ouvre à vous. Bienvenue au Spree-Bogen, une zone qui amalgame des bureaux, des logements, des hôtels et des restaurants. Elle doit sa célébrité à l’immeuble (Focus Teleport, Betasystems) Rubik’s cube, rouge et bleu, à sa rue du Souvenir (Strasse der Erinnerung) bornée de bustes d’illustres Allemands (Albert Einstein, Edith Stein, Thomas Mann entre autres), à sa fontaine Kugelbrunnen et surtout à son bâtiment translucide en U (le fameux Spree-Bogen ou arc de la Spree, qui lui donne son nom) qui a abrité le ministère de l’Intérieur de 1999 à 2015.

Traversez ensuite le Gericksteg, pour atteindre l’autre rive ainsi que le sobre et néoclassique Schloss Bellevue, résidence officielle du Président fédéral. Continuez ensuite en longeant la rivière et Tiergarten jusqu’à la concave Haus der kulturen der Welt (la Maison des Cultures du monde), lieu d’exposition (cultures non européennes) et de réflexion sur la place de l’art contemporain dans nos sociétés.

Le Moltkebrücke, érigé en 1891 tout en grès, marque le passage vers le Berlin politique et moderniste (quartier gouvernemental) avec le Reichstag, la Hauptbahnhof, le Futurium, le Gustav Heinemann Brücke et plusieurs sièges de ministères fédéraux.

Une croisière sur la Spree

Compte tenu de la situation de la Spree, Berlin se découvre avantageusement en bateau. Vous ne pourrez pas les rater, il en vient et en part de partout. Des ports d’attache différents (Schlossbrücke, Märkisches Ufer, Jannowitzbrücke, Corneliusbrücke, Friedrichstrasse, Hansabrücke, Tor Hallesches, Moltkenbrücke), des durées variables (entre une heure et 3,5 heures), des « Hop On Hop Off » ou des circuits, diurnes ou nocturnes, aux thématiques gastronomiques, châtelaines, historiques, pontées et festives (le Perfect Sunday Boat Trip du Club der Visionaere, de 15h à 22h)…

 La croisière (Reederei) classique pour bien découvrir Berlin dessine une boucle via la Spree et le Landwehrkanal qui attrape des monuments aussi iconiques que le Charlottenburg Schloss, la Siegessäule (la colonne de la Victoire), la Haus der Kulturen der Welt, le Reichstag, Museum Insel (île des Musées), le Berliner Dom, l’East Side Gallery, l’Oberbaumbrücke, Molecule Man, Potsdamer Platz ou la Neue Nationalgalerie.

Attention, certains bateaux ne circulent pas entre fin mars et début novembre (les horaires ici).

La Spree, un bouillon de culture

Quand on vous dit « Spree + culture », vos pensez d’abord à l’Île aux Musées (Museuminsel), un ensemble de cinq institutions culturelles, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1999 (Museumpass Berlin 3 jours, 29€/14,50€).

Dans l’ordre chronologique, l’Altes Museum (1830), le Neues Museum (1855) avec le célèbre buste de Néfertiti, l’Alte Nationalgalerie (1876), le Bode Museum (1904) et le Pergamonmuseum (1930) avec la porte d'Ishtar et le grand autel de Pergame. La James-Simon-Galerie a été inaugurée à l’été 2019 et sert de gare de triage des visiteurs vers les différents musées en plus d’offrir de nouveaux services et surfaces d’exposition.

Mais ces musées ne sont pas les seuls phares dans la nuit culturelle de l’île. Tout en majesté luthérienne, le Berliner Dom (cathédrale de Berlin, 1905), qui loge aussi la crypte de la puissante famille Hohenzollern, leur tient la dragée haute avec son orgue Sauer massivement tuyauté et sa vue panoramique.

Un autre projet aimerait participer à la fête. Humboldt Forum, réinvention du Berliner Stadtschloss (le château de la dynastie Hohenzollern, , devenu en 1976 le Palais de la République de la RDA, et qui fût laissé à l’abandon après 1989), devait accueillir dès la rentrée 2019 le musée des Arts asiatiques, celui de l’ethnologie et des expositions autour des cultures extra-européennes mais reste enlisé dans les travaux. Ouverture prévue fin 2020…

En dehors de l’île, d’autres lieux culturels toisent la Spree comme le musée de la RDA mais on préfère Radialsystem (2006). Cet espace, sorte de « 104 » berlinois qui squatte une ancienne station de pompage bâtie en 1881, fait la part belle au spectacle vivant, à la danse et à la musique.

Berlin, dans le bain de la Spree

Séjourner à Berlin aux saisons chaudes sans faire un plouf à Badeschiff, c’est comme rentrer d’after sans boulotter une currywurst ou un kebab. Cette piscine flottante de 32m, hommage aux anciens bains en plein air, est sortie des eaux en 2004.

Elle est l’un des six sites (avec Arena Halle, Glashaus, Arena Club, Freifläche et Escobar) d’Arena Berlin, ancien dépôt de bus classé de 20 000m², construit dans les années 1920 et réhabilité depuis. Vous imaginez bien qu’avec sa vue exceptionnelle, ses pontons constellés de transats et sa mini-plage de sable, Badeschiff est prise d’assaut aux premières chaleurs. Et ce jusqu’au bout de la nuit puisque des DJs en rajoutent et viennent mixer leurs vagues électroniques.

Notez que vous trouverez le long de la Spree plusieurs plages artificielles qui peuvent afficher complet l’été, Gestrandet (près du Jannowitzbrücke), la plage du YAAM  ou du Holzmarkt, conglomérat de bars manigancé de matériaux de récupération et de baraquements de bois, Capital Beach et ses transats à fleur de Spree. Alternatives plus sportives auprès des loueurs de barques et de pédalos (au Treptower Park), de paddles (standupclub) ou de kayaks.

Landwehrkanal et lacs de Berlin : des infidélités à la Spree

Il existe une vie aquatique en dehors de la Spree. Si si. Le Landwehrkanal, qui vient la couder par le sud, a été creusé entre 1845 et 1850 pour désengorger sa grande sœur trop populaire. Sur ses 11km de longueur (22m de largeur et 2m de profondeur pour les mensurations complètes), il aménage d’agréables balades sonorisées par les trilles des gallinules et des cygnes.

Quelques spots valent le détour. Hallesches Haus (dans un bureau de poste du début du XX^e siècle), general store hybridant épicerie fine, magasin de déco, commerce de bouche et co-working, le restaurant à colombages Altes Zollhaus et la zone entre le Baerwaldbrücke et l’Admiralbrücke qui contient l’élargissement du canal et semble préservée de la cohue urbaine. Si vous êtes près de la station de métro de Schönleinstrasse, un mardi ou un vendredi, faites un tour au marché turc (11h – 18h30) sur Maybachufer.

À 1h en transport à l’ouest du centre, sur le lac Wannsee, la plage de Wannsee (station Nikolassee via la S7 puis 15 minutes de marche), embranchée à la Havel, fait bien des heureux depuis plus de 110 ans avec sa forêt de pins, son sable fin sur plus d’un kilomètre, son île aux paons et son château romantique. Beach-volley, football et bronzage intégral (zone naturiste FKK pour Freikörperkultur) sont au programme (5,50€ l’entrée).

Vous trouverez sa parfaite jumelle (la gratuité en bonus) à l’Est, avec la plage du lac de Müggelsee (grosser Müggelsee), accessible par le S3 jusqu’à Friedrichshagen puis par le tram 61, arrêt « Strandbad Müggelsee ».

D’autres lacs se détendent à moins d’une heure du centre Berlin comme, au sud-ouest, Krumme Lanke, Schlachtensee, au sud-est Langer See et au nord Tegelersee ou Liepnitzsee, joli mais plus compliqué à rejoindre en transports en commun.

Spree de nuit

 Attention, en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, les clubs de Berlin sont actuellement fermés jusqu’à nouvel ordre

Ses eaux vibrent peut-être de cercles concentriques martelés par les beats : la Spree reste une voisine conciliante des hauts lieux de la fête et de la vie alternative berlinoise.

Sur sa rive droite, en amont de l’East Side Gallery, le Young African Art Market (YAAM) ne passe pas inaperçu avec ses teintes jamaïcaines et son écriteau géant barré d’un accueillant enirejo (entrée en espéranto). Le club s’engage, depuis 1994, dans des concerts de reggae pointus, rompant les routines hardcores ou acid-house alentours, mais également dans un projet social d’intégration par la culture, le sport et l’éducation à destination des migrants et des enfants notamment. En journée, il  vous en coûtera entre un et dix euros selon la générosité de votre portefeuille. Vous pourrez profiter des installations ludico-sportives et des stands culinaires afro-caribéens (et donc de la plage).

À deux pas de danse de là, au coude-à-coude avec Holzmarkt, Kater Blau, sur les ruines du légendaire et décadent Bar25 dont il a repris certains concepts festifs, affiche ses airs détraqués et se transforme en antre de la bringue techno la nuit tombée (et le jour levé pour les adeptes des 72h parties).

De l’autre côté de la Spree, un autre club lui renvoie en échos la bamboche mais à sa manière plus calfeutrée et indoor. Depuis que des fêtards-missionnaires ont investi un sous-sol en 1991, le Tresor (qui a déménagé en 2005) travaille sa légende façonnée par les Jeff Mills et Sven Väth en même temps que son décor de cave-insalubre-basse-de-plafond propice aux syncopes.

 À 30 secondes à vol d’oiseau de nuit, le Kit Kat Club, précédé de sa légende libertine et LGBTQI+, ravira ceux qui n’ont pas froid aux yeux. Piscine intérieure, ambiance débridée et partageuse et soirées très heiss (chaudes quoi, vérifiez la programmation).

En descendant vers Treptow, le Watergate, ses baies vitrées, sa plate-forme flottante, son corridor animé de néons et de LED qui déchaînent les disciples de techno minimale, offre une programmation de qualité et un lever du soleil sur la Spree qui récompensera les couche-tard.

A quelques encablures de l’Arena Berlin, le Club der Visionäre aligne sa terrasse et ses DJ sets sous les ramages de ses vénérables saules pleureurs qui ont pris un sérieux coup de chaud à l’été 2019 (un incendie s’était déclaré dans le club). Sachez que l’hiver, le club, aux airs de gargote asiatique sur pilotis (un ancien hangar à bateaux), amarre non loin de là, sur la péniche Happetose.

Enfin, Zur wilden Renate : Salon, qui gîte dans une ancienne résidence à l’abandon à Friedrichshain avec vue sur la rivière, met à disposition des noceurs trois pistes de danse (noir, rouge, verte) et combine des soirées à thèmes plutôt surchauffées.

Comme partout à Berlin, l’entrée répond à des règles aléatoires et difficilement conceptualisables, le refoulement tenant lieu de rite de passage. Ne le prenez pas contre vous et tentez différemment la prochaine fois.