La mer des Wadden, joyau naturel entre Allemagne et Danemark
Rare sont ceux qui savent précisément la localiser… La mer des Wadden s’étire entre les Pays-Bas et le Danemark, baignant quelque 500 km de côtes hautement sableuses, dans un recoin de la mer du Nord. Une mer si peu profonde que, à marée basse, elle découvre les plus vastes estrans du monde (« wad » en frison), étendus sur des kilomètres et des kilomètres de sable fin et de vase.
Dunes, îles, hauts fonds, moulières et prés salés y sont omniprésents, dessinant des paysages splendides et follement iodés, constamment métamorphosés par l’influence des marées. Les phoques adorent, les oiseaux migrateurs aussi — par millions (10 à 12 millions !), ils en ont fait une escale de choix entre leurs sites de nidification boréaux et leurs retraites hivernales. Pas étonnant que cet écosystème unique soit inscrit au patrimoine mondial et réserve de biosphère par l’Unesco.
Zoom sur son extrémité la plus sauvage, avec les parcs nationaux allemand (3 450 km²) et danois (1 466 km²) de la mer des Wadden.
Préparez votre voyage avec nos partenaires- D’une rive à l’autre de l’Elbe, aux portes de Hambourg
- Parc national de la mer des Wadden du Schleswig-Holstein : des terres à fleur de mer
- Le monde mystérieux des Halligen
- Amrum, l’île de sable
- Sylt, havre chic des Wadden
- Rømø, une île danoise dans le vent
- La délicieuse ville médiévale de Ribe
- Mandø et Fanø, à l’heure des marées
- Fiche pratique
D’une rive à l’autre de l’Elbe, aux portes de Hambourg
À Hambourg, le grand Elbe s’épanche en deux bras principaux formant une île, avant de s’écouler, de plus en plus large, vers son embouchure. D’un côté la Basse-Saxe. De l’autre, le Schleswig-Holstein (la patrie des vaches noir et blanc).
Rive sud, les banlieues cèdent assez rapidement la place à un paysage plat comme la main, découpé en longues parcelles juxtaposées. Des champs, mais surtout beaucoup, beaucoup de vergers. Le fleuve se cache, encadré de hautes levées de terre mais, en toile de fond, s’esquisse un charmant écheveau de chenaux entre lesquels paissent des chevaux.
À Grünendeich, l’estuaire atteint déjà 1,6 km de large. Les marées y impriment leur marque, découvrant des battures que picorent des oiseaux marins. Face au long tapis de sable de Krautsand, veillé à distance par un petit phare strié de rouge et de blanc, la mesure s’agrandit : 2,6 km.
À Wischhafen, à 10 min de là : 4,3 km. On y embarque sur un petit ferry pour Glückstadt. Le Schleswig-Holstein est là, avec son patchwork de pâturages, de blé et de maïs, sur lesquels planent des éoliennes à perte de vue.
Le développement durable, ici, c’est du sérieux : toutes les fermes ou presque se couvrent de panneaux solaires et ont installé des unités de méthanisation (miraculeusement inodores). Résultat, depuis 2014, la région assure 100 % de ses besoins en électricité grâce aux énergies renouvelables !
Parc national de la mer des Wadden du Schleswig-Holstein : des terres à fleur de mer
Passé l’Elbe, plus un pin, mais juste de vastes plaines drainées par une armée de canaux et de chenaux. Le bétail se multiplie et, de loin en loin, de pittoresques fermes de brique chapeautées de chaume émergent sur leur tertre, à l’abri relatif des eaux. Les écluses et les vannes géantes disent bien l’inquiétude des habitants de ces terres spongieuses.
Les « Grandes Noyades » de 1362 et 1634 (raz-de-marée et onde de tempête) restent dans toutes les mémoires. Submergeant les côtes sud de la mer du Nord, elles les ont profondément redessinées, laissant derrière elles des dizaines de milliers de morts. La grande île de Strand se retrouva notamment disloquée, donnant naissance à Nordstrand, à Pellworm et aux Halligen (îlots) de Nordstrandischmoor et Südfall.
Aujourd’hui, une digue survolant des prés salés tapissés de moutons mène à Nordstrand — soudée chaque jour un peu plus au continent. Nous voilà dans le parc national de la mer des Wadden du Schleswig-Holstein. Juste à l’ouest, Pellworm (37 km²) s’ancre à 35 min de traversier, entre ciel et mer, à l’abri d’une digue longue de 28 km et haute de 8 m.
L’église, bercée par un grand orgue baroque et renfermant un précieux triptyque gothique (cachant des peintures au revers), dresse haut son clocher-amer. Au port, des bateaux crabiers attendent leur heure.
De part et d’autre du chenal, le vélo est roi, permettant de butiner à travers une campagne sereine, d’un petit port ou d’un phare à l’autre. À marée basse, la mer se retire jusqu’à disparaître derrière l’horizon. Le dernier facteur à pied de la mer des Wadden prend alors le chemin du Hallig de Süderoog (0,6 km²) pour porter leur courrier à ses deux habitants, à 4,7 km au large, entre bancs de sable et lits de vase.
Le monde mystérieux des Halligen
Des îles ? Le mot est banni. Apparaissant à peine sur les cartes, ils sont une dizaine, vestiges des terres démembrées par les grandes noyades. Des îlots nés des dépôts de sédiments ou renforcés par l’homme autour de soubresauts du terrain pour accueillir, 1 ou 2 m au-dessus de rien, une ferme et sa grange. Des refuges bien incertains, où l’on s’échine à élever du bétail au mépris des tempêtes et des grandes marées.
La plupart des Halligen se nichent dans une zone de 25 km sur 15 km, entre la terre (presque) ferme et les immenses bancs de sable inhabités de Japsand, Norderoogsand et Süderoogsand. Des centaines de phoques y vivent et des milliers d’oies, canards et échassiers y font halte lors des migrations printanière et automnale.
Habel, désormais inhabité, est le plus petit des Halligen (7 ha), Langeneß le plus grand et peuplé (9,5 km² pour 110 habitants). Ce dernier est relié à la côte par un ferry et par le Lorenbahn, un microchemin de fer qui, empruntant une digue protectrice, permet de transporter résidents, vivres et matériaux… lorsque les moutons ne campent pas au milieu de la voie étroite.
Idem à Nordstrandischmoor (175 ha, 4 fermes, 18 habitants et une école). Plus à l’ouest, Hooge (5,6 km²), avec ses 10 Warften abritant une centaine d’habitants, offre un énième refuge en marge du monde, dans le souffle du vent et l’écho des goélands. La maison-musée du Königspesel permet de s’y glisser dans les réalités d’autrefois.
Pas de départ à heure fixe du Lorenbahn : ici, chacun possède sa propre draisine, avec ou sans cabine ! Prévoyez du temps…
Amrum, l’île de sable
Le ferry de la WMR quitte Dagebüll sans se presser. Près d’1 h plus tard, il accoste à Föhr, une île de plein droit (82 km²), largement agricole, qui joue l’été les stations balnéaires autour de la grande plage de Wyk, lancée par le roi du Danemark en 1842.
Passagers et bagages débarqués, le voyage reprend. Après 2 h de mer, enfin, le port de Wiltdün se dessine à la pointe sud de la délicieuse île d’Amrum (20,5 km²). Partout, ici, le sable s’étale comme de la confiture sur une trop grande tartine – à perte de vue. Ce ne sont plus des plages, mais des boulevards. Où est la mer ? Encore partie.
Au nord, se dessine une longue étrave mouvante et, à l’ouest, face aux courants, deux cordons de dunes parallèles enserrant de miraculeux plans d’eau peuplés d’oiseaux, des landes de bruyères et, même, de microforêts de pins et chèvrefeuilles.
Des marches de bois plantées dans le sable aident à escalader les plus hautes dunes : 20 m, 30 m peut-être. Une fois redescendu, il faut s’enquiller 1 km avant de retrouver la mer. Là, des pêcheurs poètes ont planté des cabanes en bois flotté et taillé des hamacs dans de vieux filets.
Au centre de l’île, les capitaines d’autrefois reposent au cimetière de Nebel sous des pierres tombales ciselées de trois-mâts défiant les flots. Les chaumières fleuries du village, semées entre roses et roses trémières, sont précédées de carrés de gazon plantés de larges fauteuils d’osier, où l’on prend le thé… ou une bière. Charmant.
Sylt, havre chic des Wadden
En Allemagne, passer ses vacances à Sylt (« zult »), c’est un peu comme, chez nous, aller sur la Côte d’Azur. Kampen, lancée dans les années 1920 par Thomas Mann, Emil Nolde et d’autres artistes, y joue les Saint-Tropez du Nord avec ses people, ses galeries et ses boutiques Gucci et Hermès installées dans des chaumières… On s’y balade à vélo et nez au vent, en butinant de plage en plage.
Du sommet des falaises rouille des Rotes Kliff et de l’Uwe-Düne, point culminant de l’île (52 m), le constat est sans appel. Tout en longueur (35 km) pour seulement 600 m de large au plus étroit, Sylt est un grand radeau de sable, dardant vers le continent un unique et large bras.
Chemins et passerelles en bois sinuent entre les églantines et les dunes tandis que, côté mer, de larges fauteuils en osier rayés de bleu et de blanc invitent à lézarder – avec maillot de bain ou sans, tout dépend du coin.
Dans leurs cahutes sur pilotis, les sauveteurs veillent, façon Miami Beach, sur les windsurfeurs et kiteurs. Au-delà, de loin en loin, des beach bars invitent à l’escale, Onkel Johnny’s au premier chef. Est-ce un dauphin à l’horizon ? Non, un marsouin. Ils sont un millier à nager dans le coin.
Dernier arrêt dans les terres : à Keitum, maisons de brique et chaume des capitaines et baleiniers (XVIIe-XVIIIe s.) se cachent derrière leurs haies et leurs murets. Trop joli.
Sylt a quasiment inventé la glisse allemande lorsque, dans les années 1960, les frères Behrens lancèrent les premières planches de surf sur la mer du Nord, au Buhne 16 – fidèle au poste.
Rømø, une île danoise dans le vent
Vieille terre de culture frisonne (germanique) intégrée au monde viking, duché danois puis province prussienne, le Schleswig-Holstein a grandi entre deux mondes, jusqu’au partage entre Allemagne et Danemark intervenu par référendum en 1920. Depuis lors, le ferry qui relie le petit port de List à l’île de Rømø traverse la frontière – franchie sans même s’en rendre compte.
Après 40 min de traversée, le bateau atteint le port danois de Havneby où veillent encore quelques vieux canons calés sur des rochers. Un peu plus loin, on se gare sur le sable à l’orée de l’immense plage de Sønderstrand, QG des amateurs de char à voile. Tout ce qui vole est à l’honneur à Rømø…
À Lakolk, le goudron de l’unique route transversale s’efface d’un coup. Et voilà que l’on roule sur la plage. Une plage ? Une mer de sable, plutôt, au ciel souvent constellé de cerfs-volants. Pas un caillou ici, juste une lagune formée à marée haute entre deux bancs de sable.
En arrière-plan, quelques dunes moutonnent, mangées par une lande de bruyère. Point culminant : 18 ou 19 m, selon la force du vent. De vieux bunkers s’y planquent – jusque dans les bois de pins et de feuillus. Les habitations, elles, se regroupent côté continent, dos au vent.
À Toftum, la vieille ferme du Kommandørgården (musée), toute de brique et de chaume, voisine avec la plus ancienne (1784) et la plus petite école du Danemark. Les garçons y apprenaient à lire et compter jusqu’à 10 ans, les filles jusqu’à 8 ans…
Le 1er week-end de septembre, ils sont des milliers à s’y réunir pour le grand Dragefestival (« festival du dragon ») – on y a vu voler une panthère rose et un dinosaure. Le reste du temps, le lieu est livré aux kitesurfeurs.
La délicieuse ville médiévale de Ribe
Depuis l’après-guerre, Rømø est reliée au continent par une longue digue. C’est donc à pied sec que l’on quitte l’île pour filer vers l’une des plus belles villes du Jutland – la partie continentale du Danemark, formant une énorme et longue péninsule.
À 5-6 km de la mer des Wadden, le cœur historique de Ribe dessine une île encerclée d’eau et de kog (polders). Un cadre parfait pour cette adorable bourgade médiévale aux maisons à colombages pastel assaillies de roses trémières.
Fondée dès avant le VIIIe s. à l’époque viking, Ribe fut une place commerciale de premier ordre, au confluent des mondes scandinave, frison et anglais. Au IXe s., l’évêque Ansgar (un Picard !), « l’apôtre du Nord », y fonda la première cathédrale du Danemark. Rebâtie au XIIe s. dans un style roman, elle s’ancre encore puissamment sur une vaste place pavée, mêlant pierres originelles et briques postérieures.
Coiffant l’ensemble, la Borgertårnet (1333), haute de 50 m, offre un panorama imprenable. Mais il faut aussi voir, sur la pile de la chaire, l’anecdotique marque indiquant la hauteur qu’atteignirent les eaux de la grande noyade en 1634…
Pour pénétrer l’esprit des temps anciens, il y a le marché aux fromages chaque mercredi d’été, la ronde du veilleur de nuit relancée, et le Ribe Vikinge Center, un campement viking reconstitué avec église et habitations où, à la belle saison, des passionnés s’amusent à revivre comme avant l’an 1000. Tout le monde peut participer !
Mandø et Fanø, à l’heure des marées
Retour aux tailles réduites. Juste à l’ouest de Ribe, une longue chaussée submersible mal dégrossie permet d’accéder à l’île de Mandø. Un radeau de 7,63 km², plat comme une limande, partagé par une grosse trentaine d’habitants et un nombre bien plus élevé de moutons de prés salés. On serait en Allemagne, on parlerait de Hallig. Alternativement, le Mandøbussen, un tracteur tirant un bus-remorque, dessert directement l’île depuis Vester Vedsted en coupant droit à travers les estrans inondés !
Sur place, à moins de comptabiliser les huîtriers-pies baguenaudant dans les champs, le tour est vite fait. Au programme : une église de 1727 et un beau moulin hollandais de 1820. La destination est parfaite pour s’adonner à de longues randonnées à travers les vasières – à pratiquer de préférence en compagnie d’un bon guide.
Horaire des marées en poche, on file vers Fanø, la plus septentrionale des îles du parc national danois de la mer des Wadden. Un dernier saut de puce en ferry et la voilà qui déroule ses champs, ses landes et ses pins (tiens, des arbres !). La pointe sud, enrobée d’étangs et… de sable bien sûr, est la plus sauvage. On y embarque pour un safari pédestre aux phoques et aux pygargues à queue blanche, l’aigle des mers.
En mars-avril et septembre-octobre, au crépuscule, l’heure est au sol sort, le « soleil noir ». Les étourneaux sont alors si nombreux à se rassembler dans la région qu’ils forment des nuages opaques obscurcissant par moments la lumière du jour ! Incroyable.
Fiche pratique
Retrouvez tous les bons plans, adresses et infos pratiques dans le Routard Danemark, Suède en librairie.
Consulter nos guides en ligne Allemagne et Danemark
Office de tourisme allemand (en français)
Office de tourisme danois (en français)
Parc national allemand de la mer des Wadden (en allemand)
Parc national danois de la mer des Wadden (en anglais)
Comment y aller ?
Location de voiture au départ de l’aéroport de Hambourg. En dehors de Rømø, reliée au continent par un pont, et de Mandø, accessible par une chaussée submersible, les autres îles sont toutes desservies par ferry. En été, mieux vaut réserver longtemps à l’avance si l’on veut passer un véhicule (cher) et, hors saison, se renseigner sur les fréquences, réduites. Cela dit, sur place, on se déplace presque partout à vélo.
Sylt, elle, peut être rejointe en ferry depuis Rømø (toute l’année) ou… par le train, à bord duquel on charge son véhicule. C’est obligatoire (pas d’accès direct par route) et franchement pas donné vu la distance : 68 € l’aller, 120 € l’aller-retour avec le Blaue Autozug (« train bleu »), moins cher que les liaisons concurrentes de la Deutsche Bahn.
Réservations :
- Ferry vers Pellworm depuis Nordstrand
- Ferry de la WDR vers Föhr et Amrum ou vers Hooge et Langeneß
- L’île de Mandø en tracteur !
Quand y aller ?
Tout dépend de l’optique du voyage. Les amoureux des oiseaux privilégieront les périodes de migration et de formation des « soleils noirs » (mi-mars à mai et en septembre-octobre). Les autres choisiront plutôt la belle saison de fin mai à fin août, tout en sachant que, même en plein été, les journées pluvieuses ne sont pas rares.
Où dormir ?
Le sujet peut être épineux. Hors saison, de nombreux établissements ferment et, en haute saison, ils sont souvent réservés des semaines, voire des mois à l’avance – et il en va de même pour les appartements et les cottages en location (souvent jolis).
Pour ne pas dépenser des fortunes, le camping reste une bonne solution, presque partout. On trouve 3 terrains à Nordstrand, 1 à Pellworm et Amrum, 2 à Föhr, 7 à Sylt, 3 à Rømø, 1 à Mandø et 4 à Fanø. Beaucoup se trouvent à proximité du littoral, parfois directement dans les dunes mais sans emplacement assigné – et on tend à s’y entasser en plein été. Quelques-uns proposent des tentes prémontées, en version simple ou même glamping.
Bonnes adresses
Pour capter l’identité profonde des Halligen, l’idéal est d’y séjourner. À Langeneß, on a le choix entre l’hôtel Anker’s Hörn – notre préféré – et la Gasthaus Hilligenley, les deux installés dans d’anciennes fermes, avec resto et location de vélos. Cher, mais les options sont très limitées ! On peut aussi louer un appart dans certaines fermes, notamment à Neuwarft ou, mieux encore, à la Maison Honkenswarf, de 1875, dont la Friesenstube a été transformée en mini-musée de l’habitat d’autrefois. En prime, ici : bar, épicerie, sauna, petite biblio, vélos en loc, matos de pêche, barbecue et un… « bar à bottes » !
On peut aussi séjourner sur le Hallig de Oland à la Maison Nommensen, qui propose une chambre double et un appart pour 4 ; ainsi qu’au Hallig Nordstrandischmoor, aux 2 chambres très abordables (où il faut venir avec ses vivres !).
Bon à savoir
Pratiquez votre frison. Ici, pour se saluer, on ne dit pas hallo, mais moin, à l’ancienne.
Texte : Claude Hervé-Bazin
Mise en ligne :