La Creuse à vélo
Claude Monet, lors d’un séjour en Creuse entre mars et mai 1889, aurait dit : « À force de le regarder, je suis enfin entré dans la nature de ce pays, je le comprends à présent et vois mieux ce qu’il y a à en faire. » Après quatre jours à vélo à travers la Creuse, on remplace volontiers « regarder » par « pédaler ».
La Creuse, en Nouvelle-Aquitaine, est d’une beauté rebelle, de celle qui ne s’offre pas au premier regard. Le deuxième département le moins peuplé de France, après la Lozère, est de ceux qui gagnent à être connus.
Qui sait qu’il eut comme ambassadrice George Sand et qu’il accueillit au XIXe siècle près de 500 peintres impressionnistes ? Que la tapisserie d’Aubusson, six siècles de tradition dans ses franges, renaît aujourd’hui avec une Cité Internationale et des projets audacieux ? Et que dire du plateau de Millevaches, superbe parc naturel régional constellé de prairies, de lacs, de tourbières et de forêts ?
Autant de belles surprises qui vous attendent au fil de pérégrinations cyclistes en Creuse… On a testé quelques tronçons sur le terrain et on valide !
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Les Creusois en rigolent, leurs départementales prennent parfois des airs de pistes cyclables. Les stats parlent d’elles-mêmes : 21 habitants au kilomètre carré, moins de 500 voitures par jour sur certaines routes. On aurait tort de se priver d’un grand tour de la Creuse à vélo. D’autant qu’une boucle de 322 km et 12 étapes embranchent les principales communes du territoire.
Le département n’est pas bien haut, son point culminant (le puy des Chaires) n’atteint même pas les 1 000 m d’altitude. Mais ne vous fiez pas aux apparences. Sous des dehors dociles, les routes ne sont qu’une enfilade de montées serrées et de descentes. Et à moins d’avoir les mollets de Poulidor, l’enfant du pays, qui a droit à son circuit (23,5 km) autour du lac de Vassivière, on vous conseille d’opter pour l’assistance électrique et d’éviter les chemins de traverse terreux (sauf si vous excellez au VTT).
Attention tout de même, la couverture réseau est taquine, les réparateurs et les transports en commun rares et certains endroits sont isolés. N’oubliez ni votre pompe ni votre kit crevaison. Une moyenne de 50-60 km/jour reste très convenable, surtout avec ce dénivelé.
L’office du tourisme de La Souterraine, en face de la gare, loue des vélos (5 en tout, mais des électriques devraient bientôt compléter la flotte). Les prix sont dégressifs en fonction de la durée et du nombre de vélos réservés. À partir de 10 € la demi-journée pour un vélo (15 € la journée, 35 € les 3 jours, 70 € la semaine). Tél. : 05 55 89 23 07.
La Vallée des peintres, de La Souterraine à Crozant
Vélo : 2 h et 24 km. Randonnée pédestre : 3 h.
À 2 h 45 en Intercités de Paris-Austerlitz, La Souterraine, deuxième ville la plus peuplée du département, est le point de départ de notre tour de la Creuse. Et ça commence fort ! En effet, à 23,9 km de là se trouve Crozant, dont la beauté, la minéralité et les ruines ont donné naissance à l’école picturale de Crozant (pour la reprise du motif, non pour l’invention d’une technique).
En chemin, à 20 min à vélo de La Souterraine (ça descend), il y a Saint-Agnant-de-Versillat et son église du XIIe siècle aux étranges fresques (sur la voûte), puis celle de Saint-Germain-Beaupré (20 min) et son faîte-éteignoir aiguisé comme un casque à pointes. La Chapelle-Baloue (25 min) est la dernière halte avant d’entrer à Crozant (30 min) par le pont Charraud et de se frotter à l’impétueuse Sédelle.
À Crozant, beaucoup de peintres logeaient à l’hôtel Lépinat. Devenu musée, le lieu revient sur l’histoire de la passion impressionniste (de 1850 à 1930) pour la vallée de la Creuse : la médiation de George Sand, la liaison ferroviaire entre Paris et Crozant (7 h de train + 1 h en calèche), l’invention des tubes de peinture, le goût romantique pour l’ancienne forteresse médiévale.
Appâté par ce préambule, on emprunte, à pied, le sentier des peintres, un itinéraire de 3,8 km (1 h 30 de marche) qui boucle les points panoramiques peints le long de la Sédelle par les plus éminents représentants de cette école de Crozant.
Autre balade : celle qui mène au rocher de la Fileuse avec une marche escarpée de 45 min après le pont de Crozant. Et là, impossible de lutter contre le sortilège de cette vallée, lorsque la Creuse et la Sédelle serpentent et confluent.
Pas encore sevrés ? Vous pouvez également vous balader, à pied, parmi les ruines de la forteresse (4 €) modelée par les Lusignan, entre les tours Colin et Renard, à 75 m au-dessus de la Creuse.
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À la sortie de la gare de La Souterraine, grimpez (très court mais raide) en haut de la porte Saint-Jean, vestige de l’ancien rempart (demandez la clef au bar du marché, gratuit), la meilleure vue sur les environs. Chemin inverse pour pénétrer dans la crypte, et ses deux puits (crypte ouverte en juillet et août ou sur demande), et les boyaux de la cité qui leur doit son nom. La ville propose aussi des parcours découvertes et une visite audioguidée.
Aubusson : étape dans la capitale mondiale de la tapisserie
Si Aubusson a vu filer ses habitants ces quarante dernières années (de 7 000 à 3 500), elle a su garder un centre-ville énergique autour de sa Grande Rue et de la tour de l’Horloge dominant les toits en bardeaux de châtaignier.
Depuis 2016, la Cité internationale de la tapisserie (8,5 € ; tarif réduit 6,50 €) est l’attraction majeure de la ville. Un site incontournable pour découvrir l’incroyable diversité de ce savoir-faire inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco depuis 2009. Entre les murs lambrissés et bariolés de la Cité, on parcourt six siècles reliés par le fil de la tradition tapissière.
Après une introduction pédagogique (1er étage), on entre, au rez-de-chaussée, dans la « nef des tentures » comme on entrerait en religion. S’étire ici une infime partie des collections d’Aubusson qui plonge chronologiquement dans l’histoire de la tapisserie : des « faiseurs de chairs » – lissiers spécialisés dans la carnation (superbe Portrait de Jean-Charles de Cordes) – aux « modernes » comme Jean Lurçat, Marc Saint-Saëns ou Dom Robert ; des verdures (scènes végétales, XVe siècle) aux œuvres monumentales contemporaines.
Aujourd’hui, la Cité internationale de la tapisserie, à la fois lieu d’exposition, centre de formation, de création et de documentation, tisse des liens avec des partenaires pops et prestigieux : 14 tapisseries et 2 tapis autour de l’univers de Tolkien (« Aubusson tisse Tolkien » jusqu’au 22 septembre), 4 méga-tapisseries foisonnantes de textures et de couleurs avec le studio Ghibli d’Hayao Miyazaki (une cinquième de 31 m² et une sixième dans les cartons), des collections limitées (« carré d’Aubusson »), demain une œuvre autour de George Sand.
Les tombées de métier (présentation des nouvelles tentures) font battre le cœur d’Aubusson qui accueille également, dans le charmant quartier de la Terrade, où vivaient les teinturiers et les lissiers, l’atelier-musée des cartons de tapisserie (8,5 € ; 3 € tarif réduit). En effet, pour réaliser de telles prouesses de fil, il faut bien partir d’un patron, le carton, première interprétation colorée de l’œuvre. Et c’est tout le travail de cet établissement que de valoriser et de restaurer ces supports, qui n’ont souvent rien à envier aux peintures de paysage.
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Impossible de quitter Aubusson sans avoir goûté le gâteau creusois. Une petite trentaine de pâtissiers connaîtrait la véritable recette (héritée d’un parchemin du XVe siècle exhumé d’un monastère de Crocq) de ce dessert à base de noisettes, de blancs d’œufs, de beurre, de sucre et de farine. La pâtisserie Rullière (81, Grande Rue) est une bonne adresse pour vous approvisionner.
Le plateau de Millevaches, d’Aubusson au lac de Vassivière
Vélo : 7 h et 100 km.
Le gros morceau du tour de Creuse à vélo avec des dénivelés à casser les papattes des meilleurs grimpeurs ! D’Aubusson, il faut rouler 45 min à 1 h (c’est âpre) pour rejoindre Felletin, l’autre épicentre de la tapisserie, au riche patrimoine civil et religieux.
À partir de là, Saint-Quentin-la-Chabanne, La Nouaille, Saint-Marc-à-Loubaud, le lac de Lavaud-Gélade, Royère-de-Vassivière tracent une ligne, ni droite, ni plate, jusqu’au lac de Vassivière. Si l’envie vous prend, à Saint-Marc-à-Loubaud, pédalez vers Gentioux-Pigerolles (on vous déconseille les raccourcis obliques, embrochant Le Chiroux, Les Maisons ou Villemoneix) et le pont de Sénoueix, l’une des attractions de la région.
De forêts (55 %) et d’eau, le plateau de Millevaches n’en manque pas. Pentu, granitique, il semble ruisseler de partout. La Creuse y prend d’ailleurs sa source. Et elle n’est pas la seule (la Vienne, la Corrèze, la Diège…). Chaque route paraît être flanquée d’un cours d’eau. Ici le Gourbillon, plus loin la rigole du Diable. Des ruisseaux qui ont fait sa réputation (Millevaches signifie 1 000 sources).
Sur le plateau, le lac artificiel de Vassivière, 1 000 ha, à cheval sur trois départements (Creuse, Corrèze et Haute-Vienne) prête ses berges aux balades (le sentier de Rives, 30 km), aux plages (avec une eau proche des 25 °C) ou aux activités nautiques. Un goût de Canada, pas très dry avec, tout autour, des tourbières aussi denses que les forêts.
Partez à la découverte à pied de la rigole du Diable. Vous longerez sur 3 km (environ 1 h) le Thaurion, un affluent de la Vienne, qui a su buriner des gorges. Il existe une légende autour de cette rigole. Une histoire de ruisseau détourné avec l’aide du diable, finalement berné par un moine. Pas content, le Malin a frappé un rocher et y a laissé l’empreinte de son pied. À vous de la trouver.
La Creuse thermale, d’Aubusson à Évaux-les-Bains
Vélo : 45 km et 3 h.
Au nord-est d’Aubusson, un autre parcours conduit à Évaux-les-Bains dont les sources hyperthermales raffermissaient déjà les corps des Romains à la fin du Ier siècle. Avant, on croise plusieurs bourgs de pierre, deux étangs et on fait une halte à Chambon-sur-Voueize dont l’abbatiale Sainte-Valérie du XIe-XIIIe siècles, surprend par ses dimensions colossales.
Après en avoir apprécié les voûtes, le portail à voussures et les détails, rien de mieux que de passer le pont roman, en contrebas. L’entrelacs de ruelles de la vieille ville derrière soi, on grimpe la colline pour toiser l’abbatiale et ses jardins.
Il faut garder de l’énergie pour le tronçon entre Chambon-sur-Voueize à Évaux-les-Bains. Petit plateau, pignon de gauche, danseuse de circonstance. Mais, bientôt, des eaux sulfatées à 60 °C, riches en minéraux et en oligo-éléments, viendront récompenser tous ces efforts.
Évaux-les-Bains, arrosée par deux sources, César et Rocher, est l’unique station balnéaire du Limousin. Et ce, depuis des siècles : on a retrouvé des vestiges de thermes gallo-romains sur le site. En 2023, le Grand Hôtel, de style Belle Époque, a été le premier à se refaire une beauté. Suivront le centre Spa et Bien-Être et la piscine extérieure en eau thermale en 2025, alors que les cures (rhumatologie, phlébologie, gynécologie) sont toujours assurées.
Le centre-ville d’Évaux-les-Bains, à 10 min à vélo de là (nouvelle montée, on comprend qu’une étape du Tour de France parte d’ici en 2024), étonne à plus d’un titre. D’abord par le parc aux… daims, qui la borde. Mais surtout par l’abbatiale Saint-Pierre-Saint-Paul. Il y a là tout ce qui fait la richesse du Limousin : des pierres granitiques, des bardeaux et une voûte en châtaignier, l’arbre fétiche de la région.
L’office du tourisme d’Évaux-les-Bains propose un itinéraire de 45 min à la découverte des curiosités locales. Échauguettes, anciennes pompes à essence, maison des Saints un poil baroque, fresque de 2006.
Fiche pratique
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Site de la Cité internationale de la tapisserie
Toutes les informations utiles avec les itinéraires, les établissements « accueil vélo », des conseils, la liste des loueurs et réparateurs sur le site de Creuse Tourisme.
Comment y aller ?
– En voiture : Aubusson se trouve à 1 h 30 de route de Clermont-Ferrand et de Limoges, 3 h de Lyon (via A89), 4 h de Paris (A10 et A71) et de Bordeaux (via A89).
– En train : gare SNCF de La Souterraine (2 h 45 de Paris-Austerlitz).
– En train + location de voiture : via Limoges ou Clermont-Ferrand.
Voiture ou vélo sur place.
Où dormir ?
– Hôtel du Lac : Pont de Crozant, Le Goutatin, à Crozant. Cette grande maison d’hôtes jouit d’une situation exceptionnelle dans la vallée de la Creuse. Au menu, cinq chambres confortables (environ 15 m², vue sur la Creuse pour certaines), une offre de demi-pension et un restaurant, mais également la location de paddles et de canoës-kayaks, un parcours en bateau-promenade. Nouveauté : un petit train touristique (entre 3 € et 10 €) qui sinue dans la vallée des peintres. Chambres entre 75 et 80 € (tarifs dégressifs à partir de 2 nuits).
– Hôtel Colbert : 57, Grande Rue, à Aubusson. L’hôtel Colbert a pris ses quartiers dans la maison de l’ancien notaire du village. À l’intérieur : quatre chambres (bientôt cinq) dont deux suites, spacieuses et gracieuses, qui fusionnent goût anglais, style Louis XVI et un petit côté indus’ (dans les salles de bains). Des secrétaires en bois, des fauteuils cabriolets, des motifs mais aussi des tapisseries, Aubusson oblige. Chambres à partir de 95 €
– Maison d’hôtes Ourdeaux : à Alleyrat. À 6 km d’Aubusson, à Alleyrat, Cécile et Christophe se plient en quatre pour rendre votre séjour le plus plaisant possible dans leur ferme du XVIIIe siècle. Chambres (cinq et un gîte) coquettes et agréables, délicieux petit déjeuner et dîner en table d’hôtes, concoctés avec soin. Produits locaux (miam l’omelette aux girolles), circuits très courts restent les maîtres-mots. La grange réinventée en salle de jeux et la piscine extérieure finissent par mettre tout le monde d’accord. Chambres à partir de 70 €.
– 59 degrés : si les eaux d’Évaux-les-Bains sont à 60 °C, le restaurant des thermes n’est qu’à 59. Mais les bienfaits sont identiques pour l’organisme avec une cuisine soignant saveurs et présentation. Saint-Jacques snackée à la bisque de langoustine, tajine de volaille à l’orientale, séduisant entremets aux fraises… De quoi se faire du bien ! Menu du jour à 19,90 €.
– Le France : 6, rue des Déportés, à Aubusson. Une institution, hôtelière et gastronomique, sise dans un relais-poste du XVIIIe siècle. Benoît Corjon, qui a fait ses classes au Crillon, y déploie une cuisine raffinée et respectueuse des traditions locales : le fondu creusois y a sa place comme les fraises du coin. 35 € le menu avec mise en bouche, entrée, plat et dessert. Le Petit France, la version bistrotière, décline, midi et soir, des menus à 18,50 € et à 23 €.
– L’Auberge de la vallée : 14, rue Armand Guillaumin, à Crozant. En plein centre de Crozant et à quelques mètres de l’hôtel Lépinat, le chef Sébastien Proux aligne les menus (de 26 € à 74 €) et les plats goûteux dans le respect des saisons et de l’ultra-local (légumes du jardin). Le cadre est classique, tout comme les assiettes. Le mignon de porc au romarin avec sa purée de pommes de terre façon « mémé » (le jus au centre de la purée) nous a bien requinqués avant de reprendre la route !
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Texte : Florent Oumehdi
Mise en ligne :