9 jours à Sikinos, une île pour les pieds.
Avant mon départ je me posais quelques questions sur Sikinos et Ios que je voulais revoir. Ios ne m’avait pas plu en 1991. Je gardais le souvenir d’une grande discothèque, venteuse, et d’un orage violent qui avait noyé les ruelles du Chora, suivi d’une tempête nous immobilisant au port.
En sortant de l’aéroport, je monte dans le bus X96 après avoir acheté mon billet 3,20 € dans la petite guérite. Avant de m’engouffrer dans le bus, je m’assure qu’il reste des places assises, sinon je prendrai le suivant. J’oublie pendant quelques kilomètres de valider le billet, la chaleur m’accueille, la lumière fait plisser les yeux, les courants d’air s’engouffrant par les fenêtres coulissantes, m’ébouriffent. Nous filons vers le Pirée. Une impression d’irréalité tant la transition est rapide, mais le chaos lumineux qui court sur les côtés de la route ne laisse aucun doute, ce sont les faubourgs d’Athènes. Cette année, j’ai réussi à réserver par courriel une chambre à Paros pour deux nuits chez Sofia. Elle parle un peu le français. La chambre coûte 30 euros.
Au Pirée, le même bonhomme que l’année précédente m’interpelle à la descente du bus pour me proposer son agence. Je prends un billet pour Paros sur le Blue Star de 17 h 30 à 27 €. Je n’ai plus qu’à faire quelques achats pour le trajet, je n’ai pas pris le risque d’emporter une bouteille d’eau dans mon gros sac. Au bout de la place, devant l’entrée du métro, le kiosque propose à des prix raisonnables eau et bière Mythos. Un gyros pita dans une ruelle proche me graisse les doigts et me rassasie. Retrouver les bons réflexes, quelle est la direction du vent, du soleil, du bateau, à gauche sur le pont vers l’avant. Je prends la meilleure place au pied de l’escalier. Notre ferry quitte le port du Pirée, sous un ciel d’orage.
Au loin, les cohortes de maisons blanches des faubourgs d’Athènes partent du bas des montagnes chauves et se précipitent vers la mer. Nous glissons sur l’immensité mouvante et bleue où dansent les crêtes blanches. Les vacances commencent dans ce mouvement vers les îles. Parfois une vague heurtée par la proue arrose le pont, je déplace les sacs que deux Françaises m’ont confiés pour quelques minutes. Je suis installé à bâbord, sur une chaise en plastique au bas de l’escalier. Devant moi, tables et banquettes blanches sont délaissées par les passagers que le vent et les embruns ont poussés vers le ventre du navire. La nuit nous rattrape, un seul arrêt à Syros, la ville illuminée défile pendant que nous manœuvrons pour l’accostage. Enfin Paros, son port Parikia, animé, brille, chasse les étoiles. Je ressens la fatigue de mes trois heures de sommeil agité de la nuit précédente. Un départ de Strasbourg à 4 h 30, la navette pour Francfort, l’avion. Le mari de Sofia vient me chercher, m’évitant les négociations que je redoute un peu en arrivant tard, lorsque je suis épuisé. Je traverse les rangs des loueurs j’ai repéré l’homme qui tient une pancarte “Sofia”. Nous échangeons des Kalispera, quelques phrases, un tour de voiture.
Je visite ma chambre. Sa fille me précise le fonctionnement de la porte, en plus de la clef, il sera nécessaire d’insérer une plaquette transparente qui contient ce qui ressemble à une puce pour activer l’électricité de la chambre. Le lendemain matin, je salue Sofia, que je rencontre pour la première fois. Nous avions échangé des courriels l’année précédente, sans succès, aucune de ses chambres n’étant libre vers le 9 septembre 2006.
Pour 6 euros de plus, je m’offre un petit-déjeuner dans le jardin au milieu d’une forêt d’oliviers entourée d’un gazon vert tondu à ras. Cette année, je ne suis pas là pour visiter Paros, que j’apprécie. Le système de bus le plus efficace de toutes les îles grecques, cinq couleurs, cinq destinations, un panneau avec les itinéraires et lorsque j’ai commencé à noter les horaires, la femme dans la l’abri m’a tendu une photocopie. Le bus permet d’atteindre l’autre bout de l’île en 20 minutes. Certaines plages sont à proximité, l’une se situe de l’autre côté de la baie, aller-retour en caïques pour ceux qui oublient leurs jambes. Deux autres plages au fond de la baie sur la gauche face au port.
J’ai le choix, Sikinos demain ou bien la turbulente Ios. Elle perdra encore quelques-uns de ses fêtards si je la fais patienter. Ce sera Sikinos, île peu fréquentée, qu’il est préférable, je pense, de ne pas visiter trop tard dans la saison, car vers la fin du mois de septembre l’activité se ralentit. Les bus, bateaux, restaurants se raréfient. De plus, Sikinos contrastera avec Paros.
Manuel me dépose au port, il me propose de boire quelque chose, mais je ne veux pas le retarder.
La traversée est longue sur le Panagia Tinou, qui part à 11h 15, Paros, Naxos, Folégandros, Sikinos, Ios… Le soleil ruisselle sur le pont, où les places assises se font rares, ce qui ne me décourage pas de pique-niquer. Repas arrosé d’ouzo sur un banc sous le haut-parleur qui caricature un film de Tati.
Je me fais surprendre par notre itinéraire, pas précisé dans l’agence, confus, je demande à un couple de touristes quelle est cette rive vers laquelle nous nous précipitons. Folégandros ! “Sapristi” dirait le capitaine Haddock. Je reconnais enfin la belle, cinq années plus tard, quelques maisons en plus sur ses flancs. Je revois l’endroit où je m’étais baigné de l’autre côté de la plage et du petit port, un fond marin déchiqueté, impressionnant. J’observe avec la plus grande attention le flanc de l’île suivante que nous longeons. Quelques passagers sont montés, trois jeunes filles, l’une semble particulièrement émue par son départ. Une amoureuse de plus.
Nous sommes deux touristes à descendre du ferry, deux gamins crient “Sikinos Sikinos” en sautant sur place tout en saluant leur famille qui les attend sur le quai. Un peu plus de monde nous attend qu’à Iraklia.
Deux pancartes “Lucas” et une “Tasos”. Je fonce sur le porteur de la pancarte “Lucas”. Je négocie une chambre à 20 euros, pour une semaine. Se souvient-il de Jean-Paul ? Je resterai 9 jours. Son fils me conduit avec la camionnette, la terrasse est bien, ouverte en angle au-dessus d’un jardin d’eucalyptus nains d’un vert tendre aux longues feuilles qui ondulent à la moindre brise. La chambre est petite et correcte. À l’usage, hormis les fourmis peu nombreuses mais escaladant tout même le frigo cubique posé sur un meuble, il sera impératif de fermer la porte de la salle de bain W-C, de laisser la fenêtre grillagée ouverte car parfois cela refoule un peu.
Le jour de mon arrivé, après avoir déposé mes affaires dans ma chambre, je suis redescendu explorer le bord qui sur la carte se nomme Patithraki. En s’éloignant sur les rochers hérissés au-delà des dernières maisons qui bordent l’eau, le soir me surprend avant que je ne me décide à me mouiller. La curiosité me pousse à aller toujours plus loin jusqu’à apercevoir quelques maisons isolées vers Kavos Sikias. Je fais demi-tour car des éboulis m’empêchent de continuer le long de la mer.
Il y a autant de bonheur à découvrir les îles qu’à les retrouver.
Alors même que je parcours le pays, je me dis que je ne reverrai peut-être plus ces lieux, car les balades sont comptées. Les bords ne sont jamais les mêmes, s’il y a des ressemblances, ces formations géologiques déclinent toutes sortes d’accidents et de contraintes depuis des millénaires. La matière enfouie se dresse, torsadée, à la rencontre de la mer. Ces côtes travaillées par l’homme sont usées par le temps. Le dévoilement et la disparition du paysage derrière nous participent de la marche, mais contempler et marcher ne font pas bon ménage, ne l’oublions pas.
Sikinos a un charme brut, si Lonely Planet l’évoque, le Guide du Routard l’ignore. Entre les collines, une vallée descend vers la mer formant une baie paisible. La route divise la vallée, croise le lit du torrent à sec, puis longe la partie où l’eau de pluie pourra s’écouler. Cet espace en terre battue juste avant la plage sert de parking, on y répare et entrepose quelques barques.
Alopronia compte une centaine de maisons dispersées sur ses flancs, une plage où sont plantés quelques parasols et des bancs en fonte et en bois. Un petit port, trois terrasses, quelques bateaux, la jetée, une avancée pour les ferries pointe droit sur Santorin. L’abri pour les passagers que domine de quelques mètres la Pizzeria. Le restaurant Lucas jouxte la supérette de Flora dont tous les habitants du bas dépendent. Flora est aimable et n’abuse pas de son monopole. Je remercie Jean-Paul au passage ainsi que le site http://www.cycladen.be/
Ils m’ont encouragé à débarquer ici.
Je me suis rapidement demandé pourquoi je n’étais pas venu plus tôt. Si le nombre de chambre reste limité, le Chora formé de Apano Chorio et de Kastro sera une alternative, surtout que beaucoup de balades partent de ce village perché, dominé par un monastère. Les possibilités sont nombreuses, les criques sont belles, quelques plages, des bords accessibles, des promenades infernales, je n’ai vu qu’un troupeau de chèvres et un trooupeau de moutons, par contre les ânes sont nombreux.
La carte Anavasi en poche achetée chez Flora 5 €, je découvre les cinq balades répertoriées.
Le bus coûte : 1,20 €, depuis Chora où il passe la nuit. Horaire début septembre : 7h 15 — 10h — 12h —14h30 — 17h — 18h30 — 20h — 21h30 — 23h30 —
Remontée depuis le port de Alopronia, ajouter 15 minutes pour les 4 km de route.
Bus jusqu’à Chora. La première balade du 5-9 est l’une des plus difficiles, je filme le monastère de Zoodochou Pigís. Je m’en éloigne, vers l’héliport je dépasse la carrière, et je continue la route non goudronnée qui bifurque. Je prends à gauche, lorsque cette route se termine je pense être sur un chemin qui peut m’amener jusqu’à la mer et je me perds dans les terrasses. Après des efforts laborieux je dois renoncer, je pique-nique dans une oasis d’arbres accrochée à la dépression du terrain. Je profite de l’ombre d’un pin torsadé et touffu, assis sur un tapis d’épines sèches. L’endroit est merveilleux, le bleu traverse les touffes vertes. Je remonte et je prends l’autre direction qui d’après la carte conduit à Malta Bay en passant par Agia Trianda. Le chemin est indiscernable sur la fin, c’est au jugé que je me dirige vers la crique.
Pendant que je descends avec précaution, un dernier caïque viendra chercher quelques baigneurs. L’endroit est sauvage et beau, sable et cailloux entourés de rochers avec un gros bloc divisant la plage. Une seule baignade hélas, je ne peux m’attarder, il est 17h, la montée sera rude, j’ai le soleil dans les yeux et un vent fort de face. Je peste contre tous les visiteurs de ce lieu qui n’ont pas été capables de se mettre d’accord sur un sentier et l’indiquer pas à pas. Je me promets de revenir avec de la peinture, même si c’est impossible de trouver le meilleur passage.
Le jour décline lorsque je redescends du Chora par la route à pied, cela ne fait que 4 km supplémentaires, m’évitant d’attendre le bus. Nouvelle surprise une allemande, habitant le village perché me rattrape. Elle descend à pied avec son chien, nous bavardons, les habitants que nous croisons la saluent. Nous parlons des chiens blancs qui rôdent autour de la carrière, des ouvriers les ont abandonnés sur l’île. Elle pense qu’ils sont méchants. La chienne m’a accompagné pendant 1 km avant de s’en retourner. Un jour sur l’île d’Alonissos, j’ai croisé un toutou collant. J’ai dû partager mon repas. Les canidés ne savourent pas la nourriture, ne s’intéressent pas au paysage. J’ai placé mon sac dans une anfractuosité, hors de portée de sa truffe puis je me suis coulé dans la mer. Il est parti immédiatement. Autour de la carrière, j’ai compté trois chiens, un mâle, le plus gros, une femelle et un chiot, faméliques et inoffensifs. Je suis incapable de plaider leurs causes en allemand. Je crois simplement que Christina a dû tenir sa chienne Sophie à l’écart. Ceci engendrant probablement un conflit canin.
6-9, les journées de randonnées sont parfois épuisantes. Je précise que je filme avec un caméscope équipé d’un pied léger et court de 1,05 m. Cette contrainte m’impose de m’accroupir des dizaines de fois par heure. Les fabricants n’ont pas pensé à incorporer un dispositif qui indiquerait l’horizontal. Ils condamnent le vidéaste à une énucléation temporaire, à force de viser la surface lointaine et évanescente de la mer.
Aujourd’hui je m’accorde une promenade facile, mes pas me portent jusqu’à la crique de Dialiskari par une route en terre, à 45 minutes de Alopronia. Sa petite plage plantée d’une poignée de parasols en paille. Je m’installe sur les éboulis rocheux, sur la droite d’un gros rocher vert et plat. 10 m au-dessus de moi est planté le panneau DEH indiquant le départ d’un câblage électrique sous-marin reliant Ios. Le soleil frappe l’eau en une multitude de miroirs sautillants. Une double baignade suivie d’un pique-nique à l’abri des brûlants rayons le long des deux garages à barque. L’une des barques est encore présente sous les gravats. Un couple sur la plage que mon caméscope inquiète. La jeune femme grecque inspecte les rochers où je me suis installé, je suis surpris à travers mon hublot de sa soudaine apparition alors que je nage vers le rivage.
Je me reproche la médiocrité de mon anglais et de mon petit grec, car cette jeune femme semble partager le plaisir de parcourir les bords où eau et rocher se mêlent dans des étreintes convulsives ou délicates. Sur le retour, comme il est encore tôt, le ciseau rocheux entrevu depuis la route m’attire irrésistiblement à l’endroit du panneau Prosoki Mèlissès. D’abord je n’ai pas peur des abeilles, puis je vais descendre en longeant le versant opposé aux ruches. Vingt minutes de piétinement entre bouquets de piquants, arbustes acérés et cailloux pointus. Enfin j’atteins le roc qui tel une chevelure pétrifiée disparaît dans les remous bleu et verts. Le fond est magnifique, la roche s’enfonce rapidement dans les profondeurs. Parfois les éléments sont effrayants se battant sans relâche, nos corps fragiles n’ont rien à faire là. Aujourd’hui la chaleur aidant, les poissons semblent m’inviter à la baignade.
Le 7-9, la balade numéro 1, le bus nous monte tardivement jusqu’au Chora, je prends la route vers 10 h 30 en direction d’Episcopi. Après environ 2 km le chemin commence, sur le côté droit, un panneau indique " Old Path Episcopi ". Il longe une côte splendide sur quelques km, d’autres îles se jouent de la brume, taquinent ma mémoire. J’étais là-bas sur le mont Zeus scrutant les nuances de bleu cherchant autour de moi dans l’espace immense, l’endroit d’où je regarde maintenant.
Je croise tour à tour un troupeau de moutons, un autre de chèvres ; cela me rassure un peu, je craignais l’extinction de ces cabotines velues et l’odeur âcre du bouc sur cette île. Elles sont curieuses et craintives, aux couleurs de la terre.
Episcopi est un édifice récupérant des colonnes et des marbres antiques entourés de quelques murs et dépendances. Je retourne sur mes pas sur 200 mètres, pour retrouver le chemin. Un couple de touristes vient d’immobiliser leur voiture au bout de la route asphaltée. Je les observe se frayer un chemin compliqué vers l’église, ils s’approchent, nous nous saluons de loin, plus bas le sentier bâti s’enfonce vers le sud de l’île. La mer apparaît entre deux collines ; plaisir de passer rapidement d’un côté à l’autre de l’île. Puis quelques cairns bienveillants nous imposent de quitter ce chemin parfait pour descendre dans le creux et entamer le retour. Des tas de pierres nous guident sans relâche, je remercie leur auteur. Quelle guigne de se perdre lors de ces marches sous un soleil de feu. Je chemine longtemps en ligne droite jusqu’à voir les deux langues de mer de Sandorineika. Cette crique surprenante est idéale pour un pique-nique. Il y a là une petite guérite de ciment incompréhensible. La mer est un peu agitée, son mouvement est absorbé par la grève blanche et lumineuse. La remontée sera encore plus dure car je tente de couper au plus court, une séance de tout-terrain. Je me suis délesté d’une grande partie du contenu de mon sac, dont un demi-kilo de retsina en l’avalant. Je retrouve le chemin, avec un réel bonheur, entre quelques vieux murs. Il contourne une grosse dent rocheuse qui semble s’être détachée de la montagne. Je m’accorde une pause, je tente un somme au milieu du sentier formé de roches plates. Mais à peine ai-je fermé l’œil qu’un bateau à moteur longeant le bord, s’arrête à 100 m de distance. Leurs occupants semblent se soucier de ma posture de gisant. Je me relève pour couper court à toute interprétation concernant mon état, je leur fais un signe de la main. Je contourne la dépression de la baie de Pandeleimonas en saluant Ag. Pandelemon. Tel un ethnologue amateur, je remarque les reliefs de quelques fêtes récentes, un tas de couverts jetables colorés qui me font penser que le feu effacera ces restes, lorsque le vent ou la saison le permettra. Après avoir contourné la crique tout en bas, je monte de plus en plus difficilement vers un col. Enfin le port d’Alopronia se révèle au-delà de tria Pigadia, une petite baie où s’accrochent quelques maisons dont une de couleur rose, précédant le cape Katergo.
Ce qui rend Sikinos accueillante est entre autre le kilomètre de côte rocheuse et basse qui commence à deux cents mètres du port d’Alopronia vers la gauche en direction du cape Katergo. Cette partie est desservie par une route en terre, elle est peuplée de quelques rares maisons. Ce lieu sera une alternative à la plage du port. Le bord sauvage gris, vert, blanc et rouge décline de multiples formes de rochers qui se couchent dans la mer en pente douce que l’on peut explorer à loisir, et se glisser dans l’eau en maints endroits.
Je me suis baigné deux fois depuis la langue rocheuse face à tria Pigadia après avoir trouvé un emplacement pour aller à l’eau sans frayeur, le fond est impressionnant, comme souvent lorsque le bord est abrupt. Je précise qu’entrer dans l’eau de ce côté du cape Katergo où de gros rochers forment une digue massive, requiert la prudence. Les pieds sont pareils à des papillons agiles, ils s’ennuient dans l’eau à servir de palme, veulent reprendre la route.
Le soir, les collines avalent le soleil bien avant la nuit. Je tente de rentrer le plus tôt possible pour profiter du panorama en savourant une bière sur ma terrasse. Le ciel s’assombrit, d’abord deux étoiles solitaires dans un axe vertical, puis la nuit ouvre le bal stellaire, dévoile un univers minéral, pendant que le gecko guette la procession de grosses fourmis noires le long de l’angle le plus proche de la maison de la famille Lucas. Parfois nous sommes confrontés à des situations inhabituelles ; ce matin c’est le frigo Daewoo qui me piège. Je viens de le brancher à nouveau, chacun sait que leur proximité bruyante est un souci. Je passe l’éponge à l’intérieur du frigo, éponge indispensable dans la liste de ce que j’emporte. Elle reste collée instantanément sur la plaque. Je devrais l’arracher et éteindre le frigo la nuit suivante pour voir se détacher le morceau restant. Je me fais peur en imaginant mes doigts collés…
Le 9-9, après le passage à l’épicerie, je saute dans le bus, je filme en un long plan séquence toute la durée de la montée jusqu’au Chora. Ce sont déjà les adieux alors même que l’on se promène. Le ravissement de la découverte du pays chevauche celui du sentiment de sa perte, même si notre relation au pays est plus imaginaire que réelle.
La balade numéro 2 part de Stamatini. je me serais moins fourvoyé si j’avais mieux étudié la carte qui ne ressemble pas au terrain. Ma première erreur, je traverse Apano Chorio et je remonte sur la gauche, je me perds dans les chemins qui mènent aux champs, après quelques détours je retrouve derrière la colline la chapelle Aghia Paraskevi puis celle d’Aghios Polykarpos.
Le chemin après Stamatini offre trois directions je prends celui du milieu qui tourne autour du mont Troulos. Il me conduit jusqu’à Ag. Mamas, un beau cul-de-sac venteux et une vue magnifique. Je pourrais rejoindre Episcopi que j’aperçois dans la vallée. La descente serait rude de tous les côtés, et j’ai déjà visité cette partie. Je décide de rebrousser chemin après avoir repéré sur la carte où je me situe. La proximité d’un gros rocher égaré me procure ombrage et sert de coupe-vent à mon pique-nique sur les hauteurs ; la moitié sud de l’île forme un décor idéal. Je me rechausse et je rejoins Stamatini en trottant, parfois je songe au coureur de marathon pour relativiser mes efforts de marcheur toujours prompt à geindre. Le chemin suivant, hélas, sera quasiment parallèle, je le découvre 20 minutes plus tard, en comprenant que je me trouve juste un peu plus bas sur le mont Troulos.
Plus question de faire demi-tour, je mets le cap sur Alopronia en ligne droite. Je descends la montagne à travers piquants et cailloux, jusqu’à rejoindre le minuscule sentier numéro 2 près d’une bergerie à l’abandon ; il court aux pieds des collines pelées en direction d’Ag. Pandelemon. Je progresse tranquillement vers un lieu déjà connu. j’attends avec curiosité l’instant ou je reconnaîtrais le chemin. Un rapace dans le ciel, parfois une colonne de fourmis m’accompagne, que j’évite d’écraser. Le fil brillant tendu à travers le chemin, une grosse araignée immobile, mouchetée jaune et noir, attend. Un lézard guette une mouche.
10-9, je descends vers la crique au pied du Chora. Un bout de route très pentue qui démarre au pied de la terrasse “to Iliovasiléma” et se termine net, quelques centaines de mètres plus bas, puis à gauche suivre le chemin. Vers l’intérieur du pli, en direction de la petite chapelle blanche Ag. Elefthèros qui se trouve en bas. Quelques mètres plus bas que la chapelle, quitter sur la gauche par les rochers jusqu’au bord. L’eau est accessible si la mer est calme, sans vent du nord, de préférence avec un masque, parade aux oursins, et après avoir scruté les rochers qui plongent dans l’eau. Quant à la crique toute proche, elle abrite un nid de frelons. Elle retient quelques débris entre les pierres immergées. Je ne serai pas seul. La marcheuse grecque filiforme, que je croiserai plusieurs fois, surgit. Son ombre glisse sur moi, elle s’installe à une dizaine de mètres plus loin.
Plus tard, lorsque je décide d’explorer l’endroit, un couple arrive, je n’en crois pas mes yeux : Madame, que j’ai croisé à plusieurs reprises, seins nus sur d’autres rochers, a des mules aux pieds, elle est accompagnée d’un homme. Elle me demande par où il faut passer. Hélas je remonte de la crique pas si praticable que cela, je leur explique le passage pour atteindre la mer, elle n’est pas très convaincue et proteste en grec lorsque je leur indique mon itinéraire.
Bon finalement je les précède jusqu’à l’emplacement que j’avais découvert deux heures auparavant. La jeune femme étant toujours là, ils peuvent échanger leurs impressions, me maudire probablement, car moi j’ai un masque et si les rochers ont l’air effrayant, cela n’inquiète pas les poissons. Je trouve un second endroit pour descendre jusqu’à l’eau, plus difficile, juste avant l’entrée de la crique sans véritable plage.
11-9, en préparant mon sac, je constate l’absence de mon chapeau blanc acheté à Tinos il y a deux ans. Un peu d’exercice, je vais refaire le chemin de la veille. Il a dû tomber de ma poche, mais où ? Peut-être pendant que je redescendais à pied par la route ? je pars à sa recherche ma serviette de bain sur la tête car malgré mes cheveux mi-long, le soleil est redoutable. Je parcours la route vers le Chora sur les trois quarts de la distance en observant les côtés. J’abandonne, bredouille. Je redescends au port. Chez Flora, j’achète un nouveau bob bleu, au bord un peu plus large ce qui m’évitera les coups de soleil sur le pif.
Direction Tria Pigadia, cette crique sans accès est visible depuis le chemin en revenant d’Ag. Pandelemon. J’ai pourtant fait 2 fois le sentier dans l’autre sens, je me perds dans un champ de piquants. J’ai simplement inventé un passage qui se referme peu à peu sur moi. À partir du col c’est tout droit à travers les pierres et les piquants, 30 minutes de descente, presque encore autant à explorer les rochers rouges gris et blancs qui se battent avec le bleu de l’eau. Une jolie barque jaune m’a précédé. En entamant la descente, je trébuche sur un piquet en fer, reste d’une clôture qui dépasse de 15 cm. Ouf ! Plus de déséquilibre que de mal, ce piège m’incite à la vigilance, à laquelle il est bon de s’astreindre. Les rochers adéquats pour se glisser dans la mer, un peu d’ombre pour le pique-nique. En nageant je découvre qu’en m’éloignant sur la droite le bord s’adoucit complètement.
Après réflexion, je me décide pour un départ à 5h 40, le 13 09 2007 sur le Romilda de Sikinos à Ios.
Je préfère cette heure matinale pour plusieurs raisons, la journée n’est pas dévorée par le changement d’île, peut-être verrais-je le jour se lever depuis le pont. En cas de difficulté pour trouver une chambre pas trop chère (25 euros maximum) je pourrais repartir vers Anafi le jour même.
12-9, le bus fait parfois deux arrêts rapprochés au chora pour ceux qui veulent visiter le monastère. Il me dépose vers 10h35. Les Français entament leur pèlerinage vers Episcopi
J’achète mon billet de bateau 3,80 euros, dans l’agence située une ruelle avant la boulangerie. L’agence est ouverte de 9h à 13h et de 18h à 22h. Je ne tenterais pas d’acheter le billet près de l’abri à passagers qui est théoriquement ouvert une heure avant le départ des ferries.
Je quitte le Chora par un sentier que prolonge une ruelle presque à l’horizontal, à mi-distance du sommet où se trouve le monastère et de la route. Je croise un rude gaillard à pied, chargé de bidons en plastique colorés. Je longe la chapelle d’Ag. Charalambos. Je retrouve la route près de l’Héliport, elle domine le terrain de foot minuscule qui finira par être recouvert par les amas de gravier provenant probablement de la route en construction. La roche est broyée pour former différente grosseurs de graviers. Un homme me dissuade de prendre la nouvelle route qui traverse l’île en direction d’Ag. Georgios en raison des explosions. Mécontent et protégeant mon caméscope de la poussière avec ma serviette de bain, je prends la direction de la colline aux sachets plastiques résultat d’une décharge sauvage. La route déjà empruntée surplombe à une hauteur de 300 m la côte sauvage découpée en doigts plantés dans le bleu.
A l’endroit d’une grotte fermée par un muret sur la gauche, je décide de suivre quelques empilements de pierres, ils indiquent le départ d’un chemin, celui de la promenade n°5 sur la carte Anavasi en direction de Aghia Fotini. La montagne d’abord pentue se plisse jusqu’à la mer, mais le long de quel pli, de quelle arête dois-je passer ? Il existe effectivement un ancien chemin presque effacé, et les amoncellements de pierres m’encouragent, ainsi que la présence de la petite chapelle blanche en bas. La baignade et le pique-nique n’en sont que meilleurs. La remontée et le retour s’effectuent par le même chemin en passant par le monastère.
Nous restons sur la terrasse “iliovasilèma” regarder le roi soleil prendre son bain du soir, plonger derrière l’île de Folégandros pendant que nous lui tirons le portrait. Je n’ai pas fait attention à l’heure 19h30 ou 40. La femme de la crique est présente ; je l’ai revue hier soir, elle a teint ses cheveux en blond ce qui lui va bien, elle me salue en quittant la terrasse. La jeune femme que j’ai croisée à plusieurs reprises dans les coins difficiles d’accès et qui m’a emprunté ma carte, était assise derrière nous.
Nous nous éparpillons. J’ai sauté dans le bus qui s’arrête quelques mètres plus loin. La rotation de la terre se fait vers l’est.
Pour nous situer un peu, en partant des chambres Lucas, hormis celles qui se trouvent de l’autre côté du port, au bord de l’eau, les chambres sont à une distance de 500 m à vol de tourterelle et à une hauteur approximative de 50 m dans le prolongement de la route qui file vers le port, après avoir traversé son petit jardin d’arbres verts, la route de terre fait un “s”, après environ 200 m, elle rejoint la route Chora — Alopronia puis descend raide, passe devant la station-service Eko, puis la bâtisse de la DEH noyée dans les cyprès, traverse un pont fait une courbe légère suivie d’une ligne droite jusqu’à longer la plage, se termine en forme de point d’interrogation, en passant devant l’épicerie, les quelques terrasses, le quai aux barques de pêche et les 2 bateaux d’excursions que je n’emprunterai pas et la jetée qui pointe en direction de Santorin.
ANEMOS Cruises (coûte je crois, 5 euros par personne aller-retour)
Daily from port
St. George 12:15
St. George - Malta 15:00
Beach St. George 15:45
Malta 17:45
St. George 18:00
Une abeille égarée se pose sur ma main. J’entends le craillement des corneilles, pas un frémissement de vent. La baie est éblouissante, le clavier de mon agenda électronique devient illisible, même à l’ombre de la terrasse. Avant de commencer à ranger, je prends une douche, le soir, la chaleur est de retour. Un grillon stridule pour mettre en musique les mots des voisins Polonais.
Dernière soirée, vers 21h30 je descends une pénultième fois au port payer ma chambre. J’entre dans la cuisine surchauffée du restaurant de Madame Lucas, elle me félicite pour la durée de mon séjour de 9 nuits. Je lui remets 180 euros, je récupère ma carte d’identité, après les salutations je me sauve. Je m’installe sur un banc en me disant que je n’ai même pas filmé les bateaux de pêches de toutes les formes, aux couleurs chatoyantes. Santorin au loin n’est pas visible depuis ma terrasse. Je suis ému de partir, de quitter cet endroit, ce ciel peuplé de myriades d’étoiles. Je retourne à ma chambre. La grappe de lumières s’enroule autour d’un bout de route, barré par la jetée puis vient le noir.
Le départ, réveil la nuit, le sac est prêt, c’était court, c’était bien. Partir de nuit est plus facile, je descends la route sous les étoiles, les sacs me tirent les épaules, alourdissent mes pas sur le dos de Sikinos. Le ferry surgit du noir, fonce sur les quelques habitants rassemblés, il fait son tête-à-queue, s’amarre, crache quelques véhicules et passagers. Nous embarquons car déjà le monstre d’acier s’impatiente.
Pour vous donner une idée de ce qui vogue dans les parages :
Departures from Sikinos until 30/9/O7
Monday 20h ARSINOI - Ios
Tuesday 05h40 ROMILDA - Ios, Thira, Anafi
Tuesday 15h00 ARSINOI - Folègandros, Thirasia, Thira
Tuesday 16h00 PANAGIA TINOY - Ios, Thirasia, Thira, Anafi
Tuesday 18h40 ROMILDA - Folègandros, Kimolos, Milos, Sifnos, Serifos, Kithnos, Piraeus.
Wednesday 11h20 PANAGIA TINOY - Folég, Naxos, Paros, Mikonos, Siros, Kithnos, kéa, Lavrio.
Thursday 05h40 ROMILDA - Ios, Thira
Thursday 12h3O ARSINOI - Folègandros
Thursday 14h2O ARSINOI - Ios, Thirasia, Thira, Anafi
Thursday 18h40 ROMILDA - Folèg, Kimolos, Milos, Sifnos, Serifos, Kithnos, Piraeus.
Friday 12h30 ARSINOI - Ios
Friday 14h00 ARSINOI - Folèg, Thirasia, Thira
Friday 21h15 HOZOVIOTISSA - Folègandros, Kimolos, Milos.
Saturday 02h40 ROMILDA - Folègandros, Thira, Anafi.
Saturday 11h45 HOZOVIOTISSA - Ios, Naxos, Paros, Mikonos, Siros.
Saturday 20h00 PANAGIA TINOY - Ios, Thirasia, Thira, Anafi.
Sunday 11h00 ARSINOI - Ios
Sunday 11h20 PANAGIA TINOY - Folèg, Naxos, Paros, Mikonos, Siros
Sunday 12h30 ARSINOI - Folèg, Thirasia, Thira, Anafi.
Sunday 12h40 ROMILDA - Ios, Naxos, Paros, Piraeus.
only from the Agency of Chora
tel. 2286051168 ou 6936621946
Je salue les habitants de Sikinos ainsi que toutes les personnes que j’ai croisées.
J’espère y retourner prochainement, compléter mes promenades, refaire certaines d’entre elles en connaissant les chemins un peu mieux, ce qui rend la marche autrement plus agréable. Je crois savoir que certains touristes ont réussi à négocier un tour en bus jusqu’à Episcopi. Il serait nécessaire de s’y faire conduire et rechercher pour atteindre la partie la plus éloignée de l’île au sud ouest en terre inconnue, Aghios Ioanis et Kara Bay. Peut-être est-ce possible en bateau.
Bientôt la nouvelle route sera terminée elle conduira de Chora en passant par l’Héliport jusqu’à Agios Georgios.
Le couple de Lyonnais avec qui j’ai souvent discuté et sympathisé et que je retrouverai plus tard à Ios m’expliqueront que le restaurant Lucas a fermé la veille de leur départ le 15 septembre, quant à ses chambres, elles restent ouvertes jusqu’à la fin du mois d’octobre. Certaines taxes sont au même niveau ici que sur les îles voisines très fréquentées me disait Lucas. La politique n’a pas été évitée cette année, élection oblige, le mot est Ekloyi. Nous nous accordons sur une sensibilité de gauche, vive le Pasok ! La défaite comme chez nous ouvre la voie à une classe toujours plus avide.
Je vous conseille d’imprimer la ou les balades sur le site http://www.cycladen.be/ celle de Chora - Stamatini - Troullos et retour, car le noeud de chemins de Stamatini est une source d’erreur.
J’ai essayé de faire court en vous épargnant une foule de détails qui font la joie de nos séjours.
Je salue Caroline, Christian et tous les amoureux de la Grèce.
à suivre
lionel