Jeudi 27 septembre 2018, quelque part entre Tabatinga et Manaus….
Voilà déjà trois jours que je navigue. Si l’énergie de Leticia ne m’avait pas chargé que d’ondes positives, mes peurs et doutes se sont envolés. Le voyage se déroule de manière fluide et naturelle.
Le mardi, nous avons commencé à embarquer vers 13 heures. Mon look voyageuse-routarde-crâne-rasé m’ont valu un long contrôle de la part de la police, à la recherche de substances hallucinogènes. Tout en gardant le sourire et en plaisantant avec moi, les policiers brésiliens ont ouvert jusqu’au dernier sachet de mon grand sac.
J’ai pu ensuite monter sur le navire et me suis retrouvée à côté de Josue, extraverti et sympathique vénézuélien. Je sais qu’il est important de faire pas mal de connaissances sur le bateau, il y a beaucoup de “trafic”, entre les gens qui montent, qui descendent, il est toujours bon d’être (bien) entouré(e).
Je fais ensuite connaissance avec un groupe de 12 garçons, la majorité nord américains et vivant à Hong Kong. Ils font ce voyage en mode “enterrement de vie de garçon”. Le concept est original je trouve. Avec un autre colombien et un luxembourgeois, nous sommes les seuls étrangers à bord. Il faut savoir que pour les brésiliens, toute personne venant d’un autre pays, même voisin, est un “gringo”.
Très vite, une avalanche de hamacs se met en place.
Je suis contente d’être à côté de Josue, qui m’a l’air de confiance, et qui, en plus, parle espagnol.
Le premier soir est assez étrange, nous nous arrêtons en pleine nuit dans un port, beaucoup de gens montent, je surveille quand même un peu mes affaires et me réveille régulièrement. Je me dis qu’il faut faire confiance aux gens, il n’y a pas le choix, mais jamais en oubliant où je me trouve.
Le deuxième jour commence en m’illuminant d’une merveilleuse lumière. Ce lever de soleil est spécial.
L’affluent de l’Amazone où nous nous trouvons, la rivière Solimoes, est gigantesque et la verdure s’étend depuis ses bords à perte de vue.
La beauté des premiers rayons de soleil laisse place à une chaleur étouffante. Je commence à sortir mon matériel “bracelet brésilien”, mon nouveau hobby.
J’ai appris depuis quelques jours plusieurs types de nœuds et très vite je vends quelques créations. Une dame vient vers moi et me donne un billet. Elle me dit quelque chose et repart. Heureusement Josué me traduit. Elle ne veut rien , c’est juste pour m’aider. Son sourire et son geste me touchent beaucoup, je décide alors de lui offrir un des porte-clef en crochet que je fais depuis quelques mois. Elle me donne alors deux oranges pour me remercier. Entre barrière de la langue mais générosité et sourires, voici mes premiers échanges avec les brésiliens.
Le soir, je demande à un des garçons du groupe “nord -américain” si je peux déposer mon sac dans leur cabine. Je me sens plus à l’aise de me décharger temporairement de la surveillance de mon ordinateur portable et de mon appareil photo. Cet étrange et subtil mélange de confiance, de lâcher prise, tout en prenant en compte la réalité dans laquelle je me trouve m’ont déjà mené sans encombres à mon 13ème mois de voyage et je veux continuer ainsi.
Plus tard dans la soirée, malgré une merveilleuse pleine lune, je discute tranquillement avec des passagers, tout en observant les étoiles.
Lendemain, troisième jour. Je suis réveillée par Josue. Il secoue mon hamac, le pauvre, il ne sait pas que je ne suis pas du matin. Un peu ronchon je lui réponds et vois qu’il m’a apporté le petit déjeuner. Adorable. Une heure après, il saute rapidement dans un autre bateau car il est arrivé à sa destination. La fugacité et l’intensité des échanges, autre subtil équilibre, est devenu presque une habitude. Nous échangeons un “abrazo”, salut typique en Amérique du sud et nous souhaitons mutuellement bonne route. En dix secondes il disparaît dans l’immensité du fleuve. Je passe le reste de la journée entre sieste, confection et ventes de bracelets, discussions et sourires avec d’autres passagers.
Quatrième jour. Cela devient long. Très long. Le comportement de certains passagers me laissent perplexes. Entre ceux qui prennent la rivière pour une poubelle, ceux qui me réveillent, alors que je dors, pour me demander divers services… Il me tarde d’arriver à Manaus. Je pense que cette proximité forcée commence à jouer sur mes nerfs. Le groupe des douze garçons me donne également une sensation étrange. J’ai l’impression qu’ils pensent que tout est lié à l’argent. Ils sont dans une autre réalité, loin de la mienne. J’essaie de ne pas juger, juste observer, mais je n’ai pas forcément envie de trop me mêler à eux. Un des garçons me proposent de partager gratuitement une des chambres avec eux. Ils font faire la fête le soir et la perspective de me retrouver seule avec douze hommes éméchés de m’enchante guère. Pour les avoir observé boire et pour rester sur une note positive, je refuse.
Cinquième jour de bateau, quelque part entre Manaus et Santarem.
“Quelle vie!”. C’est ce que je me suis dit en prenant ma douche ce matin, dans les WC-douche d’un mètre carré. Je commence presque à m’habituer. Je suis arrivée à Manaus hier soir. Petit coup de stress car nous sommes arrivés bien plus tard que prévu (23 heures au lieu de 12…). La ville est connue pour son insécurité nocturne et je ne savais pas trop quoi faire. Sans réservation d’hôtel, si tard et ne voulant pas vraiment prendre de taxi seule (les faux taxis sont plus rares mais existent en Amérique du sud, dans les grandes villes notamment). Des brésiliens m’ont dit qu’il étaient possible et préférable de ne pas sortir du port et de rester dormir dans le bateau. Même si une connexion wifi et un bon lit étaient tentants, j’ai finalement suivi mon intuition et suis restée. En arrivant dans cette ville gigantesque, située en plein milieu de l’Amazonie, c’est un spectacle de lumières. Je rapproche finalement mon hamac d’une mère et son fils, avec qui j’avais sympathisé depuis Tabatinga. Celle-ci a la bonne idée de me raconter ses mésaventures une nuit comme celle-ci où elle s’est fait voler toutes ses affaires sur le bateau. Elle me dit qu’elle ne compte pas dormir. Ambiance. Pas vraiment rassurée, je m’endors quand même malgré moi et ouvre les yeux sur un ciel rougit par la lumière du lever du soleil. Je m’enfonce un peu dans le port et achète un billet pour Santarem.
En montant dans le bateau, je remarque que je suis l’unique “gringa”. j’installe mon hamac près d’une famille. Je les observe un moment et décide de leur faire confiance en leur demandant de jeter un coup d’œil sur mes affaires. Je file au marché. Ce bateau, contrairement au précédent, n’inclut pas la nourriture. Et j’avoue que je suis contente de faire une pause du régime “riz-flageolet” pour quelques jours. Je tente des petites conversations en espagnol, en fourrant le peu de mots portugais que je connais. Voilà, je suis en mode “portugnol”. On me répond, bien sûr en portugais, mais j’arrive, dans l’ensemble à comprendre.
Quand je reviens sur le bateau, c’est une jungle de hamacs qui m’attend.
Je pense que l’étage est plein mais non, des gens arrivent encore à se faufiler et à accrocher leur “lit” de fortune.
En partant de Manaus, je peux apercevoir un phénomène étonnant, appelé “encontro das aguas” en portugais. En effet, c’est à cet endroit que se rencontrent le rio Negro et le rio Solimoes. Les eaux du rio Solimões sont limoneuses et de couleur ocre du fait de la forte érosion dans son bassin dans les Andes, alors que celles du rio Negro sont noires, du fait qu’il a traversé des étendues stagnantes de la plaine forestière amazonienne et de marais riches en humus (le petit moment scientifique de l’article). Ces deux affluents s’écoulent côte à côte mais sans se mélanger, sur plusieurs kilomètres. Le phénomène est dû aux différences de température, vitesse et densité des eaux des deux rivières. Celles-ci forment la rivière Amazone. C’est assez impressionnant à voir.
Sixième jour. Silence, observation et introspection. Et patience. Le temps passe lentement. La chaleur de cette nuit ne m’a pas laissé dormir correctement. Je me réveille à 5h30 mais me recouche rapidement jusqu’à 9 heures. Une certaine lassitude s’est installée: répétition, promiscuité exagérée et chaleur… Je me motive tout de même à faire un nouveau bracelet et prends une douche. Je m’assois ensuite sur un des bancs, face aux fenêtres de mon étage. Une dame s’assoit très près de moi, même si le reste du long banc est libre. “Bom apetite”. A défaut de pouvoir faire de longues phrases, je communique avec le peu de vocabulaire que j’ai. Elle me remercie et m’offre de partager son repas avec elle. Je refuse poliment. Elle commence à me parler et je lui dis que je ne parle pas très bien sa langue. On échange quand même quelques banalités. Elle m’offre un fruit, je lui partage les quelques raisins secs que j’ai acheté au marché. Cet échange bref et rapide me touche et me fait du bien. Je réalise que ces prochains mois au Brésil, pays fascinant et différent, dont je ne connais pas la langue, vont être tintés de silence, introspection, observation et… humilité. Cela faisait de nombreuses année (depuis mon échange Erasmus) que je ne m’étais pas confronté à l’apprentissage et au défi d’apprendre une nouvelle langue.
J’arrive le soir sur Santarem. Il est tard mais les gens ont l’air d’être confiants pour sortir du bateau. Je sors, le taxi ne veut pas me prendre en course pour aller jusqu’à l’arrêt de bus. Bon. Je hèle un jeune homme qui marche un peu plus loin devant moi. Je lui demande si il peut me montrer où est l’arrêt et surtout, je ne veux pas être seule dans la zone portuaire, de nuit et dans une ville que je ne connais pas. Il est content car nous échangeons quelques mots en français, il est justement en train de prendre des cours. Finalement il me laisse à l’arrêt. J’attends presque une heure, pas rassurée à 100% d’être seule à cet arrêt, de nuit et sans savoir si le bus passe encore aussi tard pour Alter Do Chao. Je commence à me dire que je vais rester dans cette ville cette nuit quand un bus annonçant ma destination passe. Ouf! J’arrive à Alter Do Chao vers 22 heures et décide de me payer le luxe de prendre une auberge de jeunesse (au Brésil c’est quand même plus cher) pour deux nuits. Mes jambes tanguent encore, sous l’effet du bateau que j’ai pris en continue pendant presque une semaine et je suis vraiment exténuée. J’ai bien mérité un vrai lit et une nuit de sommeil profonde … De nuit je ne me rends pas compte que je suis arrivée au paradis, mais ça, c’est une autre histoire ;).
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