Je prends souvent le parti de visiter les petits lieux, où peu de gens s’arrêtent. Cela me semble une approche plus sûre pour rencontrer les locaux. Le camping, qui nous met à la merci des éléments, va dans le même sens et est de surcroît propice à une plus grande communion avec la nature. Vivant à San Cristobal de Las casas, j’ai séjourné en mai aux alentours de Palenque, la ville où se trouve un des sites archéologiques maya parmi les plus réputés au Mexique.
Portant ma tente en bandoulière, je quitte la cascade de Misol-Ha, située à 20 kilomètres de Palenque, très impressionnante, et je marche le long de la route. Tandis que je m’arrête pour souffler, un groupe de dindons vient à moi. Ils ont une manière très drôle de bouger leur cou, et, à un moment, la majorité d’entre eux a la tête pointée du même côté. Et, un peu plus loin, la pancarte aperçue en passant avec le bus confirme en effet ce que j’avais cru voir: “Balneario - Centro eco-turistico Otulum”.
Une bifurcation signale l’entrée d’un village, celui de Adolfo Ruiz Cortinez. Je m’engage sur cette route, et je croise des gens, du village, je présume. On m’explique que le centre écotouristique se trouve au niveau de la “Casa ejidal” (ou maison de l’”Ejido”, une forme de gestion collective des terres issue de la révolution). Je finis par la trouver, non sans mal, passe à côté d’une école, puis, en coupant, atterrit dans une clairière, avec une maisonnette, et, non loin, une rivière.
Pendant que je contemple le lieu, un jeune adulte arrive près de la maisonnette. C’est Emilio, il m’explique que je peux sans problèmes camper ici, (en payant 50 pesos) et me mettre où je veux. Il me montre quelques unes des peintures qu’il a réalisées à ses heures perdues. Je fais la connaissance de son père, Cristobal, ainsi que d’un de ses neveux, apellé aussi Cristobal, avant de planter la tente.
Le programme de l’après-midi est vite fait: Cristobal enfant m’enmène découvrir une cascade liée à cette rivière mais qui se cache un peu plus loin dans la nature. En revenant de là, un iguane d’un bon mètre saute dans la rivière, et s’enfuit dans la direction opposée à nous. Plus tard, j’observerai un couple de singes hurleurs, se déplaçant en toute tranquillité dans les branches au-dessus de nous. Nous sommes aux abords de la jungle “Lacandone”, une zone connue pour sa diversité en espèces animales.
En fin d’après-midi, je retrouve Cristobal père et échange avec lui et Emilio autour de différents thèmes: ses enfants, à qui il a donné des parties de son lopin de terre, et la fois où, par manque de ressources, il a du aller chercher du travail en ville. Son espagnol n’est pas parfait vu que sa langue est le chol, et Emilio l’aide donc en lui traduisant certaines de mes phrases. Le courant passe bien entre nous, et, alors que la nuit commence à tomber, Cristobal me propose de boire un café dans leur maison.
Au menu donc, tortillas (gallettes de maïs, l’équivalent pour les mexicains de notre pain) cuites sur le feu de bois et café. Je prends conscience du dénuement dans lequel vit cette famille (tout comme bien d’autres dans les campagnes) et je découvre le drame qu’ils vivent depuis l’accident de la maman: paralysée suite à une chute, celle-ci est dans une chaise, communique à peine, et arrive tout juste à manger seule. Ils n’ont pas assez d’argent pour payer un traitement adéquat. Le lendemain matin je ne verrai pas Cristobal père, parti, travailler au champ, mais je fais mes adieux à Cristobal, enfant qui joue avec un des masques sculptés par Emilio, Emilio, et la rivière, qui m’a si bien accueilli.
Direction Palenque
J’arrive au centre de Palenque, ville nichée au creux de la jungle, et qui s’est beaucoup développée récemment, conséquence de l’exploitation touristique du site archéologique. On a même construit une “zone hotelière” à côté du site, ce qui à mon sens renforce l’isolement dans lequel évoluent les touristes (à l’extérieur du centre) et n’est pas trop pour me plaire. Je laisse de côté la visite du site pour une prochaine fois, et cherche un bus pour les “Lagunes de Catazaja”, un nom qui m’inspire et qui est mentionné dans un de mes guides, comme étant un lieu avec beaucoup d’oiseaux. C’est quelque part dans ces lagunes que se trouve Pajonal, une pointe (plus qu’une presqu’île) recommandée pour sa tranquillité par un vendeur de tacos de Palenque, avec qui j’ai eu l’occasion de papoter. Et on peut y camper!
Après un bus jusqu’à l’entrée de la ville de Catazajà et un taxi pour la traverser, je me retrouve au bord des lagunes en compagnie de quelques hommes, à attendre un petit canot sensé nous y amener. L’un d’eux, un grand gaillard bien émmêché a décidé de me tenir la grappe: il s’adresse à moi dans un espagnol déformé par l’alcool et incompréhensible, me suis où que j’aille, et je dois plusieurs fois m’écarter de lui. Mon tourment prend fin une fois dans le bateau, dans lequel l’énergumène se calme, bercé par le clapotis des vagues sur la coque, et la lumière du soleil de fin d’après-midi. Pajonal correspond de loin à ce qu’on m’avait indiqué, un lieu tranquille, où on voit, à certains endroits, nombre d’oiseaux sur les berges, parmi eux une sorte de cigogne, (cf. photo) ou encore le héron dit “vert”.
En débarquant sur le lieu, je me faufile à côté d’un des passagers, la seule femme, en tenue de travail, (un haut blanc, de rigueur en cuisine) et ce, alors qu’elle quitte le débarcadère et s’engage sur un chemin qui semble rentrer dans le bourg. J’échange quelques mots avec elle sur le fait de camper, et elle me glisse que “pour être protégé des intempéries, au cas où il y a toujours le dôme, il se trouve un peu plus loin”. Cela n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Je marche jusqu’à passer à côté du dôme, puis bifurque à gauche pour rejoindre le bout de la pointe aperçu du bateau, où j’ai cru voir une étendue plane, propice (qui sait?) à planter la tente.
Ce soir-là la météo me joue des tours, et je dois évacuer la tente, car des flots d’eau s’écoulent vers l’endroit où, naïf, je commençais à m’endormir. Grâce à une lampe torche achetée il y a peu, je me fraye un chemin en pataugeant dans l’eau venant à contre sens, et je réussi à retouver le dôme, ouf!
Des trombes d’eau viennent s’écraser sur le toit du dôme en un vacarme qui, en peu de temps atteint les parties les plus retranchées de mon cerveau, jusqu’à me faire oublier l’humidité qui a touché certains de mes habits. La nuit sous le dôme sera crue et je savoure, au matin, un café préparé sur une des plages, au bout d’une structure faite de bâtons et de filets et construite semble-t’il par les pêcheurs, pour retenir les poissons.
Je décide de quitter Pajonal n’ayant plus de provisions et sentant le besoin d’un changement, voire d’un peu de confort -il n’y a pas à Pajonal, de restaurant. Une famille s’apprête justement à retourner du côté de “lagunas” et me fais l’honneur de me prendre à bord de leur esquif, quelle chance!
Au débarcadère il y a un homme, aussi affairé avec son bâteau, et le contact se fait. Il me demande d’où je viens, commence à me parler de la lagune et m’invite dans son restaurant, où il a, dit-il, des images à me montrer. Il me montre la vidéo d’un tour en bateau qu’il organise pour aller voir les oiseaux, pendant qu’il partage avec moi un café et un peu de pain.
Je me sens comblé par cet accueil, et décide de rester, dans la salle, ouverte sur la rue, de son restaurant, le “Pélican”. A partir de 14 heures, des familles viennent manger. Je prends aussi un plat, un filet de poisson, plutôt goûtu. Puis, Ramon me propose d’aller avec lui en bâteau, car il doit chercher un mouton chez son oncle, qui habite dit-il un ranch bien joli, près de Pajonal. Une fois la bête attrapée, et embarquée, nous retournons vers la base, le restaurant, où, Ramon m’invite à passer la nuit si le coeur m’en dit pour ne plus être à la merci de l’orage (assez fréquent en cette saison).
C’est avec cette perspective plutôt heureuse que je commence à parcourir les rues de Catazajà, léger, car ayant laissé mes affaires au restaurant, mais soumis à une chaleur étouffante. Au bout d’une rue, un couple déjà âgé profite de l’ombre d’un arbre, et l’homme engage la conversation avec moi. J’en retiens deux choses: il y aurait des crocodiles dans les lagunes, ce qui me donne des frissons, m’étant baigné à plusieurs reprises. Par ailleurs, les lagunes hébergent aussi des lamentins, dont un sanctuaire serait en projet.
Cette image du lamentin accompagnera mes derniers instants de veille; je me couche tôt -afin de partir tôt- et m’endort, au sec, dans un des coins du “Pelican”. Je médites aussi à l’idée qu’un endroit un peu plus sûr pour le camping voie le jour dans cette zone si bucolique et peu touristique.