Village savoyard au confluent de deux vallées glaciaires et encerclé par de hauts sommets, Pralognan-la-Vanoise est aussi le point de départ pour de nombreuses excursions pédestres. Ce lieu est bercé par les torrents, animé par les marmottes, chevauché par les bouquetins et cerné par une ceinture montagneuse aux multiples nuances, des pentes herbeuses aux sommets enneigés. Voilà pourquoi je me suis senti confiant dans la préparation logistique d’un nouveau trek, en solitaire, de refuge en refuge, intitulé Les Balcons de la Vanoise. Un itinéraire en boucle de 5 jours (305 photos).
1er jour : Pralognan-la-Vanoise - Pas de l’Âne - Refuge de La Valette (2590 m)
Mon premier jour de trekking au départ de Pralognan-la-Vanoise débuta dès mon arrivée dans ce village savoyard, à midi. Je devais rejoindre le refuge de la Valette (2590 m), via le Pas de l’Âne : une ascension de plus de 1100 mètres !
À peine débarqué que je pris la direction du camping « Le Chamois ». En chemin, sous un soleil radieux et un ciel azur sans nuage, j’eus le plaisir de traverser à nouveau le village alpin depuis ma dernière visite en 2013. Les différentes boutiques-chalets bordant l’avenue principale conservait toujours ce charme savoyard indéfinissable. Face à moi, se hissait le Grand Marchet à gauche et le Roc de la Valette à droite.
Laissant l’entrée du camping sur ma gauche, je m’engouffrai dans un petit sentier boisé de la forêt d’Isertan. A la première intersection, 20 mètres plus haut, je suivis la piste n° 34 qui mène à Chollière sur la droite. A une autre intersection, 200 mètres plus loin, un panneau indiquait la direction du Pas de l’Âne, ainsi que pour le refuge de la Valette. Certain d’être sur la bonne voie, je commençais ainsi à m’enfoncer et à grimper au coeur de la forêt d’Isertan, entre de grands épicéas. Ce chemin en épingle m’offrait divers belvédères sur l’Aiguille de Mey et, par moments, je pouvais entrevoir Pralognan-la-Vanoise à travers les feuillages.
A un rocher calcaire moussu, un fléchage peint en rouge mentionnait la direction du Roc Blanc à droite et du Pas de l’Âne à gauche. Le sentier se poursuivait ainsi en sous-bois, entre racines et blocs de rochers, jusqu’à une nouvelle intersection. Délaissant le sentier Nanette, je m’élevais vers le cirque du Grand Marchet. Maintenant à ciel ouvert, le chemin devenait aérien, avec un large panorama sur les sommets environnants, dont l’Aiguille de Mey, et vue plongeante sur la vallée de Pralognan. Ici je pris une ritournelle de photos éblouissantes, parfois en incluant mes compagnons en peluche dans ce cadre idyllique. Encore plus haut, je dus ignorer le sentier des cascades pour suivre le Pas de l’Âne.
Justement, le Pas de l’Âne, couloir rocheux réputé difficile (et accessoirement anxiogène), était enfin dans ma ligne de mire. Deux randonneurs en sens inverse me le confirmèrent. J’ai lu plusieurs récits à ce sujet, relatant une ascension chaotique, aérienne, angoissante et risquée par mauvais temps. Fort heureusement, le temps était au clair et l’herbe était au sec. Un poteau du Parc national de la Vanoise, au pied d’une falaise, indiquait que j’entrai en territoire protégé. La piste en lacets devenait étroite, surplombant un précipice au-dessus de la route des Prioux. Les blocs de rochers s’amoncelaient sur mon passage, me causant le vertige. La montée raide me rapprochait davantage du Pas de l’Âne, et j’eus un aperçu de ce qui m’attendait après une courbe. Restant en équilibre sur un maigre replat, je fis une pause pour ranger mon appareil photo dans le sac et prendre mes bâtons de marche d’une seule main. Je commençai l’ascension tant redoutée. A flanc de montagne, je m’aidais des deux mains pour gravir les rochers et faire, par endroits, le grand écart afin d’obtenir de meilleures prises. L’escalade si oppressante fut vaincue au terme d’ultimes efforts. Je gagnai soulagé un croisement où était planté un panneau indicateur, à 2050 mètres d’altitude.
A gauche, une piste en balcon fuyait vers le Cirque du Grand Marchet. A droite, c’était ma route de prédilection. Le refuge de la Valette était encore à 500 mètres de dénivelé positif. Plus de la moitié avait déjà été accompli ! Il me restait à peine trois heures pour atteindre mon objectif du jour avant le dîner. J’avais déjà trop tardé, je repris le fil de mon circuit, lentement mais avec vigueur. Dorénavant, la piste cheminait en coupant une vaste prairie ascendante, jusqu’au pied du Cirque du Petit Marchet (2400 m). Ici, le paysage côtoyait une gigantesque façade rocheuse d’où s’écoulaient des tonitruantes cascades laiteuses. Des névés s’élargissaient au loin, une partie des glaciers de la Vanoise débordaient entre quelques brèches. La beauté des lieux surpassait ma fatigue naissante. Peu importe mon extase, il fallait poursuivre. Le refuge était proche désormais. Je jetai un dernier regard vers les différents massifs entourant le village de Pralognan-la-Vanoise, 1000 mètres en contrebas. Le vertige était à son comble ! Une sente me conduisit le long d’un passage aérien et caillouteux, puis jusqu’à l’arête du Roc du Tambour. De là, depuis une butte herbeuse, s’ouvrait un nouveau panorama : à gauche s’élargissait le cirque du lac de la Valette, à droite se dressait le col de la Valette sur lequel s’alignaient trois petits chalets constituant ledit refuge. Je descendis vers le cirque pour remonter ensuite, plus péniblement, vers les chalets (2590 m).
A mon approche du refuge de la Valette, j’entendais une musique s’amplifier ainsi que des applaudissements. Un spectacle était joué depuis une demi-heure environ, en terrasse, par la compagnie Dos Mundos al-Arte. Trois frères et soeurs composent cette troupe insolite, désireuse de promouvoir le cirque en montagne. Chaque soir, en été, ils parcourent les crêtes de la Vanoise de refuge en refuge pour livrer un spectacle de jonglerie, d’acrobatie, de chants et de musique. Sur fond de la Grande Casse, ils se produisaient ce soir-là au refuge de la Valette pour le plus grand plaisir des randonneurs épuisés et affamés.
Après la représentation théâtrale, je signai à un registre de présence à l’accueil du refuge, puis je passai dans un autre chalet servant de dortoir pour déposer mes affaires. Je revins au premier chalet pour le dîner. En début de soirée, je fis une balade à l’extérieur de long en large du col de la Valette, au crépuscule. Le soleil couchant illuminait de mille feux les trois chalets et la montagne avoisinante. Des nuages s’accrochaient sur les crêtes et sur les plus hauts sommets. Au loin, pouvait-on distinguer la Grande Casse sous une auréole nuageuse orangée. Face au refuge, le glacier des Sonnailles s’embellissait dans sa partie haute sous une lueur mandarine aux teintes vives. La Vanoise est belle, resplendissante ! Une aquarelle aux mille couleurs !
Un lourd silence enveloppait ces lieux magiques, tandis que dans la pénombre s’installait une entière solitude, propice à un sommeil réparateur.
2è jour : Refuge de la Valette - Montaimont - Refuge de Péclet-Polset (2474 m)
Ma première nuit au plus près des étoiles et des glaciers fut sereine. Certes le dortoir était surchauffé et le silence régnait, cependant dès 6 heures passées une certaine agitation animait le chalet. Rapidement, bon nombre d’entre-nous étaient dehors, à l’air frais. Exposé aux vents froids, à flanc de pente, le refuge de la Valette était encore plongé dans une mi-obscurité. Les poules allaient et venaient entre chaque chalet, sur un chemin dallé. Les pentes du glacier des Sonnailles se rendaient visibles à mesure de la progression du soleil levant.
Il était près de 9 heures quand je quittai le refuge. Dans la perspective du glacier de Gébroulaz, l’aventure du jour consistait à descendre en lacets sur un sentier à moutons vers la vallée de Chavière (1900 m), puis de grimper jusqu’au refuge de Péclet-Polset (2474 m) sur une piste pastorale, dominé par la masse imposante des dômes de la Vanoise. Le col de la Valette est un belvédère impressionnant sur la vallée de Chavière, le Roc de la Pêche et le dôme de Polset dans le lointain.
A l’ombre, j’évoluais le long d’un chemin en balcon sous le pic de la Vieille Femme, avec vue panoramique sur des cimes en dentelle. Le Petit Mont-Blanc, reconnaissable par sa petite tête blanche, se détachait continuellement de l’horizon. En contrebas, le hameau des Prioux s’allongeait entre deux couloirs d’avalanche, au bord du Doron de Chavière. En même temps qu’une teinte verdoyante, j’étais ébloui par le bleu pur du ciel et par les versants enneigés de quelques glaciers. Avec ces merveilles naturelles qui m’échauffaient l’esprit, je descendais peu à peu et m’enfonçais davantage dans le cirque des Nants. A mi-hauteur, je passai de l’ombre à la lumière. Me voilà arrivé au chalet des Nants (2190 m) ! Le terme chalet est galvaudé puisqu’il s’agit en réalité d’une bâtisse en pierre tombant en ruine. Elle constitue cependant un bon abri en cas d’orage impromptu. Le lieu était également une intersection : le sentier qui dévale la pente à travers une forêt d’arcosses mène jusqu’aux Prioux, tandis que celui qui se poursuit en balcon est dominé par le Roc du Blanchon prenant la direction pour Montaimont (plein sud). Ma course allait dans ce sens.
Désormais, une pelouse alpine guidait mes pas dans le vallon des Nants. Je me trouvais toujours sur les limites du Parc national de la Vanoise, indiqué par des panneaux d’information. Plusieurs fois j’ai du traverser des petits ruisseaux en furie, au débit parfois important. Moins d’une heure passa avant de profiter du point de vue sur le lac du Chalet Clou, que j’atteignis en quelques enjambées. C’est un lac qui abrite grenouilles et têtards. Belle perspective sur le glacier de Gébroulaz, se reflétant de façon précise et transparente sur le lac ! Je croisai ici des familles étendues sur l’herbe chaude, occupées à des bains de soleil, tandis que les enfants pieds nus s’amusaient à compter les têtards ! Encore plus bas, mon itinéraire serpentait à travers la prairie jusqu’au Plan des Bôs (1990 m).
Le Plan des Bôs est semblable à une terrasse qui offre une large étendue sur la vallée de Chavière, dans sa partie haute, ainsi que sur le glacier de Gébroulaz en face, l’Aiguille de Chanrossa à droite et le cirque du Génépy à gauche, sans oublier quelques pointes se dressant à l’extrême gauche. Les toitures des granges de Montaimont, peintes en couleur rouge vif, se rendaient parfaitement visibles en contrebas, à proximité de la gorge du Doron de Chavière. Le tableau typique de ce que chacun de nous se fait de la haute montagne, avec ses couleurs chatoyantes, ses pentes verdoyantes, ses sommets enneigés, ses habitations traditionnelles, sa piste pastorale, son troupeau de bovins, sa zone de pâturage, ses crevasses, sa virginité de toute construction moderne, était complet !
Par un sentier à moutons, je gagnai facilement le plateau de Montaimont (1900 m). C’est un alignement de 5 granges d’alpage aux toitures en tôles ondulées. Elles servaient autrefois pour la traite du bétail lors des intempéries, témoignant de pratiques agricoles ancestrales. A proximité, paissait un cheptel de vaches de race Abondance ; c’est une vache laitière de moyen format, à robe rouge acajou, mais avec la tête, le ventre, les extrémités des pattes et la queue de couleur blanche. Seulement les “lunettes” sont rouges autour des yeux. Au bas de Montaimont, coule le Doron de Chavière à travers la gorge du même nom. C’est aussi un lieu de passage ; la descente dans la gorge est abrupte et mène à une passerelle. La montée sur la rive opposée se fait sur un sentier en épingle. La piste ensuite me conduisit jusqu’au refuge du Roc de la Pêche, l’un des plus beaux refuges des Alpes, sur le plateau de la Motte. Ici, je pris le temps de me restaurer, à l’ombre d’un amas de rochers derrière la chapelle de la Motte.
Depuis l’alpage, vue époustouflante sur le glacier du Génépy, qui déborde en cascade depuis la plus grande calotte glaciaire de France. Une excursion à prévoir lors d’un éventuel retour dans la Vanoise ! Ma pause bien méritée connut à regrets sa conclusion. M’alourdissant à nouveau de mon sac-à-dos, je suivis le GR 55 à travers la vallée de Chavière, entièrement dédiée au pastoralisme. Pour cause, ma foulée passa près d’une première ferme sur l’alpage de Chapendu, la Chèvrerie de Chavière (fabrication de fromage de chèvre et de Beaufort). Plus loin, après Chapendu, je me trouvais aux abords de l’alpage du Ritort (1971 m) où s’élabore l’un des meilleurs beauforts de la région.
La fatigue me submergeant aussi vite qu’un cheval au galop, mon pas s’affaiblissait à mesure que je prenais de l’altitude. Qu’importe, j’étais déjà en route pour grimper jusqu’au refuge de Péclet-Polset ! Bientôt, la piste s’engagea dans un long couloir enclavé et sinueux, dominé par la masse imposante des dômes de la Vanoise. La pénible ascension sous une chaleur torride freinait mon déroulé de pas. Je dus faire halte à maintes reprises pour m’abreuver et souffler. Hors de question, toutefois, de renoncer à mon idée fixe : il fallait suivre ma voie - ou ma folie selon votre sensibilité du moment. Enfin, au détour d’une courbe, le massif de Péclet-Polset, accompagné de son refuge de montagne (2474 m), fut à portée de vue ! Il était 18 heures.
Je connaissais déjà ce refuge, étant la première étape cinq ans plus tôt de mon fameux Tour des Glaciers de la Vanoise. Il est situé sur un large plateau qui domine le vallon de Chavière, offrant une perspective renversante sur les glaciers de la Vanoise. Point de départ pour les ascensions du dôme et de l’aiguille de Polset, des arêtes de Péclet, de la pointe de l’Echelle, cime des Planettes, pointe de l’Observatoire, col de Chavière… Péclet-Polset est un refuge spacieux équipé de panneaux solaires et proposant une terrasse panoramique au pied du glacier de Gébroulaz.
Mon heure d’arrivée tardive m’a laissé à peine le temps de prendre une douche avant de dîner au réfectoire (1er étage). A table, je me joignis à deux mères de famille venues avec leurs jeunes enfants respectives. Nous avons sympathisé, malgré le brouhaha ambiant car le refuge était complet pour la nuit. La tradition exige qu’à Péclet-Polset, un verre de Génépi soit offert en fin de repas sur la terrasse extérieure ; le Génépi est une liqueur extraite de la plante alpine du même nom. Ce breuvage exquis réchauffe vite le corps, le digestif met souvent en émoi la plupart des randonneurs après une journée de marche bien remplie ! J’ai pu ainsi discuter avec les deux gérantes de l’établissement, auprès de qui j’ai expliqué mon circuit sur les Balcons de la Vanoise et aussi ce projet de tester l’accessibilité de chaque refuge. Elles sont été admiratives et prêtes à me venir en aide ; sans sourciller elles ont répondu à mon avalanche de questions. Pleinement satisfait, je pris possession de mon lit dans un dortoir pour six, à l’étage supérieur.
3è jour : Refuge de Péclet-Polset - Col du Soufre - Refuge du Saut (2140 m)
Dormir entouré de glaciers, à une altitude de 2480 mètres et à peine réveillé par le chant matinal des marmottes, est une expérience difficile à oublier. Voilà pourquoi les transats du refuge de Péclet-Polset sont ainsi parfaits pour se prélasser face à un soleil naissant !
D’un pas assuré, je m’éloignai du refuge de Péclet-Polset pour cheminer le long d’une pelouse alpine. Déjà, dans ma ligne de mire, j’observais avec délectation un paysage grandiose : je balayais du regard, en 180°, la face de calcaire clair et la forteresse rocheuse qui encadraient le col du Soufre, mon objectif du jour. Entre ciel et terre, je savais à l’avance que cette journée serait savoureuse et qu’elle atteindrait des sommets majestueux !
Rapidement, j’abordais le Lac Blanc de Polset, logé au creux d’un petit cirque. Ses eaux turquoises sont issues de la fonte du glacier de Gébroulaz, ce qui explique sa couleur azur laiteuse. Son appellation provient des particules minérales en suspension (farine glaciaire) résultant de l’action érosive du glacier. Voilà une ambiance de haute montagne à contempler sans réserve et à préserver !
Contournant le lac d’altitude, je suivis une piste montante, sur le versant d’une colline. Les nombreux lacets raides, franchissant parfois des ruisseaux, me donnaient le plaisir d’apprécier la partie haute du glacier de Gébroulaz. J’apercevais aussi, de loin, des silhouettes évoluer près de la moraine par la voie normale, sur le point de tenter l’ascension tant prisée par tous les amoureux des randonnées glaciaires. Une aventure qui m’aurait plu si j’avais été mieux équipé et préparé psychologiquement ! Quoi qu’il en soit, je poursuivais ma propre progression, lente mais prudente. Celle-ci vint à son terme en posant le pied sur un replat totalement aride (∼2780 m). C’est un épaulement marquant la moraine frontale d’une branche secondaire du Glacier de Gébroulaz. D’une autre manière, c’est aussi un balcon sur l’itinéraire suivi depuis la matinée. Le panorama se déployait sur les dômes de la Vanoise, avec en contrebas le Lac Blanc de Polset, en face le glacier de la Masse entre les Pointes de l’Echelle et de la Partie, plus loin le col d’Aussois.
Du côté du glacier de Gébroulaz, l’endroit épousait un décor austère et minéral. Le Roc du Soufre dominait à droite du haut de ses 2939 mètres et sur la gauche, s’affirmaient le dôme de Polset (3497 m) et l’aiguille de Péclet (3561 m). Au pied de la moraine, se découvrait un cairn aux multiples couleurs géologiques. Au-delà, un sentier en lacets menait en amont au col du Soufre, sous des falaises de gypse. Ici à 2819 mètres d’altitude, au bas des Aiguilles de Péclet et Polset, le paysage prenait des tonalités ocres et blanchâtres avec belvédère remarquable sur la langue glaciaire de Gébroulaz et ses moraines. L’environnement est essentiellement composé de cargneules et de gypse, balayé par un vent glacial. Ce sol lunaire avec vue admirable sur le Roc du Soufre, est un point de départ idéal pour de multiples excursions en haute altitude. Les lieux sont censé être un terrain de jeu pour beaucoup de bouquetins, prenant l’habitude de gambader sur des barres rocheuses car attirés par le gypse et les moraines ; en effet ces pierres sont riches en sel, dont ils ont besoin pour leur organisme. Or, à moins d’avoir été miraud, je n’ai pas aperçu l’ombre d’un bouquetin.
Le ciel s’assombrissait par de gros nuages gris, rafraîchissant vite l’atmosphère et obscurcissant par moments la branche descendante du glacier de Gébroulaz ; les détails sur les aiguilles de Polset et Péclet s’évanouissaient, tant pis pour de belles photos ! Après une pause déjeuner, je me tenais prêt à entamer la descente qui suit la vallée creusée par Gébroulaz. A hauteur du Mont du Borgne (3133 m) et de l’Aiguille du Borgne (3135 m), situés sur la bordure opposée, j’empruntai un sentier de cargneules plein nord.
Avec le dérèglement climatique, la longueur de la langue glaciaire se réduisait d’année en année. Le spectacle sur celle-ci me peinait, alors que l’architecture géologique et le cadre rocheux me ravissait. Dire que cette merveille naturelle risque de disparaître à jamais dans les décennies à venir ! En 1730, le niveau du glacier de Gébroulaz arrivait jusqu’au refuge du Saut. Le sentier était moins marqué au sol, mon tracé aléatoire suivait de raides ravines aux teintes ocres et argentées. Plus loin, c’étaient le tour d’une pente caillouteuse et d’éboulis à me contrarier. Puis, une piste balisée par des cairns s’ouvrait sur la Réserve Naturelle nationale du Plan de Tuéda, en limite ouest du Parc national de la Vanoise. Le paysage devint ainsi verdoyant au fur et à mesure de ma descente cloisonnée par des crêtes, qui sont autant des sentinelles qu’un reflet de notre patrimoine national. Malgré ce dépaysement spectaculaire et passionnant, ce secteur sauvage est peu fréquenté. Seulement quelques courageux sillonnaient les alentours de cette vaste plaine. En aval, une longue passerelle me fit traverser en deux temps le Doron des Allues, issu du glacier de Gébroulaz. La rivière roule ses eaux glaciaires laiteuses à travers la Réserve Naturelle du Plan de Tuéda.
Très vite, je cheminais dans le vallon de Tuéda sur une sente cairnée et herbeuse. A l’approche des gorges du torrent des Allues, je surplombais le refuge du Saut, ma destination finale. J’aperçus aussi des marmottes étendues sur des rochers, occupées à accomplir leur mission de surveillance de leur territoire. Leur sifflement reconnaissable se faisait entendre de loin en loin, pour prévenir les autres d’un danger imminent. Un sentier aérien et étroit m’amena au niveau des gorges du Torrent des Allues, que je descendis sans me presser. Par une pente douce, j’arrivai au refuge du Saut (2140 m), blotti sur un plateau verdoyant du vallon du Fruit, le long du Doron des Allues.
Totalement rénové en 2014 après deux ans de travaux, le refuge est composé de 3 chalets en bois avec soubassement en pierre : le premier est le plus grand chalet, ouvert aux randonneurs en été, d’une capacité de 25 places, équipé d’une salle de restaurant, terrasse ensoleillée et salle de lecture. Le deuxième chalet est le refuge d’hiver, plus modeste en dehors de la période de gardiennage, avec 10 couchages. Le troisième chalet est celui du gardien. Situés sur la commune de Méribel, ces bâtiments sont éco-responsable avec panneaux photovoltaïques.
A la réception où je me suis présenté, la gérante s’exclama en consultant son carnet de réservation : « Vous avez de la chance ! Vous allez être seul dans votre chambre ! » Puis elle me fit conduire au sous-sol où se trouvent 2 dortoirs et 4 chambres. La mienne s’intitulait “La douce amère”. Message subliminal ou lien de cause à effet ?
Après m’être délesté de mes affaires, je sortis les épaules plus légères pour profiter au mieux du soleil - j’avais encore trois heures devant moi avant le dîner ! Les terrasses ensoleillées donnaient sur un paysage montagnard et verdoyant de la Réserve Naturelle nationale du Plan de Tuéda.
Au dîner, dans une salle plus intimiste que le refuge de la veille, je fus attablé avec deux pères de famille accompagnés de leurs enfants respectifs et leurs cousins/cousines. Le repas fut assez animé grâce à ces échanges intergénérationnels et familiaux ! Une deuxième tablée accueillait des randonneurs à la journée et une famille d’origine belge. Nous avons tous prolongé notre rencontre et nos discussions dans la salle de lecture, sous les toits. Ma randonnée du jour ayant été éprouvante compte tenu de l’altitude la plus élevée connue jusqu’ici, je fus accaparé rapidement par une mobilité en crabe et un sommeil lourd.
4è jour : Refuge du Saut - Col de Chanrouge - Refuge des Lacs Merlet (2417 m)
Cette journée fut assez courte malgré mon intention initiale. Au petit matin, la gérante du refuge du Saut nous annonça que, malgré un soleil matinal très généreux, l’après-midi risquerait d’être pluvieux, voire orageux.
La montagne sait être capricieuse et se faire désirer. Elle nous montre le meilleur d’elle-même et nous dévoile ses multiples facettes qu’au dernier moment, si par mégarde on reste insensible à ses signaux. C’est elle qui nous domine, jamais l’inverse. Elle nous tolère et nous manipule pour mieux nous orienter.
Les autres familles croisées au refuge du Saut étaient déjà loin, quand je me décidai enfin à prendre la tangente. Une passerelle enjambant le Doron des Allues me mena aux abords de gros cratères de gypses et de cargneules ; leur formation dans un paysage si verdoyant est aussi impressionnante que singulière. M’éloignant du confluent du doron des Allues / ruisseau de Chanrouge, le sentier s’élevait à présent au-dessus du vallon du Fruit, toujours dans la perspective du refuge du Saut derrière moi. Cette portion est très raide ; en tout cas elle permet vite de dominer le vallon qui s’étend à la fois sur la Réserve du Plan de Tuéda et sur le Parc de la Vanoise, incluant le domaine skiable des Trois Vallées. La transparence des nuages laissait un ciel azur et une chaleur en suspens, malgré une relative fraîcheur. Je gagnai une vaste étendue herbeuse, à l’approche d’une ceinture rocheuse. Je fis connaissance avec quelques marmottes joueuses et espiègles mais farouches, car souvent en alerte depuis leur rocher. Un embranchement indiquait la direction, d’une part pour le col Rouge et Pralognan, d’autre part pour le col de Chanrouge. Le col Rouge se distinguait au loin à ma droite, taillé dans d’insolites cargneules. Je suivis une sente jusqu’au col de Chanrouge, que j’atteignis en moins de trente minutes.
Culminant à 2531 mètres d’altitude, Chanrouge est un site naturel où le silence régnait en maître. L’aiguille et le col du Rateau (2688 m) s’apercevaient à portée de vue, en amont. Franchir ce col était à l’origine l’un de mes objectifs de l’étape. Le panorama vers la vallée s’élargissait sur le massif du Mont-Blanc, légèrement embrumé. En provenance du col Rouge et du massif de Péclet-Polset, le ciel se couvrait peu à peu d’une horde nuageuse, en même temps que s’intensifiait une fraîcheur automnale. Décision prise de raccourcir mon programme du jour, dans le doute d’une météo encore moins clémente. La montagne m’envoie ses signaux, à moi de les interpréter à bon escient ! Au départ du col de Chanrouge, un sentier descendait à travers la vallée des Avals, en bordure sud-est du domaine skiable de Courchevel 1650 et dans la perspective de plusieurs sommets : le Grand Bec, le glacier du Génépi, les aiguilles de la Portetta et le lointain Mont Blanc.
Explorer cette jolie vallée alpine est l’occasion de faire des excursions pédestres entre prairies et alpages. Pas un bruit n’envahissait ces lieux empreints de sérénité. Au pied d’un éboulis, je croisai un troupeau de vaches de race Tarine. A grande vitesse, le ciel prenait une teinte grisonnante, tandis que l’horizon se chargeait d’une enveloppe nuageuse grisâtre. Au Plan du Pêtre, vaste plateau, le sommet du Glacier de la Grande Casse se détachait au loin, reconnaissable par sa forme imposante et ses contours irréguliers. J’aurais souhaité prolonger ma découverte jusqu’au lac du Pêtre, que j’apercevais derrière quelques bosses herbeuses. C’est ici que le tonnerre résonna dans la plaine. L’orage éclata et les premières gouttes forcèrent ma fuite. Une piste montante traversait des blocs de rochers, le sol terreux glissait sous mes pas. La pluie redoubla de violence, alors que le paysage s’enfonçait brutalement dans une brume persistante. Bientôt, il devenait impossible de distinguer l’itinéraire en épingle à plus de cinq mètres. Je marchais tête baissée, mouillé et haletant. A une butte, je vis un point sombre jaillir dans le brouillard : c’était vraisemblablement “l’intimiste” refuge des Lacs Merlet (2417 m). J’accélérai le pas au point de courir. Juste ce qui était nécessaire pour m’introduire trempé dans le refuge, à l’instar de plusieurs autres randonneurs qui ont également accouru afin de se mettre à l’abri.
Le refuge des Lacs Merlet est assez rustique, avec une pièce unique qui fait office de dortoir/réfectoire et toilettes sèches à l’extérieur, dans un cadre reposant et très éloigné de toute vie humaine. Il était à peine deux heures de l’après-midi. La pluie continuait à voiler le panorama sur la vallée des Avals et sur les massifs environnants. Les rares accalmies refroidissaient toute envie de sortir, à moins de rester sur la terrasse extérieure. Le temps instable m’interdisait d’aller à la découverte des Lacs Merlet (inférieur et supérieur), en amont du refuge, noyés de toute façon dans les ténèbres. La voûte céleste commença à s’éclaircir vers 17 heures, les nuages dissipèrent avec lenteur et les premiers rayons de soleil percèrent l’humidité ambiante pour mieux sublimer les crêtes et quelques glaciers. Dans l’attente du dîner, je me permis de faire le tour du propriétaire, dehors. Une fontaine en bois trônait près du chalet principal. Derrière, un petit chalet de montagne accueillait les toilettes sèches. L’ensemble de ces deux constructions est situé dans un pli au pied du Pas du Roc Merlet, donnant ainsi son nom au refuge. Les Lacs Merlet est un cas particulier parmi tous les autres refuges, outre le fait que sa capacité maximale est d’à peine 14 couchages, impossible de faire impasse sur son absence de douche !
Ce soir-là au dîner, nous étions qu’une famille belge parlant flamand et moi. Discussion plus que laborieuse à suivre : seulement les deux parents (des frères) connaissaient le français, alors que leurs filles respectives s’échangeaient essentiellement en flamand ! Le gardien du refuge se joignit à notre table pour le dessert. La soirée fut faite de jeux de cartes, d’exploration des cartes IGN et de lecture des livres de photos qui se comptaient par dizaine sur les étagères. La proximité d’un poêle dans la pièce commune en faisait un lieu encore plus chaleureux et intime. Dès 22 heures, nous étions tous sous les draps et, d’un commun accord, la lumière fut éteinte.
5è jour : Refuge des Lacs Merlet - Col des Saulces - Crête du Mont Charvet - Pralognan-la-Vanoise
Belle journée ensoleillée en perspective mais éprouvante. Après l’orage de la veille, la Vanoise avait retrouvé ses couleurs estivales. Le lever matinal se fit aux aurores.
Depuis la terrasse extérieure du refuge des Lacs Merlet, je contemplais le soleil levant illuminer le massif de la Vanoise et la vallée. Une belle couleur saumon bondissait au-dessus des crêtes, au-delà des cols, parcourait le long des glaciers et se reflétait en transparence sur les eaux. J’aurais souhaité m’aventurer aux abords des deux lacs Merlet, pour taquiner truites et saumons de fontaine La longue route qui m’attendait jusqu’à Pralognan-la-Vanoise freina mes ardeurs. Mon seul regret de cette journée immémorable !
En même temps que la famille belge, je descendis plein Est dans la profonde vallée des Avals où paissent les tarines, reines de ces prairies fleuries. Un chemin carrossable nous conduisit jusqu’au refuge du Grand Plan (2300 m). Tout l’été, il était fermé. Il est situé à peine trente minutes de marche des Lacs Merlet. Le gardien du Grand Plan a perdu la vie en décembre 2013, suite à une avalanche. Depuis, la gestion du refuge du Grand Plan me semble aléatoire, en attendant que la mairie trouve un nouvel exploitant.
Vierge de tout équipement technique et d’agitation humaine, le panorama sur la vallée se faisait en 360°, avec en toile de fond les montagnes, l’aiguille du Fruit et la crête de Chanrossa, derrière nous, et les glaciers de la Vanoise et des Rocs, en face. Par un sentier en épingle, une heure plus tard, nous étions arrivé au Chalet du Plan des Baux, groupement pastoral des Avals produisant du fromage Beaufort. C’est ici que je me séparai de la famille belge, qui prévoyait de se rendre directement à Pralognan-la-Vanoise par les Prioux, alors que mon intention explorait un plus large détour sinueux. Suivant la piste en lacets, je gagnai le col des Saulces (2456 m), frontière avec la vallée de Pralognan. D’ici, le panorama s’allongeait sur les dômes de la Vanoise avec en célébrité la Grande Casse, dominant de sa splendeur l’aiguille de la Vanoise, le cirque de l’Arcelin, le Grand Marchet et une infime partie du Roc de la Valette. Le col des Saulces permet l’accès au Petit Mont-Blanc, 200 mètres plus haut, qui veille à la fois sur les Avals à l’ouest et sur le vallon des Prioux à l’est. Du côté des Avals, la vue s’étendait depuis l’aiguille du Rateau, le col de Chanrouge (franchi la veille), l’aiguille du Fruit, le Roc Merlet jusqu’à la Montagne de la Grande Val. En contrebas, se dessinait l’énigmatique petit Lac Blanc, composé d’algues ou de roseaux flottant à la surface.
Il était déjà temps de poursuivre ma course. J’allais partir au moment où la famille belge débouchait en aval pour parvenir à leur tour au col des Saulces. Après les avoir salué de la main, je suivis une large piste en amont, contournant une colline en balcon. Le vallon des Avals s’extasiait désormais devant moi. Le sentier rétrécissait à vue d’oeil à mesure que je m’approchais des Dents de la Portetta, falaises déchiquetées par l’érosion et les tempêtes hivernales. Au-delà, se cabrait la Dent du Villard, formée de gypses blancs à l’extrémité d’une ligne de crête séparant Courchevel de Pralognan-la-Vanoise. Ma descente se poursuivit sur des pentes herbeuses surplombant la renversante Combe des Roches. A cause d’un horaire peu flexible, j’ignorai l’itinéraire pour les Dents de la Portetta et suivis celui qui me mena, au terme d’un dénivelé positif d’une centaine de mètres, au col de la Grande Pierre (2403 m). Ici s’ouvrait un tout autre panorama, celui d’une ligne de crête au départ du Mont Charvet et finissant à la Dent du Villard. Le col est un point de passage entre la vallée des Avals et la vallée de Pralognan. Egalement, c’est un magnifique belvédère sur les sommets grandioses de la Vanoise : le Mont Bochor, la Grande Casse, le Grand Bec, le Dôme de Polset, l’Aiguille du Fruit, etc.
A peine 13h50 retentissait à ma montre. Un chemin descendait à pic depuis le col, à travers le Couloir de la Grande Pierre, pour rejoindre Pralognan-la-Vanoise 1000 mètres plus bas. Ma préférence était plutôt de rester à cette hauteur pour évaluer mon équilibre sur la crête du Mont Charvet ! Cette randonnée populaire est d’abord une curiosité géologique : énormes cratères, nombreuses dolines, profonds entonnoirs formés par le gypse (roche blanche soluble). C’est aussi une traversée insolite sur un sentier parfois étroit et vertigineux, dans un univers minéral et à ciel ouvert. Le tracé serpente ainsi entre des couloirs de gypse, par endroits creusés par d’innombrables trous (5 mètres de profondeur, voire davantage) et parcourus par des ravines abruptes. Quelques passages aériens sont inévitables, en tout cas le panorama est splendide sur l’ensemble du massif de la Vanoise et la vallée de Pralognan, ainsi que la vallée de Courchevel.
Au bout d’une heure, ce long dédale de sol lunaire s’est conclu dans une forêt de pin à crochets, à hauteur du col du Golet (2079 m). Ce plateau de pelouses alpines et fleuri de gentianes champêtres, permet l’accès au Rocher de Villeneuve. L’épuisement m’envahit rapidement à mon arrivée au col, ultime palier avant de descendre à travers pins et épicéas pour rejoindre en fin d’après-midi Pralognan-la-Vanoise. Les jambes devenant des bouts de bois et les épaules affaiblies par mon sac 70 litres, j’entrais enfin dans l’hôtel-restaurant La Vallée Blanche (1410 m) pour deux nuits et une journée de repos.