J’ai vécu longtemps en Colombie, j’ai passé plus de dix ans dans ce pays, je crois bien le connaître, mais je n’y ai pas mis les pieds depuis 2020. Je ne m’aventure donc pas dans des hypothèses incertaines sur la situation actuelle et je fais confiance aux témoignages de ceux qui sont sur place.
Ce que dit lamanon est intéressant : oui beaucoup de Colombiens et notamment ceux qui travaillent dans le tourisme taisent des choses (notamment le fait qu’ils sont rackettés en échange de la paix laissée aux touristes) ou enjolivent la réalité aux yeux des étrangers.
C’est amusant, j’ai lu un article dans El Tiempo il y a quelques jours (je n’ai aucune sympathie pour ce journal, mais je le lis malgré tout, il faut diversifier ses sources d’information) qui parle exactement de ça. Il s’agit d’un article consacré à l’assassinat de Javier Francisco Parra, qui travaillait dans le parc de Caño Cristales.
Voici la retranscription d’un témoignage reçu par le journaliste qui est allé sur place :
“Aquí nadie le va a hablar. Nadie le va a decir que vivimos con miedo, porque mucha gente depende del turista, no quieren que se enteren de la realidad, aunque aquí a los turistas los cuidan mucho. No quieren que sepan que el Estado aquí no tiene control, que los que mandan son los grupos armados y todos debemos aportar a su causa."
“Ici, personne ne va vous parler. Personne ne va vous dire que nous vivons dans la peur, parce que beaucoup de gens dépendent des touristes, il ne veulent pas que ceux-ci aient connaissance de la réalité, ici les touristes on les protège. On ne veut pas qu’ils sachent que l’Etat ne contrôle rien, ici, que ce sont les groupes armés qui commandent et qu’on doit tous leur obéir”
(traduction non littérale privilégiant le sens)
C’est un dilemme qui existe depuis toujours, sur ce forum.
Dire la vérité, ou rassurer les touristes.
Depuis que j’y interviens, j’ai tenté de le résoudre à ma façon. J’ai toujours essayé de promouvoir la Colombie comme destination touristique (en réalité, je l’ai surtout fait avant 2012 ou 2013, avant que peu à peu, le tourisme de masse ne s’y développe, il y avait moins besoin de le faire disons entre 2015 et 2019 quand ça devenait une destination “à la mode”) tout en ne cachant pas la vérité.
On paye toujours les mensonges, à l’échelle d’un pays comme pour les secrets de famille.
Seule la vérité aide à grandir, à passer à la suite, à surmonter les difficultés.
J’ai toujours haï les slogans pro-tourisme sous Uribe qui ont utilisé le développement du tourisme comme une propagande ignoble (un véritable négationnisme dont beaucoup d’étrangers ont pu être involontairement complices)… tandis que des Colombiens continuaient de se faire massacrer et d’autres de se faire racketter pour que la sécurité des touristes soit assurée.
Donc, j’ai toujours tenté de distinguer les possibilités réelles d’un tourisme sûr (dans les fameux circuits balisés que faisaient 99% des touristes jusqu’en 2019), à condition de respecter des règles de base, et ce que vivait le peuple colombien, y compris dans des zones touristiques.
C’est une question de responsabilité et d’éthique.
Ces nuances sont visiblement trop complexes pour certain(e)s.
Cela n’excluait pas d’intervenir, par ailleurs, sur les risques réels courus par les touristes, comparables à l’ensemble de l’Amérique latine (c’est-à-dire bien supérieurs à ce qu’on peut connaître en Europe) mais parfois plus grands (et pas uniquement dans des zones inaccessibles).
Pour résumer, on peut dire la vérité, toute la vérité sans pour autant décourager le tourisme.
En tout cas, c’était le cas jusqu’à début 2020. J’ai du mal à mesurer la gravité de l’aggravation actuelle de la situation sécuritaire. Mais elle semble incontestable.
PS Je préfère ne même pas intervenir quand le père d’un enfant de cinq ans qui ne connaît pas la Colombie envisage de s’installer dans le Choco avec son enfant… “pour être près des plages”, si j’ai bien compris.