Pour tenter de faire une synthèse de la situation en Colombie (vue de France où je suis rentré plus d’un mois avant le début de la “crise”, mais en compilant beaucoup de témoignage d’amis de Bogotá et de différentes régions du pays, et en lisant quotidiennement la presse colombienne), je dirais que la situation colombienne… est vraiment très très mauvaise.
On est loin, ici des distinctions qu’on peut opérer entre la façon dont l’Allemagne, la France, la Suède, par exemple, ont géré la crise, tant du point de vue des décisions gouvernementale que du point de vue de l’adhésion des populations.
Je suis personnellement critique de la politique menée en France, mais elle a eu une efficacité réelle sur le virus lui-même, et surtout, sur la préservation du système hospitalier, car la population a adhéré massivement. Une cohérence et certains résultats donc : il y avait forcément à perdre, on a beaucoup perdu en route… mais à l’évidence, on n’a pas perdu sur tous les plans.
En Allemagne, malgré quelques manifestations contre les mesures de restrictions de liberté, le consensus a été fort, tout a été cohérent également, et les résultats sont très bons, meilleurs qu’ailleurs en Europe.
Quelles que soient les critiques qu’on entend aussi au sujet de la Suède, la population a largement adhéré et suivi les choix faits, ce qui donne une cohérence sociale et politique au traitement de la crise.
Bref, des situations différentes, des choix différents mais une cohésion sociale forte dans tous les cas, et une “sortie de crise” à l’horizon : normalisation progressive de la vie quotidienne et mobilisation pour faire face à l’autre crise : économique.
Tout le monde sait que la situation au Brésil est à l’inverse très mauvaise, du fait de l’incohérence absolue entre les délires de Bolsonaro, les décisions de confinement strict prises localement par la plupart des États, l’impossibilité pour la population pauvre de s’y conformer etc.
Venons-en à la Colombie.Il y a certes, malgré les tensions récurrentes entre le président et la maire de Bogotá, une sorte de consensus théorique dans le pays.
Mais la réalité est bien différente, et c’est ce qu’a souligné justement SteveRusso.
Ce consensus, loin de rendre la situation meilleure qu’au Brésil, a quelque chose d’une illusion.
On peut dire qu’après plus de 70 ans de conflit armé, après des décennies où la violence de droit commun a été une des plus fortes du monde, le corps social colombien restait extrêmement fragile. La situation ne cessait de s’améliorer, le pays de se normaliser, mais une crise aussi forte fait réapparaître toutes les fractures, encore présentes ou latentes. Le corps social est bien moins fort qu’en France, les fractures innombrables, la confiance en l’Etat presque inexistante et tout cela contribue à créer une situation totalement désastreuse.
La Colombie se retrouve avec les mesures de confinement parmi les plus durables du monde entier. Elles ont commencé en mars, se poursuivent… et pourtant, les cas quotidiens de contamination ne cessent d’augmenter.
Alors qu’en France, le confinement, très respecté, a immédiatement été suivi d’effets - baisse du nombre de cas, et très vite, désaturation des services d’urgences et de réanimation - on a actuellement à Bogotá et dans les grandes villes un taux d’occupation des lits de réanimation qui augmente. Trois mois après le début des mesures de confinement !
Que se passera-t-il quand il y aura saturation si cela doit arriver ? Toute mesure supplémentaire sera impossible à prendre et surtout ne sera plus suivie.
On est donc dans un cas très dysfonctionnel de discours et mesures extrêmement sévères, d’une peur sociale de l’épidémie très importante, et pourtant d’une incapacité d’une grande partie de la population, du fait de sa pauvreté, à suivre les règles édictées. Inefficacité à tous les niveaux, absence de prise en compte du réel, c’est très inquiétant sur le moyen et le long terme.
Le pic de l’épidémie n’est pas encore arrivé et les projections sont très incertaines.
Les restrictions de déplacements se poursuivent : il ne sera pas possible de partir et quitter une partie des grandes villes, pour les ponts de juin et sans doute de juillet.
Alors qu’on a, en Europe, à présent, une assez bonne visibilité sur la reprise normale de la vie, d’ici quelques mois ou semaines, et d’une rentrée de septembre presque normalisée, malgré la menace d’une vague épidémique recommençant en octobre-novembre, aucune perspective claire n’apparaît en Colombie.
Tout indique qu’il y aura des retours en arrière, des lieux qui vont être autorisés à rouvrir, et qui devront de nouveau fermer, et que cela va durer encore des mois.
Des annonces contradictoires font peser les plus grandes incertitudes sur le deuxième semestre 2020 scolaire et universitaire. Télé-enseignement à 100 % comme annoncé depuis longtemps par Claudia López ? Ce qui implique la descolarisation de presque tous les enfants pauvres ? Reprise à temps partiel, mais sur la base d’un volontariat, ce qui revient presque au même ?
C’est très inquiétant pour le moyen terme, d’ici fin 2020, et pour le plus long terme : les années à venir. La crise économique et sociale est immense et comme cela a déjà été signalé, les groupes armés de diverses obédiences s’en frottent les mains. Ils seront sans doute les grands gagnants de la période, entre la reprise de contrôle de certains territoires, et l’influence sur l’économie, et donc les “décideurs”, avec l’injection très importante d’argent blanchi dans l’économie légale ce qui implique de fortes contreparties, bien sûr.
Pour conclure ce tableau, et pour raccorder avec le thème du forum, j’ai du mal à comprendre que certains envisagent des projets touristiques fin 2020 ou début 2021 dans un pays où la situation est aussi désespérément chaotique.
Il m’arrive rarement d’être aussi pessimiste, mais j’avoue que l’état de mon pays de cœur me plonge dans une inquiétude profonde et une vraie tristesse.
La distance n’aide peut-être pas, j’en suis conscient.
Qui sait ? Depuis la Colombie, SteveRusso réussira peut-être à faire apparaître quelques lueurs d’espoir, et à tempérer la noirceur de mon tableau…