Balade hivernale en Sibérie
à Listvanska, pêche sur le lac gelé
À Listvianka, on ne se soucie guère des chiffres - sinon de ceux qui valsent trop souvent sur les rayons des épiceries. Si l'été la bourgade prend un peu des airs balnéaires, l'hiver, la vie n'y est pas simple. Au port, les bateaux rouillés, figés, attendent des jours meilleurs pour larguer les amarres. Les habitants, eux, n'ont d'autre choix, en ces temps de blizzards, d'aller puiser l'eau au lac dans un trou sans cesse reformé. On les repère, de loin en loin, aux sapins plantés à côté pour éviter qu'un poivrot n'y sombre… À deux pas se dressent de hauts murs de glace : des toilettes publiques.
Sur le blanc immaculé du lac, saupoudré d'une neige récente, voitures et camions roulent à fond, à leur habitude. Au printemps, lorsque vient le temps de la chasse au phoque, certains, parfois, coulent à pic. Mais l'heure n'est pas à la crainte. En fin d'après-midi, la vaste patinoire devient terrain de jeu. Au pied des maisons, chevauchant sa vieille moto rouge aménagée en side-car de fortune, Igor traîne son fils rigolard sur une sorte de tricycle à patins. Ses deux nièces caracolent fièrement dans la caisse qui fait office de siège. Au loin, d'autres en font autant accrochés derrière un véhicule quelconque, tentant de conserver l'équilibre sur leurs skis !
40, 50, 60 et bientôt 90 km/h. Le moteur ronronne, le vent glisse sur le casque. Je tente de rattraper Constantin et Sophie, partis devant moi. À perte de vue s'étend le lac gelé, souligné à l'Est par une barre de montagnes bleues et blanches. La section plane, proche des berges, cède vite la place à un chaos de blocs en dents de scie, modelés par les gels et dégels successifs du début de saison. Par endroits, le soleil a fait fondre les flocons, révélant le miroir de la glace. À l'horizon, un point se rapproche : leur motoneige.
16 km au nord de Listvianka, nous rejoignons un camp de pêcheurs installé en retrait du rivage, sous les bouleaux. Là, quelques cabanes, une yourte de feutre doublée de plastique, où le thé bout sans interruption, dans une bouilloire cabossée accolée au poêle central. Sur les frêles étagères, couverts, assiettes, produit-vaisselle, tout ce dont la ménagère a besoin…
Nous accompagnons la brigade. À 200 m de la berge, déjà, se dessine le trou, qu'il faut rouvrir chaque jour à la tronçonneuse. Reste à se relayer pour tirer le long filin auquel est accroché le filet. Au bout d'une dizaine de minutes, les premières prises apparaissent : beaucoup d'omouls, des sigs, quelques coméphores noirs aux nageoires jaunes, une espèce des grandes profondeurs, si grasse (40 %) que les poissons fondent lorsqu'on les laisse au soleil… Peu à peu, le tas grandit dans la neige, formant une pile gelée. Une heure plus tard, le verdict tombe : 25 kilos, une bonne journée. De retour au camp, Constantin nous sert une soupe d'omouls. Difficile de faire plus frais.
Texte : Claude Hervé-Bazin
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