Sarawak : la Malaisie côté jungle
Séjourner dans une longhouse
La maison communautaire des différentes ethnies du Sarawak est constituée d'unités familiales autonomes réunies sous un toit commun. À l'heure actuelle, les longhouses des Bidayuh comportent de quatre à six maisonnées, celles des Iban entre vingt et vingt-cinq, tandis que les Orang Ulu regroupent une communauté d'environ quatre-vingt familles.
Une longhouse est construite sur pilotis (sauf pour certaines tribus comme les Punan associées aux Orang Ulu qui les bâtissent à même le sol), sur la terre ferme et pas sur le fleuve, d'une hauteur de trois à six mètres avec un ou plusieurs accès. Ces " escaliers " sont en fait des troncs d'arbres à encoches. L'une des principales caractéristiques de ces maisons est le fait de posséder une galerie couverte ou véranda qui fait office d'espace commun où se tiennent les activités sociales, économiques et rituelles. Par ailleurs, chaque famille occupe un appartement séparé avec des équipements domestiques indépendants. Une sorte de système socio-économique double de type " communiste " dans l'espace commun de la véranda (échanges, distributions des rôles, fêtes) et " capitaliste " à l'intérieur de chaque maison (en fonction de l'âge des membres du foyer, de leur rôle à l'intérieur de la société et des richesses accumulées, certaines familles possèdent une radio, un poste de télé, voire une antenne parabolique).
La longhouse s'étend à l'avant par une sorte de balcon commun surplombant les champs de culture ou le fleuve et à l'arrière par les cuisines et toilettes. Pour des questions d'hygiène, il est désormais moins courant de garder les coqs et les cochons sous les pilotis de la longhouse ; les maisons les plus modernes et surtout ouvertes aux touristes ont leurs poulaillers et leurs zones d'élevage éloignés des lieux d'habitation.
Il existe environ cinq mille maisons de ce type au Sarawak et celles que l'on peut visiter, c'est-à-dire celles qui ont reçu l'approbation du ministère du Tourisme pour accueillir des visiteurs, ne sont pas si nombreuses. L'une des consignes à respecter pour obtenir le label concerne la construction d'un espace dortoir / toilettes / douches / salle de repas séparés de la maison principale. Étant donné que la plupart de ces longhouses se trouvent en pleine jungle dans des endroits d'accès limité, il faut indéniablement passer par l'une des agences des grandes villes spécialisées dans ce type de circuits. Le choix est conséquent tant en matière de distances et d'exotisme (plus on s'éloigne des grands centres, plus on a de chances de partager un séjour avec des individus ayant peu de contacts avec les Occidentaux) que dans les formules proposant une ou plusieurs nuits et plusieurs activités. À titre indicatif, les prix commencent à partir de 25 € pour la visite d'une longhouse bidayuh proche de Kuching (aller et retour dans la journée), 85 € pour un séjour de deux jours / une nuit dans une longhouse iban (prix comprenant transport et transferts aller-retour depuis la ville, hébergement, tous les repas préparés par le guide, démonstrations de l'usage de la sarbacane, danses et cérémonies rituelles le soir, tour de la jungle et explication de l'habitat, flore et faune, récolte de caoutchouc et de baies de poivre, dégustation de vin de riz, explication des tatouages, entre autres) et 120 € pour un séjour de trois jours / deux nuits. En sus : les cadeaux qu'on apporte aux hôtes : biscuits, cigarettes ou snacks qu'on offre en échange de leur hospitalité et lors du partage du vin de riz.
Nous avons séjourné dans la longhouse iban nommée Serubah, située sur le fleuve Lemanak à environ quatre heures de route de Kuching plus un trajet en pirogue à moteur d'environ 40 mn.
À l'embarcadère, nous sommes accueillis par le frère du chef de la longhouse, un maigre mais robuste vieillard au corps tatoué et aux lobes distendus. La rencontre est discrète et ponctuée de sourires. Lui et le jeune compagnon pilotant la pirogue rangent à bord nos affaires auxquelles nous avons ajouté la nourriture cuisinée par la femme du guide et le sac rempli de cadeaux. Nous descendons la rivière Lemanak vers 16 h, au moment où règne une étrange quiétude dans la jungle. Le bateau glisse de rive en rive cherchant le passage le plus sûr entre les pierres qui se cachent sous les eaux très boueuses couleur thé au lait. D'énormes illy peanut, ces arbres produisant une baie semblable à l'arachide apte à la cuisson, nous dévoilent leurs racines comme d'énormes mâchoires érodées et masquent le soleil de la fin d'après-midi. De temps à autre, on aperçoit la toiture d'une longhouse à l'abandon, les terres environnantes épuisées, ses occupants sont partis chercher d'autres exploitations en amont du fleuve. Pas d'objection sur le décor, tous les mystères de la jungle sont là et les brochures des agences tiennent leurs promesses.
Dernier détour. Au milieu d'une clairière, notre résidence temporaire apparaît enfin. Au bord de la rampe, un groupe de jeunes femmes plaisante avec le guide, un verre de liquide transparent à la main. Ce vin de riz, que l'on boit d'habitude après le dîner, est un désaltérant que l'on consomme fermenté (5 % d'alcool) ou distillé (35 %). Il est le signe d'une bonne récolte. Plus loin, les touristes des autres groupes ont déjà commencé la visite avec leurs guides. Leurs visages circonspects contrastent avec les rires décomplexés des femmes. L'étrangeté s'installe à nouveau ; l'ambiance décontractée devrait faciliter les premiers échanges, pourtant les accompagnateurs insistent sur l'aspect rituel de la vie des Iban et ont une longue et hasardeuse explication de la " longhouse etiquette ". Le planning est livré, le mode d'emploi aussi : enlevez vos chaussures dans les parties communes, ne refusez pas ce qu'on vous offre, ne touchez pas aux objets rituels. Coup de projecteur sur les enfants, après tout, ils semblent régner en maîtres dans cet espace désormais commun aux familles et aux étrangers. Oui, ils seront sans doute nos agents de liaison.
Les explications sur la vie de la longhouse se succèdent, toutes passionnantes, mais comment les vérifier à ce stade du séjour, à peine arrivés ? On prend bonne note et on les garde pour après. On nous dit que dans les longhouses on pratique la magie blanche et parfois la noire. On nous montre de loin Monsieur le sorcier (the witch doctor) qui a un statut plus important que le medicine man car il interprète les rêves. On nous informe que pour les Iban et les Bidayuh, le chiffre magique est le 7, il indique le nombre de jours de veillée funèbre. Pour les Orang Ulu, c'est le 8.
Soudain, une porte s'ouvre et les guides demandent aux visiteurs de se lever. Le chef vient à notre rencontre avec son tatouage sur le cou, plus exactement sur la gorge. Un beau dragon, comme promis. Puis, on s'attarde sur son journal de bord gravé sur les bras et les cuisses. Il a des gestes précis et une démarche gracieuse dans son corps élancé aussi sec que celui de son frère. Il hoche la tête et va rejoindre les jeunes femmes à l'extérieur. On passe devant un tableau où sont inscrits les noms des différents " comités " de la longhouse : le responsable des achats, celui qui s'occupe de l'entretien des cochons, celui qui organise les fêtes. Un homme plus bronzé, mais tout aussi maigre et portant un sarong passe devant nous, un coq de combat sous le bras, vers la balustrade. Une fois l'animal nourri, on s'assoit côte à côte sur le seuil de l'une des portes pour le regarder. Le soleil se couche et les plumes de l'animal projettent des éclats irisés. Le temps passe, le gardien du coq se lève pour nous apporter du thé et on entend l'arrivée des membres les plus jeunes de la longhouse, qui reviennent de la pêche ou des champs.
Dernier tour avec le guide, avant le repas suivi du spectacle de danses. Accrochés au milieu des filets de pêche, des paniers pour la récolte et des ustensiles pour labourer les champs, on n'échappera pas aux crânes noircis, ces anciens trophées de guerre retenus par une boule en osier et suspendus aux piliers. La pratique de la chasse des têtes a été abandonnée en 1929, ce qui marque un contraste saisissant avec la Malaisie moderne où les petits-fils de ces chasseurs occupent aujourd'hui des postes dans les secteurs de pointe comme l'informatique ou les nouvelles technologies. Les croyances animistes des Iban se traduisent par une série de signes dessinés sur les portes et par des objets accrochés en face de l'escalier, tels les morceaux de ruches d'abeilles censés détourner les mauvais esprits vers ces orifices et empêcher qu'ils accèdent à la maison.
Texte : Claudio Tombari
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