Les nuits du Caire
Brahim
Hany connaît tous les passages du Caire. Son passage préféré se trouve à deux pas de chez lui, près du Club grec. Impossible d'en deviner l'existence si on ne le connaît pas. Nous nous engageons dans l'impasse. De part et d'autre, alignées contre les murs, des tables où des hommes fument la chicha, jouent aux dames, boivent un thé, un kawa… Hany connaît tout le monde. Il s'arrête saluer quelques connaissances. Pas une seule femme, mais cela ne me dérange pas. Après tout, je suis occidentale…
C'est là que je vois Brahim pour la première fois. Un visage d'une rare beauté. Il est attablé, dos au mur, avec deux amis. Je lui demande la permission de le photographier. Il accepte. Il est journaliste et écrivain ! Ce soir, il est heureux et cela se voit. Il donne du habibi (chéri) à tous ceux qui passent, il sourit. Brahim est marocain et il vient de remporter le prix littéraire du monde arabe. « Pour les moins de quarante ans », précise-t-il. Et il me montre fièrement le billet d'avion qui lui a été offert pour se rendre à Dubaï, à la cérémonie de remise des prix. Mille dollars pour lui, une somme énorme ! À titre de comparaison, le salaire moyen d'un journaliste est de 40 € par mois. Brahim El Mansouri… à retenir…
Les nuits au Caire n'en finissent pas, les sorties s'enchaînent. De là, nous nous rendons au café El Horriya, la Liberté, un des lieux de rendez-vous des intellectuels du Caire, un endroit un peu mythique. Je retrouve Mohamed, rencontré quelques jours plus tôt. Matteo m'avait prévenue : le Caire, c'est tout petit, tout le monde se connaît. C'est vrai, j'ai presque l'impression d'être en province. D'ailleurs, Brahim fait son apparition peu de temps après notre arrivée. Un charmant désordre règne en ce lieu par ailleurs très ascétique : des tables en bois éparses, des mégots sur le carrelage… Les bouteilles de Stella, le seul alcool que l'on trouve encore dans certains cafés de la ville, s'alignent sur les tables.
Il est deux heures du matin. Hany décide de rentrer et nous propose de faire un crochet par la laiterie, à deux pas de El Horriya. La laiterie ? C'est là qu'il achète son lait chaque nuit, avant de rentrer chez lui. Rien ne m'étonne plus au Caire…
Texte : Sylvie Lasserre
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