Rome alternative : San Lorenzo et Il Pigneto

Rome alternative : San Lorenzo et Il Pigneto
Quartier il Pigneto © Eric Milet

Un peu excentrés, les quartiers de San Lorenzo et Il Pigneto attirent les oiseaux de nuit.

Situé à l’est de la gare de Termini, San Lorenzo n’a rien d’antique ni de médiéval, c’est la Rome des films de Pasolini. Un ancien quartier populaire qui regorge aujourd’hui d’adresses pour faire la fête et de lieux alternatifs.

Quant au triangle du Pigneto, à un quart d’heure de marche un peu plus à l’est, il est du même tonneau. On n’y vient pas pour ses musées et ses vieilles pierres, encore moins pour faire du shopping, mais plutôt pour découvrir un autre visage de Rome. Celle d’une capitale européenne avant-gardiste et bouillonnante. Un tantinet berlinoise nous direz-vous ? Peut-être.

Balade dans une Rome expérimentale, une Rome de la prise de position politique, plutôt encline à voir émerger, dans le secret de ses cafés, des idées pour demain.

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San Lorenzo, la mémoire ouvrière de Rome

L’urbanisation du quartier de San Lorenzo remonte à la fin du 19s, dans la période qui suit l’unification de l’Italie. Un paysage jusque-là essentiellement agricole se transforme alors en cité-dortoir pour accueillir les cheminots et les ouvriers qui prennent part à la construction de la nouvelle capitale.

Un quartier prolétaire voit le jour, historiquement ancré à gauche. C’est d’ailleurs le seul quartier de Rome qui a tenté d’arrêter la marche orchestrée par Mussolini et ses Chemises Noires en octobre 1922.

Par la suite, San Lorenzo paiera d’ailleurs très cher sa position antifasciste, notamment lors d’une expédition punitive menée par Italo Balbo qui fit plusieurs morts dans les rangs communistes.

En partie détruit par les bombardements alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, le quartier perd une partie de ses habitants et, tandis qu’il tombe dans la petite criminalité, se défait petit à petit de son caractère prolétaire au profit d’une population plus engagée politiquement.

Dans les années 1960, San Lorenzo joue même un rôle primordial pendant les révoltes étudiantes où il deviendra un fief de l’extrême gauche. Affluent alors artistes, écrivains et intellectuels.

San Lorenzo et la Rome d'aujourd’hui

San Lorenzo et la Rome d'aujourd’hui
Basilica di San Lorenzo fuori le Mura © fusolino - stock.adobe.com

Aujourd’hui, San Lorenzo est un vrai laboratoire d’idées, et ses rues grouillent de jeunes étudiants de la fac de sciences toute proche venus s’encanailler autour d’une bière dès l’heure de l’aperitivo.

Le quartier a retrouvé de la couleur, à la faveur des nombreux graffs qui courent sur ses murs, formant comme un patchwork géant au pied d’immeubles souvent décrépis. Et partout des bars, des pubs, des petits restos où l’on s’arrache une pizza pour trois fois rien, sans oublier les lieux de retrouvailles où se produit la scène alternative du moment.

Des lieux chargés d’histoire, aussi, comme la trattoria Pommidoro, l’archétype de la trattoria romaine. Ici, ça sent le feu de bois et les retrouvailles entre potes. Derrière son petit bureau, face au grand four à bois qui lècherait presque les clients qui auraient franchi la porte coulissante trop vite, Aldo se sent un peu seul. Pommidoro fut toute sa vie, comme elle fut aussi la vie de sa femme Maria aujourd’hui décédée. Il y plane en permanence une bonne odeur de frichti. Une chaude ambiance qu’appréciait aussi, comme tant d’autres intellectuels, Alberto Moravia. Pour l’anecdote, c’est ici que Pasolini a pris son dernier dîner.

San Lorenzo : des usines au cimetière des stars

San Lorenzo : des usines au cimetière des stars
Cimetière monumental du Verano © mario_vender - stock.adobe.com

Les monuments vous manquent ? Faites un tour du côté de l’usine à pâtes Cerere, de la brasserie Wuhrer ainsi que de la verrerie Sciarra qui rappellent l’architecture industrielle du début du 20e s.

Les curieux remarqueront que le campanile de l’église de Santa Maria Immacolata ressemble étrangement à celui de la place Saint-Marc à Venise. La Basilica di San Lorenzo fuori le Mura, en partie détruite pendant la pluie de bombes qui s’est abattue sur le quartier au matin du 19 juillet 1943, vous en mettra plein les mirettes, avec ses fresques retraçant la vie de saint Laurent. Alfredo Barbagallo, un archéologue italien, soutient mordicus qu’elle est susceptible d’abriter des fragments du Saint Graal, c’est peu dire…

Juste à sa droite se trouve le cimetière monumental du Verano.  Cette cité des morts, attachante, solennelle et somptueuse, accueille dans ses caveaux, plus ou moins baroquisants, de marbre et de travertin, des célébrités comme Alberto Moravia, Vittorio de Sica, Maria Montessori, Alberto Sordi, Roberto Rosselini, Vittorio Gassman, ou encore Marcello Mastroianni, pour ne citer que les plus connus des francophones...

Pigneto, le triangle méconnu de Rome

Pigneto, le triangle méconnu de Rome
Bar Necci © Necci dal 1924

En fait, Pigneto n’est pas exactement un quartier. C’est une part de pizza coincée entre la via Casilina et la via Prenestina.

Pour ce qui est de son histoire, il a suivi plus ou moins le même chemin que San Lorenzo. La banlieue sale et pittoresque filmée par Pasolini s’est petit à petit transformée, mais elle garde encore aujourd’hui un véritable esprit de village, avec ses petites rues plantées d’arbres, ses marchés et ses associations de quartier. C’est surtout la nuit que ça change, car le Pigneto est aussi le quartier de Rome où ça deale le plus.

Point névralgique et historique du quartier : le bar Necci, planté au cœur du Pigneto « hipster », un secteur situé à l’est de la voie de chemin de fer qui coupe le quartier en deux. On le découvre dès la sortie du métro, confronté à la louve démesurée qui orne le pignon d’un grand immeuble.

Cet ancien quartier prolo est aujourd’hui en pleine mutation. Les affiches du PCI et de la Lotta, jadis placardées à tous les coins de rue, sont désormais de l’histoire ancienne. Il Pigneto attire aujourd’hui les jeunes créateurs et les d’artistes. Un melting-pot de culture qui s’est intensifié ces dernières années en raison de l’arrivée continuelle de migrants.

La Rome de Pasolini

La Rome de Pasolini

Pier Paolo Pasolini, qui savait questionner l’âme la plus profonde de la société italienne, scrutait les rues et les bidonvilles de Rome, tombant amoureux de la classe prolétarienne qui y vivait sans jamais lui faire de concessions.

Pasolini a raconté l’expansion urbaine, ce monstre capable d’arracher une maison en une nuit, la mise au ban des plus faibles et le coup de  balai des pelles mécaniques qui fouillent au hasard des maisons surgies un peu partout comme des mauvaises herbes au lendemain de la guerre.

Car San Lorenzo et Il Pigneto semblent défier la trame mussolinienne. Ils constituent aujourd’hui un pays de jachères urbaines, entre les tags qui courent sur tous les murs et le cliquetis sourd du chemin de fer tout proche.

Pasolini a su écrire la ville naissante d’une Rome toute en contradiction. Nous ne saurions trop vous inviter à découvrir ou à revoir Accatone, film sorti en 1961.

Jour de marché dans la Rome populaire

Jour de marché dans la Rome populaire
© fabiomax - stock.adobe.com

Actifs pendant la Seconde Guerre mondiale et creuset des manifs étudiantes des années 1960, les quartiers de San Lorenzo et Il Pigneto sont encore reconnus comme des entités antifascistes.

En outre, l’un comme l’autre a aussi la particularité d’avoir réussi à faire revenir un peu de campagne au centre-ville. Témoins ces marchés, fruits des comités de quartiers où l’on trouve, dès que les premiers frimas se sont éloignés, des étals de légumes qui rappellent la Rome d’antan.

Les jours de marché (le vendredi à San Lorenzo), la via Tiburtina disparaît sous les étals, les fleurs et les camelots… Alors quand sonne l’heure bénie de la pause du midi, on sort les tables des bars-restos alentours et la saucissonnade peut commencer à même la rue.

Cette ambiance rappelle la célèbre fête de Noantri, emblématique du Trastevere – la fête « à nous autres » (littéralement noi altri) – autour de la mi-juillet, avec ses tablées à ciel ouvert où l’on se noue volontiers un mouchoir sur la tête quand ça cogne un peu fort.

Une Rome de morue frite à la puntarelle, de phrases entrecoupées par la faconde d’un bonimenteur, dans l’atmosphère euphorique de mains qui soliloquent en cherchant désespérément à capter l’auditoire. Une Rome que Fellini a su immortaliser et qui perpétue encore ce sentiment d'appartenance à une cité ancienne qui résiste à l'oubli. Rome n’est-elle pas la ville éternelle ?

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Bonnes adresses

À San Lorenzo

- Trattoria Colli Emiliani : via Tiburtina, 70. Tél. : 06-44-53-622. Tlj sauf dim 12 h-15 h, 19 h 30-22 h 30. Plats 7-12 €, repas 20-25 €. Derrière une large devanture vitrée, un resto populaire sorti d’un autre temps. À la carte, plats traditionnels sans grande fantaisie mais goûteux, bien servis et très abordables.

- Trattoria Tram-Tram : via dei Reti, 44-46. Tlj sauf lun. Fermé 1 sem en août. Résa très conseillée. Plats 15-18 €, repas 25-35 €. Cadre de bistrot à l’ancienne agréable pour une authentique cuisine familiale romaine mais aussi des Pouilles, à base de produits frais de qualité, mélangeant avec bonheur les parfums et saveurs des grands-mères.

- Wishlist Club : via dei Volsci, 126b. Jeu-dim 21 h 30 (21 h dim)-2 h (4 h ven-sam). La petite scène de jazz-blues-rock du quartier, où se produisent des groupes de qualité dans une salle à taille humaine, avec bar et petit salon sans fioritures.

- Bar dei Brutti : via dei Volsci, 71. Tél. : 06-890-138-25. Tlj 14 h-2 h. C’est sans doute en raison de ses tarifs « étudiés » que le « bar des Moches » affiche un succès fou ! Avec ses murs en brique brute et sa clientèle joyeuse en prime.

- Gelateria San Lorenzo : via Tiburtina, 6. Tél. : 06-44-69-440. Tlj 11 h-1 h. Certainement l’une des meilleures adresses de Rome. Les assemblages de parfums 100 % naturels mêlent fruits de saison parfois aux herbes aromatiques (basilic notamment). La pistache de Bronte est à tomber.

 Dans le Pigneto

- Dar Parucca : via Macerata, 87-89. Tél. : 324-086-83-61. Tlj sf lun midi. Plats 8-11 €, repas env 30 €. Agréable petite salle à la déco colorée évoquant la campagne. Renouvelée au gré du marché et des saisons, l’ardoise affiche de bons petits plats savoureux, mijotés avec des ingrédients essentiellement bio, « km 0 », et 100 % traçables. Bref, de la cuisine romaine Slow Food, saine et très abordable.

- Lo Yeti : via Perugia, 4. Tél. : 06-70-25-633. Tlj sauf lun 16 h-1 h (ouvre à 11 h sam, dim). Cette librairie-café plutôt engagée, gérée par une coopérative sociale collaborative, propose une dînette à base de produits bio issus de petits producteurs.

- Tuba : via del Pigneto, 39/A. Tél. : 06-703-994-37. Tlj 8 h-0 h 30 (ferme à 2 h ven, sam). Tuba est un espace à la fois bar à vin et salon de thé. Un local géré par des femmes et plutôt pour les femmes étant donné la littérature et les accessoires qu’on y trouve. Terrasse dans la rue piétonne aux beaux jours. Une adresse qui signe avec élégance le bouillonnement intellectuel du quartier. À découvrir…

- Necci dal 1924 : via Fanfulla da Lodi, 68 (angle Braccio da Montone). Tél. : 06-976-015-52. Tlj 8 h-2 h. Dans un décor rétro ponctué de luminaires tout droit sortis des 70’s, c’est l’ancien QG du célèbre cinéaste-écrivain Pasolini, désormais un repaire de hipsters. Fait aussi resto.

Texte : Eric Milet

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