Cambodge : le Tonlé Sap, un lac à part
Situé à une quinzaine de km au sud de Siem Reap et des temples d'Angkor, le Tonlé Sap est le plus grand lac d’eau douce d’Asie du Sud-Est. Parsemé de villages flottants, doté d’un écosystème assez singulier pour lui valoir le titre de réserve de la Biosphère par l’Unesco, le site est d’autant plus unique que, deux fois l’an, le sens du courant s’inverse.
Dans cet univers lacustre unique, tout se fait sur l’eau, par bateau. Balade sur une petite mer intérieure, dans un univers bruyant et joyeux, en quête de paysages, de scènes typiques de la vie quotidienne et d’observations ornithologiques rares.
Préparez votre voyage avec nos partenairesLe Tonlé Sap, un étonnant système hydrographique
Impossible d’évoquer le Tonlé Sap, le plus vaste réservoir d’Asie du Sud-Est sans parler du Mékong. Traversant six pays avant de se jeter dans la mer de Chine, celui-ci offre ses incroyables ressources piscicoles à la « grande rivière d’eau douce » - traduction de Tonlé Sap - ainsi qu’un phénomène hydrographique assez rare.
Durant près de 8 mois, l’eau du lac et de la rivière Tonlé Sap s’écoule dans le Mékong, mais au cours de la saison des pluies, lorsque fondent les neiges himalayennes et que s’abat la mousson, son cours s’inverse. Les flots du Mékong remplissent alors le lac, inondant toutes les plaines et les forêts alentours, gorgeant le Tonlé Sap de poissons.
Sa superficie passe alors de 2500 à 12 000 km2, sa profondeur de moins d’un mètre par endroits monte à plus de 15 mètres. Puis la décrue s’amorce, les sédiments nourrissent les rizières, la saison de pêche peut débuter. L’activité devient alors grouillante.
Près de 170 villages lacustres dépendent en effet de la pêche surtout, de la riziculture aussi. La vie de trois millions de personnes installées dans la région bat au rythme de ce cœur liquide formé il y a près de 6 000 ans, gratifiant le pays de plus de 75 % du volume de sa pêche en eau douce : 300 000 tonnes par an !
Et passer ne serait-ce que quelques heures, voire quelques jours, sur le Tonlé Sap reste une expérience inattendue, quel que soit le mois choisi (privilégiez tout de même les mois d’octobre à mars quand le niveau de l’eau est élevé).
Les déchets plastiques, largement drainés par le Mékong à la saison des pluies, sont une véritable plaie du Tonlé Sap. En 2022, l’Association cambodgienne des agents de voyage et la Fondation Tampaing Snong Russey ont lancé une campagne de nettoyage de fin janvier à fin juin. Une bonne initiative mais qui ne suffit, hélas, pas à endiguer le fléau. Autres risques écologiques : la poussée démographique autour du lac, la surexploitation des ressources, ainsi que les barrages hydrauliques sur le Mékong qui menacent la faune du fleuve.
Deux communautés pour un lac
7h30, le soleil s’est levé depuis longtemps. La voiture quitte le bitume de Siem Reap, emprunte une piste, aussi large que chaotique. Bientôt une rivière. Croit-on. Il s’agit d’un canal du Tonlé Sap, afin que les pêcheurs puissent rejoindre aisément la ville.
Un camion en plein chargement, une dizaine de femmes qui s’affairent : elles remontent d’un bateau des baquets par dizaines, emplis de petits poissons argentés. On les retrouve un peu plus loin, séchant déjà au soleil.
Ce sont des gouramis, qui serviront à faire le prahok. De cette pâte de poisson fermentée à l’odeur particulièrement forte mais dont les Cambodgiens sont très friands, on extrait aussi le jus issu de la fermentation qui deviendra la sauce nuoc mâm. Le mot est pourtant vietnamien.
Dès l’époque du protectorat mais surtout dans les années 80, après la guerre civile, de nombreux Vietnamiens se sont en effet installés ici, bien après les Chams – l’autre communauté venue aussi du Vietnam, mais à la fin du XIXe siècle. Sur le bord du canal, s’alignent sagement des dizaines de barques de pêcheurs à fond plat.
On grimpe à bord de l’une d’elles, gracieuse comme une libellule, bruyante comme une tondeuse à gazon agonisante. Le pilote, presqu’un gamin, fait vrombir le moteur, plonge légèrement l’hélice fixée sur une très longue tige de métal qui lui permet de manœuvrer. 1h30 sera nécessaire pour atteindre le village flottant de Prek Toal.
Bien sûr, beaucoup de villages se visitent sur le Tonlé Sap. Mais nombreux sont ceux devenus pièges à touristes, du fait du nombre croissant de voyageurs. Découvrir Prek Toal s’avère plus cher, mais vous n’aurez pas de sollicitation permanente. Une adresse sérieuse pour passer une journée, voire une nuit chez l’habitant flottant : All Dreams Cambodia
Villages flottants et pêche dans le Tonlé Sap
Près des berges, de l’eau parfois jusqu’aux hanches, des hommes scrutent la surface avec attention. Des bulles apparaissent : le signal pour jeter, d’un geste sûr et aérien, l’épervier, un filet circulaire lesté qui attrapera les poissons-chats et autres espèces brunes tapissant la vase. Le canal disperse ses méandres boueux, éparpille les premières maisons flottantes. Pour un peu, on se croirait dans un bayou, mangrove inclus. Ne manquent plus que les alligators…
Quoique... on rencontre ici les crocodiles du Siam, et même si c'est le plus souvent dans les fermes d’élevage que dans le lac lui-même où une vingtaine ont cependant été lâchés récemment. Il y en a aussi, mais bien plus, désormais, dans les fermes d’élevage que dans le lac lui-même.
Village en vue, celui de Prek Toal. Pour rue, la rivière, pour trottoirs les pontons devant chaque maison. Peintes en bleu : c’est une famille d’origine vietnamienne qui y habite. En vert ? Ce sont des Chams, une communauté musulmane de marins-pêcheurs.
Toutes les habitations ou presque sont sur le même modèle, murs de planches et toits de tôles, construites sur des embarcations, ou directement sur des bidons. Une pièce de vie, un coin cuisine à l’arrière et les toilettes, parfois amarrés comme un bachot. La plupart est flanquée d’un potager, flottant lui aussi.
Épicerie, station-essence, garage, salon de coiffure, école prolongée d’une cour de récré ceinte d’un grillage, et jusqu’à la maternité : on retrouve exactement, en version lacustre, tout ce qui constitue un village.
2021 a été une mauvaise année pour les pêcheurs. En cause ? Des précipitations faibles et en retard sur la saison et les barrages chinois érigés en amont du Mékong, qui bloquent les sédiments riches en nutriments. Les bons résultats 2022 résultent en revanche de fortes pluies mais aussi d’une pêche qui a voulu rattraper le temps perdu. Résultat : certaines espèces tendent à disparaître. La fin d’une ère dorée ? En tout cas certains se tournent désormais vers l’aquaculture ou le travail en usine.
Des crocos aux oiseaux : la faune du Tonlé Sap
On s’amarre une première fois pour observer l’intérieur de cages à claire-voie, aménagées sous une terrasse. La luminosité est aveuglante, il faut s’agenouiller. Pour croiser l’œil jaune et froid d’un crocodile et la peau luisante d’une vingtaine de ses congénères.
Bientôt il sera vendu, pour chausser les pieds d’une élégante fortunée ou régaler les gourmands : on en trouve au menu de nombreux restaurants de Siem Reap comme de Phnom Penh. Son goût de poulet n’a rien à voir avec ce dont ils se nourrissent : les sauriens se régalent en effet de serpents locaux fournis par le Tonlé Sap à raison de 5 millions par an.
Autre singularité au cœur de Prek Toal, la réserve ornithologique : 21 hectares d’un véritable sanctuaire. Marabout, ibis à tête noire, jaribu asiatique, tantale indien, pygargue à tête grise… autant d’espèces en voie d’extinction ou protégées, mais aussi plus communes comme les cormorans ou les pélicans.
Changement de véhicule : cette fois-ci c’est une barque sans moteur, qui gémit sous votre poids. S’éloignant du village, la batelière navigue alors au sein de la forêt inondée avant de larguer ses passagers devant une plateforme d’observation.
Veillant sur cet écosystème, les rangers, dont d’anciens braconniers reconvertis, ont été formés par la Wildlife Conservation Society et l’appui d’Osmose, une ONG active dans tous les domaines, créée par un couple de Français en 2004. Alors que les prélèvements d’œufs et d’oisillons - respectivement 26 000 et 3 000 en 1996 - menaçaient gravement ces colonies, les oiseaux se reproduisent désormais tranquillement.
La meilleure période pour apercevoir les oiseaux commence en novembre, même si certaines espèces, comme le grand adjuvant, n’arrivent qu’en décembre. Certaines années, le niveau de l’eau devient trop bas au printemps pour accéder aux plates-formes d’observation.
Des jacinthes bien encombrantes
Prek Toal signifie « rivière sans issue ». En période de mousson, en effet, les jacinthes d’eau prolifèrent, obstruant une partie du canal et menaçant l’écosystème du Tonlé Sap. En 2004, l’ONG Osmose apprend qu’une technique ancestrale de tressage de cette plante invasive en diable est tombée dans l’oubli. Une coopérative, Saray, est mise sur pied, des formations organisées pour des femmes en grande précarité, élevant souvent seules leurs enfants.
Les tiges des plantes sont tout d’abord séchées, puis fumées. Dans l’atelier, quelques-unes s’activent sous le regard d’une fillette rieuse. Assises à même le sol, un pied maintenant la tige, elle tressent, avec une prodigieuse dextérité, paniers, boîtes décoratives, dessous de plat qui viennent égayer les étagères. Une trentaine de bénéficiaires touchent ainsi un revenu régulier.
Ne reste qu’à repartir avec un souvenir fait main, unique et pour une bonne cause, avant d’aller déjeuner dans la maison d’à côté. Au menu, riz et poisson bien sûr !
Il est également possible de passer la nuit dans une des maisons flottantes avec Osmose. Pour lit, une natte : le confort est spartiate. Mais c’est l’opportunité de partager le quotidien des habitants, notamment en préparant le dîner avec eux.
Fiche pratique
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Comment y aller ?
C’est au départ de Siem Reap qu’il est aisé de se rendre vers Prek Toal. Pas de vols directs depuis la France mais Vietnam Airlines constitue la meilleure option en termes de temps de vol/tarif, avec une entrée ou une sortie Siem Reap. Comptez environ 18 h de vol au départ de Paris-CDG vers Siem Reap. Trouvez votre billet d’avion.
Bonnes adresses
Il faut compter une bonne demi-heure de route pour arriver au canal où embarquer pour Prek Toal. On ne saurait trop vous recommander de passer par l’ONG Osmose dont les guides – francophones - sont formés à l’éco-tourisme.D’autres villages flottants que Prek Toal se prêtent à la visite mais rares sont ceux où le visiteur n’est pas considéré comme un portefeuille sur pattes.
Rue 63 Homestay : plus éloigné - plus d’une heure de route de Siem Reap -, Kampong Khleang est moins envahi. Essentiellement constitué de maisons sur pilotis de 6 à 7 mètres de haut - afin de ne pas être inondées à la saison des pluies - c’est une autre vision de la vie sur et autour du Tonlé Sap. On peut y dormir également, tour et repas inclus.
Texte : Pascale Missoud
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