Bonjour,
Le mot “Phajaan”, - qui, d’après le Royal Thai General System, doit être romanisé sous la forme “Phachan” - existe bel et bien. Il est formé du verbe “pha” (ผ่า) : diviser, séparer, et de l’adverbe “jaan” (จ้าน) : intensément, considérablement. On notera que le mot ne concerne pas uniquement les éléphants, il a un sens plus général et s’applique notamment à toute pratique magique visant à couper des liens, à séparer des personnes.
“Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage”, disait sagement Montaigne. Même si c’est bien difficile pour un Occidental, je pense qu’il faut essayer de comprendre qu’il ne s’agit pas simplement d’une technique de dressage, d’une torture destinée à casser la volonté de l’éléphant et à le rendre docile. Si ce n’était “que” ça, ce serait effectivement révoltant, car il existe d’autres méthodes bien plus douces pour y parvenir. Le problème, c’est que ce n’est pas “que” ça. C’est également une cérémonie religieuse, une série de rituels symboliques destinés à séparer l’éléphanteau de sa mère et à le débarrasser des mauvais esprits qui le hantent. Les Européens éclairés, imprégnés de l’esprit des Lumières, pourront sourire ironiquement, mais, qu’ils le veuillent ou non, c’est une dimension qu’on ne peut pas balayer d’un revers de manche. Et qui a seulement fait l’effort d’essayer de se documenter un minimum sur les significations spirituelles profondes du phachan ? D’essayer au moins d’en comprendre les sources, les implications ? Certes, ça n’excusera pas les souffrances infligées aux pachydermes, mais ça permettra certainement de mieux juger en connaissance de cause. Si l’on ne considère pas cette dimension religieuse et mystique, si l’on ne cherche pas au moins à la percevoir, puis à l’approfondir, on ne comprendra jamais rien à l’esprit thaï, animiste, peuplé dès l’enfance de fantômes, de divinités malfaisantes ou tutélaires, d’esprits des ancêtres, de fatalité du karma.
Les éléphants sont sacrés en Thaïlande. Le roi Naraï faisait manger les siens dans de la vaisselle d’or. Je vais sûrement choquer et faire hurler en disant cela, mais je ne suis pas sûr que, dans l’esprit d’un mahout thaï, même confusément, même sans mots pour le dire, le phachan ne soit pas perçu comme une marque de respect envers l’animal, voire un acte d’amour.
Sur les rapports entre l’homme et l’animal, voilés par les fantômes des âmes défuntes, on pourra lire avec profit “L’empailleur de rêves” de l’écrivain thaïlandais Nikom Rayawa, traduit en français par Marcel Barang aux Éditions de l’Aube. Un concentré d’âme thaïe, bien impénétrable pour un Occidental.
Cordialement,
PVM