Mardi 17 décembre. Capetown.
Bonjour,
A propos de la journée d’'hier, il ne faudrait pas que j’oublie de mentionner les gros embouteillages que nous avons rencontrés sur notre trajet de retour le long des plages! Effarant! Et le nombre de voitures de luxe!!!
Nous avons mis une heure pour rejoindre Hout Bay. On se serait cru au Cap Ferret au mois d’août!
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas : ce mardi est très calme, et gris aussi mais le soleil reviendra dans la journée.
Nous avons réservé aujourd’hui une visite privée de quelques townships, avec Marc, un guide réservé par Valérie.
Nous ne voulions pas de ces tours charters en bus ou minibus où les touristes ne descendent que pour prendre leur photo et puis repartent.
Nous voulions comprendre, le passé, l’histoire, la vie actuelle, l’évolution, les perspectives d’avenir. Rencontrer les gens.
Je n’ai pas emporté mon appareil photo, le téléphone (plus discret) sera mon témoin si besoin.
Le choix de Marc comme guide s’avère excellent : Il a vécu dans l’un des townships que nous allons visiter, sa famille étant un pur “produit” de différents métissages et ayant subi de plein fouet les effets de l’apartheid et de la “délocalisation” des habitants de District Six, qui est à l’origine d’une grande partie des Townships du Cap.
L’histoire de sa famille, du reste “relativement” aisée, est passionnante et illustre bien les souffrances et blessures engendrées par l’apartheid, avec des membres de la famille classés dans des catégories raciales différentes (en fonction de leur couleur de peau) et des parents ayant de ce fait interdiction de voir leurs enfants, parqués dans des quartiers différents.
Marc est lui-même “colored”, mais avec une grand-mère italienne, tellement pâle (et aux cheveux souples) que vous pourriez le prendre pour un blanc.
Un township, c’est un faubourg, un quartier populaire, réservé aux personnes “non blanches”.
On y distingue ceux réservés aux “colored” et ceux à majorité noire, comme Langa.
Au départ, au début du siècle (1901), les premiers townships étaient destinés aux populations noires, mais il fut décidé par la suite d’élargir la notion en créant des zones urbaines cadastrales dont on pouvait plus facilement “contrôler” la population. L’apartheid fut en fait une façon d’organiser et de structurer officiellement une situation qui était tout sauf nouvelle.
Marc vient nous chercher à Intaba avec sa voiture, nous commençons par une visite au musée de Distict Six.
Nous connaissons (déjà visité l’an dernier) mais cela ne nous dérange pas d’y retourner avec lui, au contraire. Sa famille a vécu là, il peut nous montrer la rue et nous raconter des souvenirs rapportés par ses parents.
Cet immence quartier fort bien situé où les gens de toutes origines vivaient en parfaite harmonie fut un jour déclaré “zone exclusivement blanche” et entièrement détruit, rasé par les bulldozers. C’était en 1966. Il y eut 60 000 personnes déportées.
Le musée est dédié à ces familles qui furents délocalisées dans différents townships, certains créés pour l’ocasion, dans différents “quartiers” en fonction de leur race ou religion.
Sur un plan au sol, les familles ont écrit leur nom à l’endroit où elles ont vécu. Il y a aussi d’immenses draps brodés avec les noms et des témoignages, et plein de souvenirs, de photos.
Une fois encore, nous sommes émus.
Différentes cartes d’identité comportant en rouge la mention de la “race” (parmi les 7 races officialisées par le Parlement)
L’ancien District Six est aujourdhui une immense friche désolée, laissée à l’abandon (à l’exception de quelques rares bâtiments religieux ou scolaires), personne n’ayant osé y conduire le projet initial de quartier réservé aux blancs, personne n’osant envisager une suite qui ne serait pas une spéculation sauvage. A qui appartient le terrain qui fut volé à ses propriétaires il y a plus de 50 ans?
Nous visiterons avec Marc trois townships situés dans le secteur de l’aéroport :
Bontheuwel et Gugulethu, réservés aux “colored”, et Langa, township noir (peuplé à 99% par des bantous).
De fortes nuances existent, tant au niveau de l’habitat, des catégories sociales, des aménagements (crèches, écoles, centres de soins - rares ou absents-), des projets et initiatives…
Peu d’infrasructures en général, aucun transport en commun si ce n’est ces compagnies de minibus privés, qui furent créées dans les townships pour pallier le manque, et qui sont maintenant gérées par la mafia locale.
L’entraide et la solidarité s’y retrouvent partout, le partage n’est pas un vain mot, mais certains territoires sont synonymes de criminalité, drogue et violence.
Nous nous sommes promenés, beaucoup en voiture (les distances sont grandes!) et un peu à pied, nous sommes entrés dans un restaurant, dans un “shebeen” (bar informel dans une cabane en tôle où vous pouvez goûter de la bière locale qui macère dans un seau), chez un charmant couple de retraités avec qui nous avons bavardé un moment, dans une lugubre barre d’immeubles de béton…
A Langa nous étions accompagnés par un 2e guide (local), par sécurité je pense.
Nous n’avons pas pu visiter de crèche ni d’école (vacances scolaires) ni rencontrer de chamane (absent pour affaires)… Cela se fait, habituellement.
Quelques images très contrastées :
(Célèbre boucherie/restau à Gugulethu, qui organise de mégas braais avec bière locale et concerts le dimanche. Belle viande dans des vitrines réfrigérées)
Des équipements et des projets existent dans ce quartier.
Bontheuwel (qui milite pour être reclassifié en “suburb”) comporte des parties qui ressemblent à de mignons quartier pavillonnaires, avec des coquettes maisonnettes, équipées il est vrai de lourdes grilles, barbelés et chiens méchants.
Mais tous les quartiers ne se ressemblent pas!
Certaines rues sont à fuir à partir de 18H.
Des massacres ont eu lieu, des affrontements avec les forces de l’ordre, la contestation reste bouillonnante.
Plus loin (ou bien était-ce un autre township?), nous voyons tout un secteur où des containers sont utilisés pour des petits commerces qui pemettent de survivre…
Et Langa :
(Rue des bouchers - la viande s’expose au soleil-)
A Langa, des entassements de minuscules cases en bois et tôle côtoient des immeubles de béton (construits par le gouvernement). Pas d’écoles ou peu, les jeunes n’en voient pas l’intérêt ici, “c’est beaucoup plus intéressant de traîner dans la rue” (sic).
Les paraboles leur sont offertes… dans l’espoir qu’ils achètent des bouquets de chaînes.
Et les smartphones sont dans totes les mains.
Quelles perspectives?
Dans certains quartiers, des initiatives privées apportent peu à peu des améliorations. Des crèches, des écoles, des terrains de sport. Des frémissements d’économie locale viennent entretenir l’espoir.
D’autres coins sont carrément livrés à eux-mêmes.
Dans certains endroits, des maisons en dur remplacent peu à peu les taudis. Souvent le fruit d’initiatives privées.
Les projets officiels “d’amélioration de l’habitat”, eux, se heurtent aux classiques problèmes de corruption et de trafics en tous genres…
La route sera longue…
Les gens sont pris dans la spirale infernale de la pauvreté et du chômage : Comment survivre? Aucune aide. L’absence de perspective fait le lit de la délinquance.
Comment trouver du travail quand on ne peut pas se déplacer?
A l’Est de Hout Bay, de l’autre côté de la M63, sur le flanc de la colline, il existe un township nommé Imizamo Yethu, que l’on peut visiter à partir d’un arrêt de la ligne bleue du bus Hop on-Hop off, il suffit de demander au conducteur (il faut qu’il y ait un guide disponible).
On voit régulièrement dans ce secteur des groupes de jeunes hommes désoeuvrés, assis au bord des trottoirs ou des carrefours : ce sont des demandeurs d’emploi, qui attendent désespérément qu’un éventuel employeur passe en pick up et leur propose un boulot pour quelques heures, quelques jours…
A suivre…