Attention, là, quand on parle de “culture” thaï, de ne pas balancer des poncifs à deux balles récupérés sur des brochures touristiques ou des sites Internet bâclés. La “ronde des éléphants” de Surin a été créée en 1960, on ne peut pas dire que ce soit franchement ancestral, pas plus en tout cas que la Mer de sable d’Hermenonville. J’y suis allé quelques fois, j’habite pas très loin (de Surin, pas de la Mer de sable, suivez donc un peu), c’est plutôt affligeant, à moins qu’on aime voir des éléphants jouer au football, danser, faire de la peinture ou figurer dans de laborieuses reconstitutions historiques. Mais bon, ça amuse les enfants, ça donne prétexte à de jolies photos colorées et exotiques et ça permet aux mahouts de gagner un peu d’argent (oh, pas beaucoup, entre 1.000 et 2.000 bahts selon la prestation) dans un secteur plutôt sinistré. Et puis, faut arrêter un peu les actes de contrition et le politiquement correct : faire jouer un éléphant au football, même si c’est particulièrement idiot, ça n’entre tout de même pas dans le cadre de la maltraitance animale. On a vu pire.
Néanmoins, soyons honnêtes, il existe effectivement une tradition ancestrale de l’éléphant dans la région de Surin, mais d’une part elle n’a rien à voir avec les spectacle du “sedong chang” (plutôt que “la ronde des éléphants” qui est un nom idiot), et d’autre part elle ne nous renvoie pas aux Thaïs, mais aux Kuy, peuple qui essaie de préserver sa langue, ses croyances, ses coutumes et ses traditions en dépit du rouleau compresseur de la thaïfication qui voudrait uniformiser aux normes siamoises une mosaïque de plus de 70 groupes ethniques. Les éléphants, à Surin, c’est l’affaire des Kuy. Les uns et les autres disparaissent peu à peu, c’est regrettable, mais les Kuy, eux, disparaissent dans l’indifférence générale. Ils ne seraient plus que 300.0000 répartis sur le Cambodge, la Thaïlande et le Laos. Les Kuy et les éléphants, en voilà une véritable histoire d’amour ancestrale !
Je suis toujours surpris et un poil agacé de lire les vertueuses mises en garde d’Occidentaux au coeur si tellement sensible qui confondent les éléphants avec les bichons frisés, et qui font un crime de leur mettre une nacelle sur le dos. D’abord, il faudrait se poser la question : si on ne lui met pas de nacelle pour promener les touristes, qu’est-ce qu’on en fait, de l’éléphant - et de son mahout ? (car j’ai l’impression que pour certains, le confort de l’éléphant est beaucoup plus important que celui de son mahout, qui vit généralement dans la misère, mais après tout, qu’il crève, hein…) Parce que balader les touristes, c’est leur gagne-pain, au mahout et à l’éléphant, et la plupart des touristes ne veulent pas - ou ne peuvent pas - monter sur un éléphant à cru. Alors, qu’est-ce qu’on en fait, quand on les a privés de leur gagne-pain ? Le mahout, facile, on le met à l’usine, ou à mendier sur le trottoir, c’est réglé. Mais l’éléphant ? Il n’y a plus de boulot pour lui, depuis que la déforestation a été drastiquement réduite et qu’on ne fait plus la guerre à dos d’éléphant. Il n’a plus sa place à l’état sauvage dans les forêts, parce qu’il y a de moins en moins de forêts. Alors ? On le met dans un parc respectueux du bien-être animal ? Dans un “sanctuaire” ? Ça c’est bien. Oui, c’est bien, mais c’est cher, c’est très cher, ça demande de grands espaces et il faut beaucoup de moyens, pour entretenir ce genre de structure, et le touriste, il ne veut pas payer très cher, il est fauché, le touriste, il rabiote sur tout - y’a qu’à lire les messages ici -, alors il n’y va pas. Ensuite, il faut relativiser cette horrible torture que représenterait la nacelle sur le dos tellement sensible de ces fragiles pachydermes. Après tout, on met bien des selles sur le dos des chevaux. Oui, mais c’est pas pareil. Évidemment, c’est jamais pareil. Cette histoire de nacelle, il semble bien que ce soit une fixation typiquement occidentale. Aucun des thaïlandais à qui j’en ai parlé n’y a vu le moindre problème, et ils se sont tous étonnés qu’on pose la question, ouvrant leurs grands yeux (bridés, tout de même). Bien sûr qu’on met des nacelles (des sappakhap, ça s’appelle) sur le dos des éléphants, on l’a toujours fait, ça va de soi… De la même façon, on les dirige avec un crochet de fer (un kho chang), on a essayé avec des plumes, ça marche moins bien. Et oui, on leur met des chaînes aux pieds, parce que des bestiaux qui pèsent 5 tonnes, quand ça s’énerve, ça fait des dégâts. C’est vrai que ces gens-là sont de vrais sauvages, la preuve, il bouffent des cafards, ils sont pas comme nous, y’a bien quelque chose, hein…
J’ai l’impression qu’on a un peu pollué le fil initiale, mais comme il posait une question à laquelle il a été répondu mille fois au moins et qu’il n’avait aucun intérêt, y’a pas grand mal.
Allez tiens, un beau petit film sur les éléphants au Sud-Laos, c’est en anglais, mais même si on ne comprend pas, les images sont authentiques.