Je suis à Pokhara, au bord du lac et ce soir il est temps de repartir.
Il y a trois jours j’ai bouclé le circuit de l’Annapurna. Mes jambes sont en souffrance mais j’ai encore dans les yeux les plus beaux paysages jamais vus. Pour moi, randonneuse du dimanche, pas sportive et à mon premier trek en solo, c’était une expérience unique. Le mal de montagnes, qui n’a pas frappé mon corps à 5416m, est en plein attaque maintenant. Ici, au bord d’un lac à 1400m, il ne me laisse pas tranquille. Je pense que l’Himalaya m’a ensorcelée, il faut que j’y retourne.
Ça tombe bien, ma sœur arrive demain à Katmandou, c’est l’occasion parfaite pour repartir marcher ensemble dans le Langtang. Les treks dans le Langtang se font au départ de Katmandou, c’est donc l’idéal pour un trek court à faire quand, comme ma sœur, on n’a pas plus de 2 semaines sur place.
Arrivée toutes les deux en ville, on se renseigne auprès d’une agence sur les treks possibles et on choisit une boucle de 7 jours qui passe par le lac sacré de Gosainkund. On ira en bus jusqu’à Dhunche et on redescendra à Katmandou en passant par le chemin du trek de Helambu. Comme pour le circuit de l’Annapurna, je m’assure qu’il est bien possible de le faire en autonomie, sans guide ni porteur, sans trop de difficultés. On achète une carte, nos billets de bus, des snacks pour la route (le twix ne sont jamais trop et ils ne pèsent jamais trop lourd) et on optimise nos sacs à dos car on va laisser tout le superflu à l’hôtel pour être légères comme des papillons !
1/ Katmandou – Dhunche
Le voyage en bus vers Dumche est un très typique voyage en bus au Népal : inconfortable et effrayant.
Avec les billets VIP on a des places assises assurées mais ça ne nous empêche pas de faire le voyage avec des bagages ou des enfants népalais (trop chou) sur les genoux. L’état des routes est déplorable et le bus, bien évidemment, roule longtemps sur le bord d’un précipice. Au Népal, après des jours de marches, tes jambes rêvent de monter dans un bus mais quand t’y est, ton cerveau te hurle que ce serait peut-être mieux de marcher ! C’est un combat permanent.
On arrive à Dumche en fin d’après-midi, on trouve une auberge, une douche froide et un dal bhat chaud. Je commence à me sentir chez moi !
2/ Dhunche – Sin Gompa
Le lendemain matin c’est le vrai premier jour de trek. Je joue à faire le guide de ma sœur et je lui dévoile mon premier petit secret de trekkeuse de l’Himalaya : le matin, toujours prendre un chatapi avec omelette dans son sac. Le plaisir de pouvoir les manger juste après une montée abrupte, devant un panorama parfaitement conçu par la Nature, n’a pas de prix !
Malgré l’expérience de mes deux dernières semaines himalayenne et l’appli maps.me qui nous géolocalise parfaitement sur l’itinéraire du trek, j’arrive à faire emprunter à ma sœur et moi un mauvais chemin. Rien de bien grave, car finalement il rejoint le bon. C’est utile pour me faire vite rendre compte qu’on n’est pas sur le circuit de l’Annapurna. Bien que ce soit vraiment difficile de se tromper (je dois l’admettre même si mon ego en souffre !) il n’y a pas de larges routes, on est sur des vrais chemins de montagne où seulement les humains et les chevaux peuvent passer.
La montée commence, raide, dans la forêt. Je devrais être bien plus en forme que ma sœur vu la quantité de globules rouges en train de circuler dans mon sang après la promenade dans les altitudes des Annapurnas, mais ce n’est pas le cas, on partage équitablement la galère. On arrive enfin à Dimsa où un premier gite nous attend, et avec lui, le premier ginger tea d’une longue série.
Je croise de randonneurs et des porteurs déjà croisé sur d’autres chemins. Ça fait bizarre, mais très conviviale, cette ambiance de village qu’on retrouve au Népal si on y reste un peu. On marche ensemble à Manang et on se retrouve à Thamel, on se croise au Langtang et on se revoit à Bhaktapur.
Après la pause, encore la montée, puis la montée et puis une pause chapati avec une belle vue ! On est avril et donc la poussière de la saison sèche a commencé à voiler les paysages. Ce n’est pas moins beau et puis, on sait qu’en montant la visibilité vas s’améliorer.
Le dernier bout de montée et on est à Shin Gompa où le vent et du fromage de yak nous attendent. Ce n’était pas une longue étape mais que de la montée. On est bien contentes de nous pouvoir restaurer, nous coller au feu de la salle à manger et puis gagner nos lits !
3/ Sin Gompa – Lauberina
Le lendemain, après un bon petit déjeuner, on attaque…la montée ! Ah oui, ça vient juste de commencer. Il faudra atteindre les 4610 m avant de trouver une descente.
On traverse un magnifique foret et juste à sa sortie on commence à apercevoir les sommets enneigés du Langtang Himal.
On prend notre temps pour nourrir notre esprit de la Nature autour de nous, notre corps de chapati et surtout pour donner le temps à notre cerveau de s’habituer à fonctionner avec moins d’oxygène.
On croise Delek et son beau cheval bien chargé. Il nous invite à son auberge à Gosainkunda. Le rdv est donné et ce serait un plaisir de le retrouver le lendemain.
On arrive à Lauberina pour le déjeuneur et, encore une fois, le vent commence à se lever à notre arrivée. Cette fois, il ne pas seul, on dirait qu’il y a aussi une tempête avec lui. Brouillard, ciel noir, pluie…
Un groupe de randonneurs décide de continuer jusqu’au lac qui est à seulement 3 heures de là. Pas question pour nous d’être dehors avec ce temps. On reste au chaud avec nos thé, nos livres et les filles du lodge : une jeune mère et ça fille de 10 ans.
La tempête ne nous quitte pas. On se couche avec elle, on dort avec elle (avec son bruit de fond de vent et portes qui claquent) et c’est toujours elle qui nous réveille, assez brusquement. Un bout de verre (plutôt du plexiglas, heureusement) de notre fenêtre me tombe sur la tête !! J’arrive à le remettre à sa place et on reste encore un peu au chaud tout en regardant par la fenêtre le soleil qui commence à illuminer les sommets.
4/ Lauberina – Gosainkunda
Après la nuit glaciale, l’air est bien frais mais, quand on commence à marcher, il n’y a quasiment plus de vent. La journée et la montée commencent. Les sommets derrière nous nous observent.
L’air se raréfie et on marche de plus en plus lentement. Nos cœurs nous donnent le rythme et avant la fin de la matinée on retrouve notre ami Delek, sa famille et son fidèle cheval qui nous accueillent avec 2 litres de ginger tea.
On profite de l’après-midi pour descendre au lac, à moitié glacé, et se détendre au soleil. En fin d’après-midi le vent s’arrête complètement et le lac devient un miroir. On comprend pourquoi il est considéré sacré.
Le lac de Gosainkund (4380 m) a été formé à partir du creusement de la terre par le trident du dieu hindou Shiva, après qu’il a bu le poison de Samudramanthan et voulait désespérément de l’eau froide pour étancher la chaleur écrasante du poison. C’est donc un lac sacré et destination de pèlerins. En effet, au coucher du soleil, on croise 3 Népalais en train de courir autour du lac en sonnant les cloches installées tout autour, boire de l’eau et en mettre un peu sur leurs têtes.
La nuit est calme, froide et éclairé par les étoiles. C’est le réveil qui nous sort du sommeil le lendemain matin.
5/ Gosainkunda – Gopte
On commence à monter et on laisse le lac derrière nous, encore plus bleu que le ciel.
Le col, à 4610m d’altitude, n’est pas bien loin. On arrive au point le plus haut de notre trek, on prend notre 2éme petit déjeuner (on en aura besoin !) et on fait la connaissance de Heidi, allemande et grande connaisseuse de l’Himalaya. Bien évidemment on n’a pas du tout le même rythme de marche mais on se recroiser avec plaisir dans les prochaines auberges.
Et enfin, elle est là…la descente !!! Cette descente qui est dans nos rêves pendant la montée mais devient vite un cauchemar quand on y est !
En descendant du col on rentre dans les nuages et on y restera jusqu’au soir.
On descend pas mal mais pendant pas longtemps car…ça remonte. Ça remonte ?!? Pourquoi ça ?? On ne le sait pas encore, mais on va s’en rendre compte rapidement. Ce ne sera pas la descente jusqu’à Katmandou, non non ! Ça va être du up and down jusqu’à Katmandou !
Heureusement on a un guide avec nous, un petit chien noir qui ne va pas nous quitter et qui nous motive pendant ce long après-midi de montée et descente, montée et descente…
C’est dur et long, on est dans les nuages et donc il n’y a rien à voir. Les petites fleurs violettes au bord du chemin et parmi les rochers sont le seul signe de beauté de la Nature qui pousse à continuer.
Quand on y croit presque plus, on arrive enfin à l’auberge de Gopte, avant la nuit et la pluie.
6/ Gopte – Kutumsang
Pendant la nuit, la pluie se transforme en neige et on se réveille avec la Nature autour de nous complétement recouverte de sa magie. La neige a un pouvoir extraordinaire : je régresse à l’âge de 5 ans, quand on encore cette capacité à s’émerveiller sans limite !
On descend, pour ensuite remonter et redescendre et remonter un autre col. Je pourrai presque commencer à en avoir sérieusement marre mais la neige et les rhododendrons sont là !! J’ai déjà fait leurs connaissances sur le circuit de l’Annapurna mais pour ma sœur c’est la découverte. Je pense sincèrement qu’on ne peut pas imaginer une forêt de rhododendrons en fleurs si on ne la traverse pas. Dans mon choix de me rendre au Népal en avril, la possibilité de les voir n’avait pas trop compté car je n’avais pas la moindre idée qui un spectacle pareil pouvait exister sur terre.
En début d’après-midi il commence à pleuvoir un peu, mais pas trop et, bonne nouvelle, on dirait qu’on a arrêté l’enchaînement de montées. On arrive à Kutumsang en fin d’aprem.
Kutumsang fait partie de ces villages qui ont été presque entièrement détruits par le tremblement de terre de 2015 mais qui se relèvent avec force. C’est un chantier à ciel ouvert, une partie de la population vit encore dans des maisons de fortune mais des guesthouse sont déjà debout et d’autre en construction. Les touristes sont de retours et ils vont contribuer aux financements des travaux. On trouve une ambiance de destruction et reconstruction, désespoir et force de repartir de zéro, qui se balancent parfaitement et font espérer à un retour à la normalité imminente.
On pourrait continuer à marcher jusqu’à Katmandou sur le chemin de l’Helambu trek mais nos jambes nous demandent d’arrêter et on veut passer quelques jours à Bakthapur. On décide de prendre le bus qui passe, le lendemain matin, dans un village à 1 heure de marche d’ici.
7/ Kutumsang - Katmandou
Un dernier petit-déjeuner dans les montagnes et puis la dernière heure de marche. Notre fidèle guide nous accompagne au bus et continue son chemin avec Heidi. On dirait qu’il a vraiment l’intention de faire un tour en ville !
On arrive au village avec la pluie et un ciel noir qui nous ne fait pas regretter notre choix. Le bus est là, on monte et on se rappelle vite que nos corps ne vont pas vraiment pouvoir se reposer avant l’arrivé à notre hôtel à Katmandou.
On n’aurait peut-être pas du arrêter de marcher !
Rentrée à Paris je reçois un livre que j’avais eu du mal à trouver. C’est un récit de voyage sur le Nèpal écrit par Ella Maillart, cette exploratrice incroyable qui m’a accompagné sur l’Annapurna avec son « Oasis Interdites ». Je le lis avec voracité et je découvre, avec joie, qu’elle a été la première femme occidentale à se rendre au lac de Gosainkund. Sans le savoir on était sur ces traces, on a parcouru, au sens envers, le même chemin. On a observé le même trident qui signale la source du lac.
C’est donc un honneur pour moi de vous laisser avec les mots qu’elle a choisi pour nous faire connaitre ce magnifique bout de planète.
Ella Maillart, Extrait du livre « Au pays des Sherpas »