Histoire Limousin
La terre rouge
Collonges-la-Rouge n'est pas la bourgade la plus politisée du département de la Corrèze : elle doit sa couleur à tout autre chose que la politique, qui est ici au cœur de la vie quotidienne, et pas seulement dans les villes. Le Limousin est une région française traditionnellement administrée par la gauche. C'est la faute, comme dirait l'autre, aux francs-maçons (très implantés), mais surtout aux simples maçons : beaucoup apprirent leur catéchisme syndical et républicain sur les barricades de Paris. Les généraux cathos de 1914-1918 firent leur B.A. en envoyant les « rouges » au casse-pipe : pour preuve, les listes bondées des monuments aux morts.
Au XIXe siècle, cette région déchristianisée s'était trouvé des « saints » laïques : Siméon Bourzat, Martin Nadaud... Elle sera, après la Libération, le berceau des prêtres-ouvriers et donnera un ministre communiste à François Mitterrand, Marcel Rigout. Même les campagnes sont à gauche : le socialisme (SFIO, puis PCF) y est fils de la misère et de la geste maquisarde.
Si certaines ont, à un moment, basculé à droite, déçues par les « années roses », la Haute-Vienne a longtemps résisté, menée par Limoges, la « Rome du socialisme ». Son petit peuple, épris de dignité, s'est organisé et instruit (dans les ateliers, les ouvriers payaient un enfant pour leur faire la lecture !) depuis 150 ans. En 1848, les ouvriers - et ouvrières ! - de la chaussure et de la porcelaine dressaient des barricades. En 1870, ils proclamaient une commune insurrectionnelle, comme à Paris. Est-ce un hasard si la CGT naquit là, en 1895 ? Et si la ville déchaîna, en 1905, la grève la plus violente du siècle naissant ?
La « Petite Russie »
1939-1945. Durant ces années noires, la Résistance en Limousin prit une forme toute particulière. Si l'influence communiste y était grande, on n'attendit pas la rupture du pacte germano-soviétique pour en découdre avec les Allemands. Même si Limoges fut, après Lyon, la 2e ville de France en termes de nombre de résistants morts (de Gaulle l'appelait « la capitale du maquis »), le gros des hostilités fut fourni par la guérilla rurale. D'innombrables stèles hérissent cette région sauvage, que les Allemands surnommaient la « Petite Russie ».
Ce fut l'un des foyers de résistance les plus opiniâtres en France, et qui s'appuyait sur un héritage de lutte et une tradition de gauche ancrés dans les campagnes limousines. Le Parti communiste ne pouvait pas ne pas contrôler une résistance aussi enracinée localement, et les frictions se succédèrent avec le chef de celle-ci, le communiste Georges Guingouin. Ce dernier avait su fédérer les maquis et en faire une force redoutable. Au mont Gargan, ils se permirent de repousser, au cours d'une attaque frontale, plusieurs régiments de la Wehrmacht ! En fait, chacun s'y était mis. Ici, on sabotait les trains. Là, on kidnappait un spécialiste allemand de la lutte antiguérilla. La Creuse cacha 1 000 enfants juifs. Saint-Léonard-de-Noblat recueillit des « suspects » : Kahnweiler, Leiris, Queneau... et même Gainsbourg, adolescent. Précision importante : Guingouin (qui tenait du Che) fut le seul membre du PC à avoir été fait Compagnon de la Libération ! Pas étonnant que, par la suite, le Parti ait tout fait pour le déboulonner et y soit honteusement parvenu.
Jusqu’en 1942, la résistance locale se contentait surtout de quelques sabotages et distributions de tracts. La visite de Pétain en juillet 1942 à Tulle, Brive et Ussel fut vécue comme une provocation inqualifiable. Aussitôt, la résistance limousine devint l’une des plus actives et pugnaces de France.
En 1945, en tout cas, les résistants se firent tirer l'oreille pour rendre leurs armes. On raconte que pas mal de paysans fourrèrent leur fusil ou leur mitraillette dans un sac et l'enfouirent sous les chênes et les châtaigniers (pour le cas où !).
Cette tradition d'indépendance et de radicalisme perdura dans les campagnes, puisque le bastion n° 1 des rénovateurs, refondateurs et autres opposants à la ligne « stalino-moscoutaire » du Parti fut précisément... le Limousin.
La fin de la Chiraquie
Il faudra un peu de temps pour se rendre compte de l'importance de ce 6 mai 2012, qui vit pour la seconde fois dans l'histoire de la Ve République un président socialiste être élu, un homme qui s'est forgé son destin tout au long de ces 30 années de vie politique passées en grande partie en Corrèze.
François Hollande, le discret jeune homme à lunettes, apparu dans le sillage de François Mitterrand en 1981, s'était heurté, au fil des ans, à Jacques Chirac. Une figure mythique du pays, qui avait réussi à convertir la rouge Corrèze à ce qu'on appela ici le chiraquisme, en 1995, tendance confirmée en 2002 par la présidentielle.
Même après son retrait de la vie politique, au tournant de la seconde décennie du nouveau siècle, Chirac demeurait l'un des hommes préférés des Français, et bien sûr des Corréziens. Une situation qui se poursuivit jusqu'au jour où le père sembla adouber ce drôle de fils que le destin lui avait mis dans les pattes, de foire en marché, de tribune en célébration plus ou moins officielle.
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