Dans le massif des T'ien Chan
Grande partie d'ulak-tartysh
Aujourd'hui, c'est le grand jour. La région de Naryn fête ses 65 ans ! Askar Akaïev, le président de la république kirghize, sera présent. Le bazar, qui se tient ordinairement tous les dimanches, a même été avancé d'une journée, afin que les deux événements n'aient pas lieu le même jour. Dix heures du matin. Les gens affluent de tous les villages alentour vers le lieu des réjouissances. À cheval, en charrette, à vélo, à pied, en camion… Il fait beau, la lumière est exceptionnellement crue. Nous avons de la chance. Peu à peu, tranquillement, les spectateurs emplissent l'unique gradin formé par une pente qui surplombe un immense cirque naturel. De l'autre côté, un chapelet de yourtes borde une crête. Chacune d'elles représente un village.
En bas, sur le terre-plein, deux équipes à cheval attendent le signal. Elles vont disputer une partie d'ulak-tartysh, le fameux bouzkachi des Afghans rendu célèbre par Les Cavaliers de Joseph Kessel. Un peu plus loin, un homme amène un chevreau blanc qu'il tient au bout d'une corde. De l'autre main, il serre un couteau. Après avoir rapidement fait bata, il s'accroupit, égorge le jeune animal, en découpe la tête et les pattes puis dépose le pauvre ballot au milieu du terrain. C'est ce qui servira de balle aux joueurs. Après avoir défilé, étendard au vent, les équipes s'alignent devant les loges d'honneur où trône le gouverneur, Askar Salymbekov. Askar Akaïev n'est pas là, un contretemps l'a retenu en Grèce, me dit Jarkyn. Je suis la seule étrangère et, échaudée par l'épisode kazakh - un policier m'avait menacée de m'envoyer à Almaty parce qu'il me prenait pour une espionne, il avait fallu parlementer des heures -, j'essaye de me faire discrète avec mon appareil-photo, mais c'est difficile. Finalement, Jarkyn reconnaît un policier à cheval, c'est un oncle. Nous allons le trouver et il me « donne l'autorisation » de photographier. Me voilà tranquille.
Une célèbre chanteuse, vêtue en habit traditionnel, traverse la pelouse et rejoint les loges officielles. Elle entonne un long chant, un fameux poème kirghiz paraît-il, puis accapare le micro pour un éloge du gouverneur qui n'en finit plus. Les élections ont lieu l'année prochaine… Il est midi déjà. Une bande de jeunes garçons s'impatiente. Enfin, le match commence. Il se jouera en trois tiers-temps. Entre chaque partie, afin de permettre aux cavaliers de se remettre, des lutteurs combattront au sol (kureuch) ou à cheval (er-enich).
Il est quatre heures. La rencontre s'achève. L'équipe victorieuse fait un tour d'honneur. Un des organisateurs remet 300 $, une somme importante, au capitaine. Celui-ci, exténué et majestueux, reste impassible et digne. Je ne peux m'empêcher de penser à Ouroz, le héros des Cavaliers.
Texte : Sylvie Lasserre
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