Dans le massif des T'ien Chan
La « tournée » des yourtes
À présent, la foule des spectateurs se dirige tranquillement vers le versant opposé de la colline, où s'alignent les yourtes. La fête continue. Les jeunes filles, habillées à l'occidentale, se promènent par petits groupes ; les garçons, à cheval, tentent de se faire remarquer par les ruades qu'ils imposent à leur monture. Grâce à Jarkyn, qui connaît tout le monde, nous entamons la « tournée » des yourtes. Devant chacune d'elles, nous sommes invitées à entrer. Vingt fois, nous reproduisons le même cérémonial : se déchausser, saluer, s'asseoir sur les genoux, remercier, manger un beignet, un morceau de gras de mouton froid - refuser serait grossier -, porter un toast, se relever au signe du départ, se rechausser, etc. Mille visages dont il faudrait que je me souvienne.
Dans une des yourtes, nous nous retrouvons avec les notables de la région, eux-mêmes en pleine tournée. Il y a là un journaliste venu de Bichkek, le patron d'une entreprise de transports, le maire d'un village, et quelques autres dont je ne me rappelle plus la fonction. L'un d'eux, le plus honorable, porte un toast à mon intention. Il se dit très honoré de ma présence et parle du fait que les Occidentaux sont très civilisés - j'ai envie de bondir ! Jarkyn me dit : « Maintenant, à ton tour ! ». Je dois faire violence à ma timidité. Heureusement, le fait de passer par une interprète m'aide beaucoup. Je les remercie de leur accueil si merveilleusement chaleureux, je leur fais savoir que je les trouve infiniment plus civilisés que les Occidentaux et termine en leur assurant que c'est aussi un très grand honneur pour moi que d'être parmi eux.
Dîner de fête
La fête s'achève. Je ne sais même plus comment nous rentrons. De nombreux enfants nous accompagnent. La nuit est tombée depuis longtemps, mais les rues du village grouillent encore de vie. De jeunes cavaliers rentrent au galop, le regard brillant, les joues en feu. Il faut nous dépêcher, car nous sommes invitées à la fête de la circoncision. La table est recouverte de mets colorés. Nous sommes une vingtaine, assis sur des tapis de feutre. Nous piochons dans les plats avec les doigts. On me sert un morceau du cheval, celui que j'ai vu sacrifier. Je le mange. Un torchon sale et chiffonné passe de bouche en bouche. Je me sens bien.
Texte : Sylvie Lasserre
Mise en ligne :