Lisbonne, retour vers le passé
Tour de chant
Ici, tout le monde chante le fado, cette plainte émouvante de l'âme portugaise. On le chante pour exorciser la misère de sa vie, on l'écoute pour les mêmes raisons. Les spectateurs participent autant que les chanteurs. Carmelinda, la marchande ambulante, " sort " chaque soir. Elle s'installe à l'entrée de la gargote où l'ambiance est la meilleure. Elle vient oublier un moment sa vie d'ennui. Ce soir, à l'Alfama Grill, c'est la grande nuit du fado, comme tous les vendredi et samedi soir. Les chanteurs, des professionnels en herbe, attendent dehors, leur petite mallette d'artiste à la main. Tenue noire de rigueur pour les femmes, costume cravate sombre pour les hommes. Les deux guitaristes - guitare classique et guitare portugaise, c'est toujours le cas pour le fado - sont de la maison. J'ai vu des larmes, j'ai vu des disputes, j'ai vu l'espoir des jeunes chanteurs de se faire repérer. Pendant les interludes, les lumières se rallument, un quart d'heure, le temps de laisser les dîneurs avancer un peu dans leur repas, puis s'éteignent de nouveau. L'organisateur annonce le chanteur suivant, un jeune. Il demande le silence. Diogo Rocha, 18 ans, fluet et menu, entonne Portugal… avec un coffre étonnant. La guitare se fait gaie et alerte. Tendre et douce. Il a le visage émacié et une voix d'une puissance incroyable. Ses collègues l'applaudissent. Il enchaîne ainsi quatre fados avant de retourner à l'entrée de la salle. Un client moustachu, blouson de cuir, pose sa cigarette sur le bord d'un cendrier et se lève de table, mains dans les poches. Il entame Primavera. La guitare joueuse est d'une tendresse et d'une légèreté sautillante. Visiblement un tube… Deux clients se lèvent et donnent la réplique au protagoniste. La guitare se met à faire des miracles. La salle frappe dans ses mains, entonne le refrain. Ah… Primavera… Puis le moustachu élève la voix, ce qui indique la fin du morceau. C'est souvent ainsi dans le fado. Sans attendre les applaudissements, il se rassoit à sa table, nonchalamment, allume une cigarette et jette des coups d'œil furtifs autour de lui. Au tour de Manuela. La jeune fadiste est arrivée accompagnée de son agent. Cheveux longs, châle noir sur ses épaules dénudées. Elle est jolie. Les gamins du quartier se sont réunis sous un échafaudage devant le restaurant. La guitare devient espiègle, les hommes entonnent le refrain. Minuit déjà. Le maître de cérémonie rallume la salle. La plupart des clients sont partis. L'Alfama Grill va fermer. La joyeuse tribu se rue vers la taverne voisine, A Baiuca. Clientèle plus jeune. Rapidement, l'ambiance monte.
Préparez votre voyage avec nos partenairesTexte : Sylvie Lasserre
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