Chine : 3 mois de baroud
Galères et réjouissances du train Assis Dur (trajet Nanning - Guillin)
Assis Dur, dans la moiteur tiédasse et les effluves malodorants, entre remous de ventilos asthmatiques et grésillis de musique guimauve. Entassés, bousculés et d'ailleurs pas assis du tout, car on dépasse de loin la capacité humainement viable du train. Ça se chahute dans les allées, cacophonie désordonnée : il y a des gamins qui braillent, des femmes qui se recoiffent, des hommes qui fument et des curieux qui s'interrogent et viennent poser un œil inquisiteur sur ma personne. Et puis y'a les vendeurs de bouffe, des " ambulants-hurlants ", ils poussent leur chariot infâme, d'un wagon à l'autre, en vociférant et manquent à chaque fois de t'arracher un pied. Horreur et décadence… là, sous les banquettes, sur le sol maculé y'a des types allongés, la face à même la crasse. Et ces marmites de tous les diables où ça fume et ça gargouille de la soupe de l'avant-veille, et les odeurs de clopes, les relents de chiottes, tout se mélange en puante nausée. Et moi, à califourchon sur le dossier d'un siège, les yeux perdus brouillard, à compter les heures en rêvant d'un ailleurs.
Consolation, ils sont tous plus adorables les uns les autres. Les questions fusent du wagon entier. Avec force de dessins, bruitages et mimes divers, on parvient presque à se comprendre. Guide, cartes, cahiers sont baladés de main en main. Premier cours de mandarin, exercice de prononciation et gloussement général, la bonne humeur ferait presque oublier cet environnement sans fenêtre. Midi, fait faim ! Pour la plupart, le casse-croûte est prévu. Démarre un interminable va-et-vient pour remplir d'eau chaude les bols de soupe instantanée. Ça s'entrechoque, embouteillage car en face du robinet y'a le siège des " tsé-sou-o " (w.-c.). Là où s'est instauré le ballet du gant de toilette. Pour rafraîchir les esprits et les têtes. À l'affût, j'observe. Surprise ! Mes voisins radieux me tendent fièrement un bol de soupe saucisse. Pas de café, mais ça ira. L'un d'eux me cède sa place. Une main m'offre un navet… cru ! Puis du fond là-bas, arrive un sac d'arachides tièdes. " Tiens, goûte donc ça aussi ", me fait-on comprendre… des insectes grillés ! C'est très… croustillant.
Puis le train ralentit et s'arrête au milieu de nulle part sans que personne ne sache vraiment pourquoi. Ça dure. On repart et on stoppe à nouveau, encore et encore. Et la chaleur du jour qui pèse et amplifie les odeurs, et l'aération qui ne fonctionne toujours pas, et cette fatalité tellement asiatique qui leur donne une patience et un calme à toute épreuve. Admirable ! Rien ne semble les déranger. On est finalement arrivé, quelque douze heures après, décomposée. La plupart d'entre eux continuent vers Pékin, plus au nord. Les pauvres, ça se trouve au moins à deux jours de là en train chinois !
Texte : Anne-Laure Jozan
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