Le petit train du Yunnan
L'existence tourmentée du chemin de fer du Yunnan de 1910 à aujourd'hui
C'est l'espoir de drainer une partie du commerce de la Chine du Sud-Ouest vers les villes côtières, via le port de Haiphong qui donna une crédibilité économique au projet ferroviaire. Cependant, le trafic est d'abord très modeste, donnant raison aux plaisanteries des Anglais : comment un petit train pourrait concurrencer le majestueux Yangtzi ?
Il faut attendre l'invasion japonaise pour voir le nombre de trains augmenter considérablement entre 1937 et 1940. Le gouvernement chinois, réfugié à l'ouest du pays, devient dépendant de cette ligne pour son approvisionnement. Cible de plusieurs bombardements japonais, la voie est finalement démontée par les Chinois eux-mêmes, après que leurs adversaires se sont assurés le contrôle du Tonkin. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, en février 1946, la France abandonne la gestion du tronçon yunnanais aux Chinois en échange du retour en Chine des troupes de Long Yun. Ce seigneur de la guerre du Yunnan, descendu au Tonkin pour désarmer les Japonais, en a profité, dans le plus pur respect de la tradition militaire chinoise, pour piller la région et monnayer son départ. Or, malgré tout l'argent qui a été dépensé dans la voie ferrée, il faut d'abord protéger l'Indochine. Le glas de l'influence française dans la province chinoise a donc sonné. Les communistes prennent le contrôle du Yunnan en 1949.
La crainte visionnaire d'Auguste François de " pourvoir d'une voie ferrée […], l'envahisseur possible et même probable de notre Indochine " se réalise alors. Le chemin de fer du Yunnan, abandonné, se retourne contre ses créateurs. Utilisée par les Chinois pour fournir vivres et armements au Viet Minh, la ligne contribue à l'issue de la bataille de Dien Bien Phu alors qu'aviation et commandos français essaient en vain de la détruire !
" Conclusion superbe et ironique : la ligne de chemin de fer a essentiellement contribué à l'humiliation, à la déroute, à la catastrophe des Français " (L. BODARD Les grandes murailles).
Quelques années plus tard, les Américains, en pleine guerre du Vietnam, ne parviendront jamais à faire sauter le pont Doumer malgré un bombardement hallucinant. Les ingénieurs du petit train avaient donc fait du bon boulot.
La ligne est remise en service en 1957, mais, en 1979, elle est cette fois victime de la guerre sino-vietnamienne. Elle ne reprendra peu à peu son statut international qu'à partir de 1992.
Initié par la Malaisie en 1995 au 5e Sommet de l'Asean, le projet d'un grand réseau ferroviaire panasiatique a éveillé l'enthousiasme général parmi tous les pays concernés. Conférences et projets se multiplient autour de cette idée supportée par divers organismes dont la Banque pour le Développement Asiatique. Il est alors nécessaire de standardiser les équipements et leur gestion. Dans ce contexte, la voie étroite du Yunnan est directement menacée.
En septembre 2002, le gouvernement chinois a annoncé l'achèvement des études relatives à la modernisation de la voie. Les travaux devraient commencer dès la fin 2003. Le trafic des trains omnibus ne serait cependant pas interrompu brutalement.
Même si les autorités chinoises ont pris conscience du patrimoine culturel et historique que représente cette ligne, il n'est pas possible aujourd'hui de savoir si le Petit Train du Yunnan conservera à terme tout son caractère.
Texte : Dominique Roland et Stéphanie Déro
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