Speyside, le triangle d'or

Sur les cent soixante-dix distilleries recensées en Écosse à la fin du XIXe siècle, il n'en reste plus qu'une centaine parmi lesquelles seulement quatre-vingts continuent de produire. Signe de renouveau et d'espoir, quelques distilleries ont été ouvertes ces dernières années, à l'initiative d'entrepreneurs passionnés de whisky qui ont mis toutes leurs économies et leur belle expérience dans cette aventure. L'usage veut que l'on divise l'Écosse en quatre secteurs de production. Au sud, les Lowlands, entre la rivière Clyde (qui baigne Glasgow) et la Tay (qui se jette à Perth), où sept à huit distilleries fonctionnent encore de nos jours, produisant des whiskies au malt léger. Plus à l'ouest, la petite région de Campbeltown, situé à la pointe d'une presqu'île - the Mull of Kintyre -, rendue célèbre par une chanson de l'ancien musicien des Beatles, Paul McCartney. Là subsistent deux distilleries dont une qui élabore le Springbank. En allant plus au nord, on pénètre au cœur des Highlands, une région aux paysages majestueux formée de grosses collines chauves (glen), couvertes de landes et de bruyères. Les troupeaux de moutons sont de plus en plus nombreux à mesure que l'on monte vers le nord. Là, les rivières aux eaux cristallines offrent une pureté étonnante. Tous les amateurs de whisky en pèlerinage en Écosse se doivent de passer quelques jours dans la Speyside, qui a été surnommée le triangle d'or du whisky écossais, en raison de la concentration impressionnante de distilleries sur un si petit territoire. Pas moins de cinquante-deux distilleries actives parsèment ce modeste terroir, situé entre Inverness et Aberdeen, et d'une surface réduite : une cinquantaine de kilomètres d'est en ouest, et une vingtaine du nord au sud, soit l'équivalent d'un gros comté. Justement, celui-ci s'appelle le Moray county. D'Elgin à Banff, de Grantown-on-Spay à Dufftown, chaque village, chaque petite ville, chaque vallée ou presque peut se targuer de posséder sa ou ses distilleries. Pas une route, pas un chemin sans que se dresse l'oriflamme d'une marque prestigieuse de whisky claquant dans le vent des Highlands. La Speyside n'est-elle pas le berceau du whisky écossais ? Toutes les conditions requises pour faire un bon whisky sont ici réunies : l'eau pure de la Spey et de ses affluents (la Fiddich, l'Avon et la Livet), la proximité des champs d'orge et une expérience séculaire de distillation qui remonte aux débuts de l'histoire du whisky. Les grandes marques y sont implantées depuis belle lurette : Glenfiddich qui popularisa les purs malts au début des années 1970, Macallan dont les whiskies vieillissent dans des fûts de chêne ayant contenu du xérès. Au village de Ballindalloch, Glenfarclas propose une visite sérieuse et très pointue. Dans le même village, la distillerie Glenlivet, considérée comme la plus ancienne de la Speyside, fut fondée en 1823. Isolée dans son écrin de collines sauvages, on la remarque de très loin et en hiver, sous la neige, ses vieux bâtiments patinés par les ans apparaissent comme sortis d'un conte de fées. Très moderne, avec un ascenseur pour handicapés, cette distillerie appartient au groupe Chivas, contrôlé par Pernod Ricard. Incroyable percée du sud de la France en terre écossaise : les fabricants de pastis de Provence, forts de leur succès planétaire, ont racheté de nombreuses distilleries écossaises, ce qui facilite la diffusion tout en maintenant une qualité de production. Heureusement, il n'y a pas que ces grands groupes. Il existe aussi quelques petites distilleries familiales et indépendantes, moins attachées à la rentabilité qu'à la qualité. C'est le cas de la distillerie Benromach à Forres, la plus petite d'Écosse. À Keith se cache la distillerie Strathisla, une des plus méconnues et pourtant une des plus belles avec sa roue à aube toujours en activité et ses bâtiments de maltage coiffés de toitures en forme de pagode (on appelle ça des kiln). Dans le genre exotique, la distillerie Glen Grant à Rothes (Moray) surprend avec ses jardins plantés d'arbres africains. Un des anciens propriétaires de l'entreprise avait naguère vécu en Afrique, d'où il était revenu après avoir adopté un jeune Kenyan. Heureuse et singulière destinée, ce dernier devint lord écossais et distillateur de whisky ! En Écosse, voyez-vous, il n'y a pas que des histoires de fantômes. Et voici maintenant la distillerie Aberlour au village d'Aberlour, que certains considèrent comme la plus pédagogique de toutes. Les visiteurs peuvent en effet, en cours de visite, tirer le whisky eux-mêmes du fût de chêne et voir ainsi le précieux nectar remplir une bouteille. Une expérience initiatique, en somme. Encore une autre originalité, sur la route du whisky : la distillerie Balvenie, à Dufftown. Celle-ci est une des rares à posséder sa propre aire de maltage. Fait encore plus rare dans une époque de division du travail, elle possède sa propre tonnellerie, et son unité d'embouteillage.

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