Le premier métissage du Nouveau Monde

Mais voilà, l'histoire n'est pas finie. Avant de découvrir les paysages du monde inca, amis routarnautes, lisez et relisez l'histoire du Pérou ! Elle est essentielle si l'on veut comprendre la culture péruvienne. Francisco Pizarro avait un frère, Hernando Pizarro, rarement cité dans les livres d'histoire. Il avait été associé à la conquête du Nouveau Monde durant laquelle il s'était considérablement enrichi. Comme Francisco, la vie d'Hernando fut une destinée hors du commun. À la différence de Francisco qui voulait détruire l'empire des Incas et s'emparer de leurs richesses, Hernando, gouverneur de Cuzco, était plutôt partisan de la manière douce.

Colombe contre faucon ? En fait, l'un gênait l'autre dans ses ambitions. Pour s'en débarrasser, Francisco renvoya Hernando en Espagne en lui confiant une mission bidon qui consistait à négocier avec Charles Quint le partage des richesses du Pérou et l'attribution de titres de noblesse. À son arrivée en Espagne en 1541, Hernando Pizarro fut accusé d'avoir lui-même fait justice (à la place de la Couronne d'Espagne) en exécutant Diego de Almagro, le rival honni de son frère et de la famille. Il fut arrêté, condamné et emprisonné pendant vingt-et-un ans dans le château de La Mota, près de Valladolid.

Ce prisonnier de première classe eut quand même droit aux égards dus à son rang, ayant même une liaison avec la jeune Isabel Mercado, dont il eut deux enfants naturels. Mais voilà : sa fiancée officielle Francisca Inès Yupanqui arriva du Pérou. Elle était sa nièce, c'est-à-dire la fille de son frère décédé et d'une princesse Inca. Hernando enferma Isabel dans un monastère avant l'arrivée de sa promise. À son mariage en 1552 dans la forteresse de La Mota, Hernando Pizarro avait soixante-quatorze ans et sa femme dix-huit !

En l'épousant, il inaugura ainsi le premier métissage de l'histoire de l'Espagne, dans la catégorie « plus chic ». Il fallait bien que la fortune amassée au Pérou restât dans la famille Pizarro. Les deux époux vécurent à Trujillo (Extrémadure), où ils décédèrent. Contrairement aux autres conquérants espagnols, Hernando Pizarro fut le seul conquistador qui soit revenu vivant dans son village natal. Ironie de l'histoire, il y est mort de « vieillesse et dans son lit », probablement à l'âge de cent ans, ce qui est étonnant au regard de sa vie d'aventure au Nouveau Monde.

Passionné par cette histoire, je m'étais rendu à Trujillo, quelque temps avant de partir pour le Pérou. Classée au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco, cette petite ville du sud-ouest de l'Espagne est exceptionnelle : on ne peut pas faire un pas sans découvrir un palais, car Trujillo est le berceau de nombreux conquérants du Nouveau Monde, et notamment des Pizarro. Sur la place principale se dresse le palacio de los Marqueses de la Conquista (Marquis de la Conquête), construit avec l'or du Pérou pris lors de la conquête par Francisco Pizarro.

Sur sa façade, des visages finement sculptés se dégagent des murs, tels des fantômes au sourire énigmatique émergeant du silence de l'histoire. On distingue justement les bustes de Francisco Pizarro et de sa femme inca Inès Huayalas, celui d'Hernando Pizarro (1478-1578), le frère de Francisco et de son épouse Francisca Inès Yupanqui (1534-1598). Quel message nous adressent ces pierres patinées par le temps ? Si ces personnages pouvaient ouvrir leur bouche, que diraient-ils aujourd'hui ?

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