Le testament d'Hernando Pizarro

On ne refait jamais l'histoire. Quand même, je ne pouvais m'empêcher de penser ceci : si Hernando Pizarro avait dirigé la conquête du Pérou, le destin des Incas aurait probablement été différent. D'après la chronique de Pedro Pizarro, un cousin, intitulée Récit de la découverte et de la conquête des royaumes du Pérou : « L'empereur inca Atahualpa [que Francisco Pizarro fit exécuter à Cajamarca, dans le nord du Pérou] se prit d'amitié pour Hernando Pizarro qui lui avait personnellement assuré qu'il ne consentirait pas à ce qu'on le tue. Pour l'empereur Atahualpa, seul Hernando Pizarro, parmi les Espagnols était "homme d'honneur" ». Cet Hernando Pizarro a laissé une descendance (par Isabel Mercado) qui s'est perpétuée jusqu'à aujourd'hui à travers des lignages parfois labyrinthiques et complexes.

À Trujillo, j'ai retrouvé Hernando de Orellana Pizarro, descendant en ligne directe et à la seizième génération d'Hernando Pizarro, le conquistador, et de Francisco de Orellana, originaire aussi de Trujillo et premier découvreur européen du fleuve Amazone. En 1541, Orellana s'enfonça dans les ténèbres de la jungle amazonienne à la recherche de l'El Dorado et du royaume de la Cannelle. Après 5 000 km parcourus sur le fleuve, il émergea de la forêt dix-huit mois plus tard : il avait descendu l'Amazone jusqu'à son embouchure ! Don Hernando de Orellana Pizarro est ingénieur des Ponts et Chaussées à Badajoz, près de la frontière du Portugal, où il habite et travaille.

Âgé d'une quarantaine d'années, jovial et discret, il porte le même prénom prestigieux que son aïeul : Hernando (Fernand). Il assure la fonction de président la Fondación de la Obra Pia de los Pizarro, dont l'objectif depuis 1880 est de gérer les biens laissés en héritage par cette puissante famille, notamment des fincas (grands domaines agricoles). Une des missions particulières d'Hernando de Orellana Pizarro est de respecter le testament de son aïeul, rédigé en 1578 et dont il conserve l'original.

Don Hernando m'a montré cet étonnant document du XVIe siècle écrit en vieux castillan. Une des clauses prévoit qu'une partie de la fortune des Pizarro soit utilisée à des fins charitables (on dirait aujourd'hui des œuvres humanitaires) : construction d'hospices et d'hôpitaux en Extremadure et au Pérou, aide aux enfants et aux familles déshéritées, assistance aux malades et aux handicapés ainsi qu'aux personnes âgées. Donc près de quatre cent cinquante ans après les destructions commises au Pérou par le faucon Francisco, voilà en quelque sorte une œuvre de réparation symbolique accomplie aujourd'hui par le descendant de la colombe Hernando.

Chaque année, la fondation apporte son aide financière à des projets humanitaires et de développement au Pérou. N'est-ce pas en termes freudiens le signe d'une belle leçon de « loyauté invisible » à l'égard d'un ancêtre très très lointain ? C'est une goutte d'eau certes, mais au niveau symbolique, c'est une manière chevaleresque de redonner du sens à une histoire familiale - celle des Pizarro - mais aussi à l'histoire avec un grand H.

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