Préambule
J’aurais pu vous resservir les 403 jours de notes quotidiennes de notre périple en famille, en camping-car, à travers les Amériques, d’Halifax, Canada à Montevideo, Uruguay.
Notre parcours
Mais un voyage, ce n’est pas seulement un chemin à travers le temps et l’espace, c’est aussi des instantanés, quelques notes qui émergent d’une symphonie, et qui en donnent les couleurs et la chaleur. Celle qui reste au fond du coeur, quand on se rappelle avec nostalgie, un peu plus d’un an après être rentrés, les anecdotes de cette parenthèse de 13 mois dans notre quotidien.
Notre parcours en musique
C’est donc en musique que j’ai choisi de vous présenter ce carnet de route.
Il commence du coup deux mois après notre arrivée sur le sol du nouveau continent. Avant cette première chanson, nous avions déjà traversé la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec. Nous avions déjà rencontré les Acadiens, fait coucou aux baleines de Tadoussac, gouté la poutine et les sucettes au sirop d’érable, été transporté par la magie de Foresta Lumina, pris de la hauteur du sommet de la tour CN, été enivré par la rumeur incessante des chutes du Niagara.
Nous avions aussi été absorbés par le rythme fou de N-Y et la quiétude relative de Washington DC, avions remonté l’histoire jusqu’à la guerre de Sécession dans les tranchées de Petersburg, levé nos yeux vers les étoiles à Cap Canaveral, subi les assauts des moustiques et enduré la chaleur de la Floride. Nous avions même déjà nourri les tarpons et lézardés parmi les iguanes des Keys.
Deux mois de voyage et nous avions pris nos marques, celles d’apprentis nomades.
Le Blues de la Louisiane
Mais c’est seulement après avoir posé les pieds à la Nouvelle-Orléans qu’est née la première chanson.
Rien d’étonnant finalement que cet album ait commencé à prendre vie dans cette ville berceau du jazz, mais aussi terreau de tant d’autres musiques, du Blues au Zydeco. Car la Louisiane est une terre créole, une terre du métissage. Bien que profondément marqué par un concert de Jazz à Preservation Hall, c’est un thème cher au Blues que j’ai choisi d’évoquer dans ce premier titre : le voyage à la recherche de ses racines. C’est ainsi que le héros de cette chanson, un alligator du bayou du Lake Martin, se retrouve à remonter la Blues Highway (Route 61), à la recherche de ses ancêtres, en Acadie, là où nous, nous avions commencé notre voyage. Mais le blues, c’est le blues, et tout voyage qui commence à une fin…
C’est le moment d’écouter ‘Cajun l’alli’.
Une dernière séance
Nous reprenons ensuite notre route, et, après avoir traversé le Texas, joué au lasso avec les vaches Longhorn de Fort Worth et apporté notre contribution graphique à l’icône du ‘public art’ qu’est devenu Cadillac Ranch, nous faisons une courte halte au Petrified Forest N.P., au Nouveau-Mexique. Et là, je découvre mes premières ‘montagnes rouges’. Un vrai choc visuel. Pendant plusieurs jours, cela devient une quasi-obsession, qui sera d’ailleurs l’objet de nombreuses moqueries du reste de ma famille. Dali a eu sa période bleue, mon appareil photo et moi sommes entrés dans notre période rouge. Et c’est à ce moment que nous entrons dans la réserve Navajos et traversons Monument Valley.
Cette deuxième chanson, ‘Arizona Dream’, est un hommage à ces rochers, ainsi qu’à mes souvenirs d’enfance, aux westerns du mardi soir…
Après avoir parcouru les étroits couloirs d’Antelope Canyon Lower,
admiré Horseshoe Bend,
transpiré dans le Grand Canyon, assisté à un grand rodéo à Lancaster, longé la côte californienne sous l’indifférence totale de ses lions de mer, piétiné les stars d’Hollywood, emprunté le cable car à S-F, fui la neige de Sequoia Park et traversé la Vallée de la Mort, nous échouons finalement à Las Vegas.
Sin City, un funeste 13 Novembre 2015
Si tout cela n’était pas arrivé, mes émotions m’auraient plus surement porté à écrire une chanson sur Death Valley, qui, quand la chaleur n’y est pas insupportable, se révèle être un lieu extrêmement riche et varié, aux paysages multiples et magnifiques. Mais nous étions à Vegas ce 13/11/2015, et les nouvelles venues de France ont rapidement pris le dessus. S’ensuivent deux chansons, ‘Paris-Vegas (The Strip)’ et ‘Paris-Vegas (Downtown)’, écrites respectivement le 13 et le 14, et qui se passent de tout autre commentaire.
Une pause
Quelques jours plus tard, changement de décor radical, nous entrons au Mexique. Initialement, nous avions prévu de traverser rapidement le pays, en une quinzaine de jours. Finalement, nous y sommes restés deux mois et demi… C’est lors d’une pause pour les fêtes de Noël, à Zipolite, que j’y ai écrit deux nouveaux titres. Le premier, ‘Garçon, un café’ se veut léger et rafraichissant. Le texte n’a pas d’autre prétention que de pointer du doigt les petits manques du quotidien, comme le bon café, qui après plusieurs mois de sevrage au jus de chaussette sur le continent nord-américain, est devenu un vrai luxe. Le second, ‘Zipolite’, retranscrit un véritable coup de coeur pour ce village, au tourisme balnéaire encore très hippie.
Un regard d’enfant
Après le volcan de Paricutin, les couleurs de Guanajuato, les ruines mayas et aztèques d’un peu partout, la culture de Mexico, les gondoles de Xochimilco, nous poursuivrons notre route dans la péninsule du Yucatan, à l’assaut des nombreux cénotes, jusqu’à Chetumal, où nous nous posons à nouveau quelques jours, dans un des rares ‘vrais’ campings du pays. Là, nous faisons la rencontre d’une famille mennonite du Belize, que nous retrouverons ensuite à nouveau chez eux, quelques jours plus tard. Nos enfants s’amusent ensemble, et comme à chaque fois dans ces cas-là, la séparation est douloureuse. Le refrain de ce titre, ‘Paroles d’enfants du monde’, reprend mot pour mot une phrase de ma plus jeune fille. Et tandis que mon fils cadet m’a aidé à composer certains couplets, mes deux filles ont prêtés leur voix à la chanson.
Simplicité et chaleur humaine
Après le Belize, le Guatemala. Ce pays n’a pas l’exclusivité du sourire et de la gentillesse. Depuis 6 mois que nous sommes sur les routes, la plupart du temps en ‘bivouac sauvage’, nous avons toujours et partout été chaleureusement accueillis, dès lors que l’humain était présent pour remplacer des panneaux ‘interdiction de stationner’. Mais le Guatemala tient une place particulière dans le coeur de chacun des 5 membres de notre famille. Pourquoi ? Difficile à dire. Peut-être que d’avoir croisé tant d’indiens kekchis marcher pieds nus le long des routes a contribué à changer un peu notre vision du monde. C’est en tout cas l’objet de cette chanson, ‘Ici on va nus pieds’.
Tikal
Semuc Champey
Des rencontres toujours
Le voyage, c’est aussi et surtout des rencontres. Celles de locaux, celles d’expats et aussi celles avec d’autres voyageurs. Ceux qui descendent comme nous et avec qui on échange quelques souvenirs, et ceux qui remontent et nous donnent envie de découvrir des lieux dont on avait jamais entendu parler. ‘Chanson pour ceux…’ leur est dédiée.
Guatemala encore
Salvador, Honduras, Nicaragua, quelques déboires avec la police, quelques locaux pervertis ou au contraire écoeurés par les ‘largesses financières’ de certains touristes américains, quelques ennuis mécaniques et nous voilà à quelques kilomètres de la frontière avec le Costa Rica, avec une flaque d’huile sous le carter. Et là, qui nous prend en stop à bord de son camion et nous permet de faire les 40 kms qui nous séparent d’un bidon d’huile salvateur ? Un routier guatémaltèque.
Quelques heures plus tard, à la frontière, on se lie d’amitié avec un homme en prise avec les douanes costariciennes, son side-car en passe d’être saisi, pour avoir dépassé le nombre de jours d’importation autorisés. Après avoir proposé de le déposer quelques 70 kms plus loin, on apprend dans la conversation qu’il est guatémaltèque… ‘Guatemala’ est une chanson qui vient du coeur. Un remerciement à son peuple, qui se rappelle à nous bien au-delà de ses frontières, et qui révèle l’humain là où l’on se noie dans la technologie et la paperasse.
Coup de blues
Nous voilà presque à la frontière entre deux continents. Depuis longtemps déjà nous avons renoncé à faire le tour du monde que nous avions prévu à l’origine. Aucun regret à ce niveau, car les choses étaient claires pour nous dès le départ : on prendrait le temps qu’il faudrait pour aller là où la route nous mènerait, là où nos envies du moment présent nous guideraient. Mais pour autant, le choix n’est pas facile : que faire une fois au Panama ? Changer complètement de paysages et de culture, et partir pour l’Asie ou l’Océanie ? Où poursuivre notre route en Amérique Latine, avec l’Amérique du Sud. Le choix s’est rapidement fait de poursuivre vers le sud (à la fois pour des raisons financières et logistiques et parce que les voyageurs qui en venaient nous avaient mis l’eau à la bouche). Mais ces moments de réflexion, alourdis par les divers petits ennuis mécaniques des deux mois précédents et ce moment charnière qu’est le milieu du voyage, m’ont fait prendre conscience que ce voyage aurait une fin. C’est à ce moment qu’a été écrit ‘Point mort’, qui pourrait tout à fait s’écouter comme la chanson du retour…
Bref au-revoir au camping-car
Après 8 mois à vivre dans notre ‘casa rodante’, le moment est venu de se séparer pour une courte semaine, le temps de l’embarquer sur le cargo qui l’emmènera de Colon, Panama à Cartagena, Colombie. Pour nous, ce sera l’avion. La route entre les deux pays, selon les dires des locaux, ce n’est pas avant au moins 10 ans. L’occasion pour moi d’écrire une chanson un peu débridée, où j’ai laissé s’exprimer librement mon univers onirique et ma culture fantastique : ‘The Darien gap is an eternal D Gap’
Colombie, Like it !
Guatape, vu du rocher del Penol
Voilà un pays qu’on pensait éviter, à cause de tous les apriori qu’on avait en tête avant notre départ. Finalement, à force d’échanges avec les nombreux voyageurs qui en revenaient, c’était devenu le pays qu’on attendait. Et il a été largement à la hauteur de nos attentes. Le pays ‘coup de coeur’ des 5 membres de la famille.
Barichara
Avant, on pensait cartel, drogue et insécurité. Depuis, la Colombie est devenue pour nous beauté, hospitalité et chaleur des locaux.
Valle del Cocora
Dans cette chanson, ‘Pouce levé’, on jongle avec d’un côté les idées préconçues qu’on peut en avoir, tant dans le rythme musical que dans les paroles en anglais du refrain et de l’autre la magie des lieux qu’on a traversés, et toujours le sens de l’accueil incroyable des habitants. Pour nous, la Colombie restera à jamais le pouce qui se lève, à chaque rencontre.
Les plateaux andins
Après avoir traversé deux fois la Cordillère Centrale en Colombie et deux fois la Cordillère Orientale en Equateur, histoire de toucher du doigt l’Amazonie,
Près de Puyo, Equateur
nous poursuivons notre route au Pérou, où, après d’interminables kilomètres dans le désert côtier du nord du pays, nous entamons notre ascension vers les grands plateaux andins. Une première traversée qui se fera entre Lima et Huancayo, une seconde, dans l’autre sens, de Huancavelica à Paracas et une dernière à nouveau d’ouest en est, de Nazca à Cuzco. A chaque fois, on est pris par ce sentiment de liberté, de grands espaces et d’air pur (mais raréfié aussi… bonjour les migraines dans un premier temps). Avec pour seuls compagnons les lamas, alpagas et autres vigognes. Voici une chanson dédiée à l’ivresse des sommets : ‘Décimer les cimes’.
Plein les yeux
Nous n’en avons pas encore fini avec les sommets andins que nous voilà déjà au sud de la Bolivie, à Uyuni, au pied du Salar. Afin de pouvoir parcourir plus librement le Sud-Lipez, nous troquons pour 3 jours notre camping-car au profil d’un 4x4 avec guide, et nous nous lançons, à l’aube, sur cet immense désert de sel. Et là, c’est la claque. Des rencontres avec des lieux à couper le souffle, nous en avons eu des dizaines. Des rencontres avec la beauté de la nature et la faune, presque autant. Mais des lieux qui m’ont à ce point transportés, submergés, envahis, j’en aurai eu 3 : les ‘montagnes rouges’ de l’Ouest américain, les hauts plateaux des Andes, et le plus renversant pour moi, le Salar d’Uyuni. Cette chanson, ‘Les yeux du Salar’, évoque cette rencontre entre un homme et un lieu.
Qu’est-ce qui nous change ?
Notre voyage se poursuit pour encore un mois, le temps d’attendre le bon vouloir de la météo à San Pedro de Atacama au Chili tout en parcourant son désert et ses salars, avant de continuer en Argentine.
Désert de Atacama
Nandous au Chili
Neige dans la Reserva Nacional Los Flamencos, frontière Chili - Argentine
Le temps de renouer avec les ruines, d’abord celles de Quilmes au nord-ouest, puis celles des missions jésuites au nord-est et au Paraguay. Le temps de voir les fameuses chutes d’Iguazu, celles qui ont fait dire à la femme de Roosevelt - à juste titre selon moi - ‘Poor Niagara !’.
Le temps aussi de faire notre plus belle rencontre avec la faune, aux Esteros del Ibera.
Le temps de prendre conscience, réellement, de la beauté de la terre, et de s’en inquiéter. ‘Quand il n’en restera’ est le reflet de cette beauté et de la peur de la perdre. Et pour cela, on pouvait bien y consacrer 10 minutes en musique et en vidéo.
Avons-nous été fous ?
Ils étaient nombreux à émettre des doutes sur notre périple. Partir 13 mois sur les routes, avec nos 3 enfants… Comment on allait faire, pour l’école, pour l’organisation, en cas de pépins, de maladie… Est-ce qu’on se rendait compte de tout ce que la “civilisation” (avec de très gros guillemets) nous apportait et dont on allait devoir se passer ? Voici la réponse qu’on s’est amusé à écrire, à 5 voix, lors d’un de nos derniers soirs passés dans le camping-car : ‘Pas de panique’ !
Des rencontres toujours (2)
Parce qu’il s’était passé plusieurs mois depuis ‘Chanson pour ceux…’, nous avions rencontré depuis bon nombre de personnes formidables. Qui nous ont marqués, qui nous ont aidé ou simplement avec qui on a pris plaisir à partager un moment. ‘Rappel pour les autres’ est pour eux.
Epilogue
Cette chanson conclut l’album avec un petit épilogue, ‘Taumatawhakatan’, dont on a aussi fait le prologue de l’album, avec pour le coup une nouvelle version du premier titre : ‘(Taumatawhakatan &) Cajun l’Alli’
‘Taumatawhakatangihangakoauauotamateaturipukakapikimaungahoronukupokaiwhenuakitanatahu’, c’est juste un lieu à l’autre bout du monde.
Car si la boucle de notre voyage aux Amériques est maintenant bouclée, le voyage, lui, ne s’arrête jamais…
Remerciements à Monmix, qui, de son studio à Rome (où mènent toutes les routes), a mis mes textes en musique.