Parti en novembre 2022 je suis rentré il y a 3 jours, voici mes dernières émotions…
MERCI A STEVE
Quand on passe 5 mois en Afrique, on ne peut pas rentrer en France avec le même état d’esprit avec lequel on est arrivé. Premièrement je tiens à remercier Steve, une rencontre juste unique et extraordinaire sur cette île de Mfangano sur le lac Victoria dans l’Est du Kenya. Les voyages c’est avant tout des rencontres, la rencontre avec les autres c’est aussi se redécouvrir soi-même. La majorité des gens iront toujours vers les personnes semblables parlant la même langue, de même couleur de peau, de même éducation, du même âge, de même religion. Pour moi c’est le contraire, j’aime apprendre de l’autre, donc plus cet personne est différente plus je vais apprendre des choses, plus je vais m’enrichir. Steve a 23 ans, il est né et a grandi sur l’Île de Mfangano avec sa famille, pas de cuisine, de salle de bain, d’eau courante ou d’électricité, matelas partagés avec ses frères, pas de viande toutes les semaines etc…Bref une vie simple comme celle de millions de gens à travers le monde, vie rythmée par les messes endiablées du samedi et du dimanche, les bains quotidiens dans le lac, la préparation de la terre pour semer le maïs et les choux. Notre rencontre s’est faite il y a plus de 2 ans; pour gagner de quoi vivre il faisait moto taxi sur l’île, quand je l’ai aperçu avec son grand sourire et je n’ai pas hésité une seconde.
CHOC DE CULTURES
Depuis mon retour au Kenya en novembre nous avons voyagé dans de nombreuses régions du Kenya, dans différentes tribus mais aussi au nord de la Tanzanie pendant 4 mois. Voyager 24/24 avec quelqu’un je l’avais déjà fait, mais pour des périodes d’une semaine, pas pendant 4 mois. Nos personnalités ont beaucoup joué dans cette réussite, nous sommes tous les deux très curieux ayant l’envie d’apprendre de nouvelles choses tous les jours. Parfois ça a été plus difficile, la communication selon les cultures est différente mais on a sû en parler pendant des heures pour essayer de comprendre l’autre. J’ai dû m’adapter à certaines choses qui en France pourraient choquer ou sont simplement totalement improbables mais tout celà était réciproque. Il faut pouvoir s’adapter sans chercher à comprendre ou juger, montrer une tombe du doigt ne se fait pas, faire du bruit avec sa cuillère dans sa tasse est extrêmement mal poli. Autre exemple, quand je mange avec sa famille, Stanley, 16 ans, le jeune frère de Steve, est au service de tout le monde. Il fait à manger, il sert tout le monde, avant que je finisse mon assiette ou mon verre il est déjà debout pour me resservir. Au départ je ne me sentais pas vraiment à l’aise par rapport à celà, mais en fait celà fait juste partie de la culture, c’est aussi un plaisir pour Stanley de servir et dans quelques années sa petite sœur prendra le relai. Ce qui m’était étrange aussi c’est le fait qu’il est interdit de se laver dans le lac en même temps au même endroit que son père, nous étions obligés d’attendre qu’il finisse. D’autres choses aussi improbables; ne pas transporter de la nourriture sans sac (il faut la cacher), mais aussi toutes ces cérémonies avec les “docteurs sorciers” avant un match de foot, avant l’ouverture d’un business, ces enterrements à l’ambiance surréaliste. Bref tellement de choses particulières auxquelles au bout de quelques mois je me suis habitué.
LA PAUVRETÉ EN PLEINE FACE
La pauvreté, c’est aussi quelque chose qui m’aura marqué, quand je parle de pauvreté je parle de personnes qui ne mangent pas à leur faim toutes les semaines. Des personnes qui ne savent pas ce que c’est un vêtement neuf, des enfants qui travaillent, qui n’iront jamais à l’école, qui ne verront jamais de médecin. On a tous une empathie différente, avec les expériences elle se transforme, une manière de se protéger face à la souffrance, la violence ou la mort. Le monde ne sera jamais juste mais l’équilibre vient juste avec ce que l’on réalise autour de soi, il faut simplement prendre conscience que nos bonnes actions ne changeront pas le monde mais parfois changeront la vie d’une autre personne. Dire non à des gens, des gamins parfois qui vous disent simplement qu’ils ont faim demande beaucoup de recul, d’un autre côté en France refuser d’aider une personne à la rue est assez courant, mais pas naturel. J’ai été marqué par ce jeune qui travaillait dans un hôtel en Tanzanie qui avait encore les yeux brillants pleins de rêves mais qui gagnait 1$ par jour et me disait qu’entre cette situation ou voler il préférait travailler.
J’AI VÉCU LE LUXE
J’ai aussi découvert le Luxe, le luxe c’est ma vie de tous les jours en France, le luxe c’est manger un yaourt, boire du soda, c’est ouvrir un robinet, c’est avoir un frigo, prendre une douche, manger de la viande ou des oeufs parfois, aller chez le médecin sans payer. Il y a juste quelques jours on était arrêtés sur une air de repos, il y avait des couverts en plastique, Steve a regardé admiratif cette cuillère en plastique, il me dit qu’elle est belle qu’il va la ramener chez lui. Je me sens un peu coupable d’avoir réservé parfois des appartements avec tout le confort moderne, pour Steve c’était du grand luxe (en moyenne à 10$ la nuit). Je lui ai montré comment se servir d’un micro-onde, d’une gazinière, quand on grandit avec 3 pierres et un feu en guise de cuisine et un lac qui sert une salle de bain immense on a pas les mêmes acquis que dans nos pays. En France on aime bien se plaindre, au Kenya le prix du carburant a été multiplié par 2 en 2 ans, beaucoup de prix sur l’alimentation de base ont doublé, une petite partie du peuple commence à se révolter (sachant que manifester est beaucoup plus risqué que chez nous). Je comprends que la vie est compliquée pour de nombreux français, mais là bas j’ai vraiment vu ce que c’était d’avoir faim. Tout celà je l’ai acquis, je vais être encore plus en recul par rapport à mes petits soucis, cette expérience m’a fait grandir.
L’HOMME BLANC, LE MZUNGU
J’ai vécu une sorte de racisme inversé, en France beaucoup de personnes auront tendance à rejeter une personne migrante. Ici dans 99% des cas on m’a ouvert la porte, on m’a traité comme un hôte de prestige, toutes les personnes voulaient me montrer à leurs amis ou leur famille. Ce qui m’a rarement mis à l’aise vu que j’aime bien échanger avec l’autre d’égal à égal j’ai vu qu’ici ça serait juste impossible, même après des mois ou des années. Un homme blanc est un homme riche avec qui les femmes veulent se marier, c’est un homme qui a le savoir et la richesse. Je pense que cette croyance ancrée depuis des centaines d’années est loin de s’évaporer. Malheureusement j’ai changé la vie de Steve, même si ça n’est que du fantasme, avoir un ami mzungu signifie que vous êtes riche, les sollicitations commençaient du matin jusqu’au soir. Il a été très courageux d’affronter celà, car ni lui ni moi ne nous attendions à un tel harcèlement.
OU EST L’ARGENT ???
Certains se questionnent, combien celà coûte-t-il ? A cette question je répondrai et vous que faites vous avec votre argent ? En France des millions de personnes vivent avec moins de 1500€ par mois tandis que certaines ont du mal avec 3000€ par mois. Au Kenya c’est la même chose, j’ai rencontré des gens qui gagnent moins de 100€ par mois ou d’autres qui gagnent 5 ou 10 fois plus. Donc il n’y a pas de réponse toute faite, vous pouvez vivre avec moins de 200€ par mois au Kenya, sachant que vous n’aurez pas de loisirs, peut-être de la viande une fois par mois, bien sûr oubliez micro-ondes, cuisinière, frigo électricité ou internet à volonté, mais aussi oubliez l’alcool ou les sodas et votre salle de bain sera une bassine, et il vous faudra prier pour ne pas avoir d’accident ou de maladie. Donc pour moi ça a été compliqué, j’ai eu des période ou je n’ai pas mangé de viande ou d’oeuf pendant une semaine, des semaines sans douche. J’ai aussi beaucoup donné, plus de 70% de mon budget n’était pas pour moi, c’était un choix mais aussi une nouvelle expérience, plus ma générosité était importante plus certaines personnes pensaient que j’étais une banque. Ca a été souvent compliqué quand vous êtes 3 autour d’une table et qu’à 95% du temps je n’ai pas vraiment eu le choix de payer. J’ai fait le choix de voyager avec Steve et donc pour moi c’était normal et un plaisir de payer toutes ses dépenses. Mais à côté, difficile et impossible de rester insensible à toutes ces personnes, situations, mais qui se présentaient pratiquement chaque jour. C’est aussi une première expérience et je ne me vois pas voyager égoïstement en considérant certaines personnes comme des amis et ma famille sans les aider donc je n’ai pas de regret. Nous sommes tous différents dans notre rapport à l’argent,certains ne comprendront pas ma façon de voyager comme je ne comprends pas que certains puissent payer une voiture 40000€, ce n’est pas un jugement c’est juste un choix et ma façon de dépenser c’est aussi trouver mon équilibre (rassurez-vous je n’ai pas dépensé 40000€ en 5 mois
DES PIROGUES AUX HIPPOPOTAMES
Des traversées en pirogue sur le lac victoria, bains avec les hippos sur Mfangano, de ces vues extraordinaires du Kilimandjaro, ces bains dans l’eau turquoise de l’Océan Indien à Zanzibar, de ces plongées et course avec les dauphins, beaucoup, beaucoup de souvenirs je pourrai en écrire des pages. En moins de 5 mois j’ai vécu plus d’émotions qu’en 10 ans, il parait que les hommes ne pleurent pas pourtant j’ai pleuré, je souffre de quitter mes amis. J’écris ce texte dans l’avion du retour, c’est étrange je devrais me réjouir de rentrer revoir mes amis, ma famille, pourtant la gorge serrée j’ai l’impression d’abandonner une autre famille. Mfangano est mon île, Steve est mon frère, sa famille est aussi la mienne. Merci de m’avoir fait grandir.
NOS VIES SONT FRAGILES
Grâce à Steve j’ai aussi changé mon rapport avec Dieu, je ne dis pas que je vais aller à l’église tous les WE mais je sais qu’une force positive commune est là, parfois nous aide et nous protège. Je dédie cette dernière publication à Steve Onyango mais aussi à Fidel, un des meilleurs amis de Steve, qui a survécu à cet accident de bus ce jeudi 30 mars à Naivasha, qui se bat à l’hôpital pour se remettre de ses blessures. Mes pensées vont aussi aux amis et familles des 17 morts et nombreux autres blessés, ce voyage m’a aussi montré comment nos vies sont précieuses et fragiles, que donner, partager, aider sont les plus belles des actions qui me font avancer.
Merci