Tourisme solidaire chez les indiens quechuas d’Amazonie
La tribu quechua de Shiripuno est un modèle en matière
d’ethnotourisme. Accueil de touristes en cabanes rudimentaires équipées de
sanitaires écologiques ; restaurant communautaire ; organisation
d’excursions et de loisirs ; vente d’artisanat et démonstrations… Toutes
ces activités, uniquement gérées par les membres de la communauté, fournissent
du travail et un salaire à tous les habitants.
Il ne faut que cinq heures depuis Quito pour rejoindre
Puerto Misahualli, le point de départ pour l’Amazonie, dans la province du Rio
Napo. Misahualli est un petit village qui sent bon les vacances. Des singes en
liberté accueillent les étrangers. Amélie, franco-belge, responsable de
l’association de femmes Sumak Alli Kausay, et son mari Théo, un biologiste
originaire du village de Shiripuno, une tribu quechua, les emmènent en pirogue
à quelques minutes de là.
Le développement du village passe par l’accueil de
volontaires de l’international, chargés de dispenser des cours à l’école et de
prendre part aux travaux d’agriculture et de construction. Mais la communauté
dispose d’autres atouts pour accueillir les touristes. Une agence de tourisme
« artisanale » permet notamment aux habitants de percevoir un salaire.
Ici, commence l’immersion totale pour Anne, lycéenne, et
Gauthier, photographe. Logés dans des cabanes équipées de douches et de
sanitaires écologiques, ils prendront les repas avec les touristes reçus par la
communauté dans l’annexe du village. Première surprise dans les douches :
une mygale. Pour les deux Français, c’est leur première soirée à la bougie. Il
est vingt heures, ils se couchent épuisés.
« Mes journées sont bien remplies. J’aide à l’accueil
des touristes, je fais la vaisselle dans le fleuve, la lessive à la source,
tout me prend un temps fou », raconte la jeune fille. Anne ne parlait pas
Espagnol lorsqu’elle est arrivée dans la communauté. Cela ne l’a pas empêchée
de s’intégrer aux habitants, et quelques mois plus tard, de devenir marraine du
bébé de Rosario. De son côté, Gauthier ne restera que quelques semaines. Pour
lui, l’objectif est de « vivre avec les locaux. C’est fabuleux, les gamins
sont magnifiques. Ils ne savent pas encore marcher qu’ils savent déjà tenir une
machette ! ».
La région de Misahualli comprend trente-deux
communautés quechuas. Shiripuno est un projet pilote ayant pour objectif de
valoriser la culture indigène. « Les indigènes ont été méprisés des
siècles durant en Equateur, et le sont toujours dans certaines villes.
Présenter leurs traditions ancestrales aux touristes les rend fiers de leur culture »,
explique Théo, le chef de la communauté.
L’exemple de Shiripuno montre l’urgence de la sauvegarde des
traditions en Equateur, un pays en plein développement, où le modernisme fait
rage. « Du coup, les Equatoriens rejettent la tradition. Il faut éduquer
la population à la consommation afin d’éviter les problèmes de pollution à
laquelle d’autres pays ont été confrontés avant nous », poursuit
l’indigène. « On leur fait comprendre que la consommation n’apporte rien.
Couper un arbre leur rapportera une seule fois de l’argent. Organiser des
excursions pour montrer à tous notre séquoia millénaire, leur rapportera dix
fois cette somme, et beaucoup de fierté », insiste-t-il.
A Shiripuno, tout se partage. A commencer par les
cultures du village : guayusa (une sorte de café sucré), maracujas (fruits
de la passion), yucca (manioc) et bananes plantains sont répartis selon la
taille de la famille. Au milieu du restaurant communautaire, Soledad donne le
sein à Sanni. Marina s’active à couper du yucca dans les plantations. Mercedes
le porte sur sa tête aux cochons. La vie des femmes est rythmée par les tâches
domestiques, les travaux d’agriculture, l’artisanat et… l’allaitement. Car
ici les enfants tètent le sein jusqu’à trois ans ! Et les femmes sont plutôt
fertiles : trois enfants aujourd’hui pour les plus jeunes, et jusqu’à seize il
y a vingt ans !
Anne et Gauthier s’activent pour préparer le repas du
midi ; ce sera des maïto de tilapia. La journée, ils participent à la vie
quotidienne de l’association de femmes, prennent part aux travaux
d’agriculture, et donnent des cours d’anglais et d’informatique à l’école du
village. Ils doivent aussi participer aux mingas, ou travail communautaire.
Dimanche, ils devront couper les herbes du terrain de foot à la machette avec
tous les habitants. Ceux qui ne s’y rendent pas reçoivent une amende.
Ce soir, la communauté organise une réunion. A l’ordre du
jour, l’anniversaire de la fondation de Shiripuno, le 6 décembre. A la majorité
absolue, un jour de semaine est choisi pour la célébration. Une occasion de
boire quelques bières et de ne pas aller travailler de trois jours. Car ici, on
ne fait pas la fête à moitié !
Régulièrement, des touristes, seuls ou via une agence,
visitent le village. Les femmes revêtent alors leur plus beau costume -
maquicotona pour les épouses, patcha pour les célibataires - pour des
démonstrations de danses locales. Pour l’occasion, elles fabriquent la chicha,
un alcool fermenté à base de yucca. A présent, elles n’utilisent plus leur
salive pour activer ce processus naturel. Elles vivent aussi de la fabrication
de colliers à base de graines de plantes locales, regroupés dans une hutte
destinée à l’artisanat. Bientôt, un professeur leur enseignera le tricot, pour
diversifier leur activité.
Dans les environs, beaucoup de balades sont accessibles avec
un guide. Une opportunité rêvée pour Johnny, Eddy et surtout Théo, le chef de
la tribu, qui possède aussi une petite agence à Misahualli. Ils guident
touristes et volontaires dans la selva, ou pour des excursions en pirogue. Une
manière pour eux, de recevoir, comme leurs épouses, un salaire. Touristes et
volontaires sont donc invités à découvrir, autour de Shiripuno, une ferme aux
papillons, la cascade de Latas, le séquoia géant, les cavernes de Jumandi et
diverses marches guidées dans la forêt, de jour et de nuit. L’Amazoonico, un centre
de sauvegarde des animaux maltraités ou victimes de trafic, au milieu de la
selva, est accessible en pirogue.
Mais ce qui attire surtout les visiteurs, c’est le chaman,
et plus spécialement l’ayahuasca, un breuvage à base de lianes qui assure un
délire mystique à son consommateur. Pour Cyril et Laurent, spécialement attirés
par la défonce, c’est un simple défi. « On va affronter un serpent et un
puma », s’enthousiasment-ils. Pourtant, Théo rappelle que « l’ayahuasca
ne doit pas se prendre comme une drogue, même si elle en est une ». Pour
nos stagiaires de Quito, ce ne sera finalement qu’une grosse frousse mais
l’ayahuasca a parfois de lourdes conséquences pour celui qui le prend à la
légère…